Marc Lefrançois enseigne la culture générale à l’École Supérieure des Pays de la Loire. Passionné d’histoire et de littérature, il est l’auteur de nombreux livres. Dans son dernier ouvrage, il raconte 49 petites histoires puisées dans l’histoire de France. Il souhaite ainsi, à travers quelques anecdotes, amener les Français à s’intéresser davantage à leur passé. En effet, indique-t-il : « Beaucoup de gens n’ont plus les bases de l’histoire de France. J’ai même été approché par des personnages influents, des personnalités, pour avoir des informations ! C’est un constat effarant que j’ai pu faire. Les réformes successives font que tout un pan de l’histoire de France semble avoir été effacé et oublié. C’est triste. J’ai toujours privilégié l’angle de la petite histoire, de l’anecdote originale. C’est une sorte de belle invitation à aller plus loin. Je voudrais revenir à l’histoire que j’ai connue à l’école, rappeler que l’histoire de France commence avec Clovis, comme le disait le général de Gaulle. Donc, il est intéressant de parler des Capétiens, des Mérovingiens et des premiers rois de France. »
C’est un constat partagé, les Français sont ignares de leur histoire et la grande erreur a été d’abandonner l’enseignement chronologique : « Je me rends compte de cela dans mes cours car, à force d’aborder l’histoire d’une façon très thématique, les élèves sont perdus. Je leur fais parfois des cours sur la Mésopotamie, l’Égypte antique ou la Rome antique, et il y a une demande incroyable. Il est essentiel de replacer les événements dans un contexte. Je n’ai pas de messages politiques à faire passer, je trouve que l’histoire est quelque chose de passionnant, c’est essentiel, c’est notre culture. La chronologie donne vraiment une vision claire de l’histoire et l’on peut ensuite retrouver des anecdotes à droite et à gauche. Il faudrait revenir à une vision chronologique et plus neutre de l’histoire, sans avoir la moindre pudeur à évoquer des grands personnages comme Charles Martel ou Jeanne d’Arc. Il y a des batailles qui ont constitué une grande partie de notre histoire. Dans l’actualité encore récente, j’ai été affligé de voir que l’on était plus prompt à commémorer une défaite, comme celle de Waterloo, plutôt que de célébrer Austerlitz ! J’ai aussi beaucoup de difficultés à parler de Napoléon sans que l’on vienne me reprocher un certain nombre de choses. Il faut cultiver l’amour de l’histoire chez les jeunes esprits avant même de chercher à moraliser des personnages ou leurs actions. »
Nous avons demandé à Marc Lefrançois de nous faire partager quelques unes des anecdotes que l’on peut trouver dans son livre : « J’ai voulu commencer par le vase de Soissons. Je me souviens du livre « Qui a cassé le vase de Soissons ? » J’ai fait un sondage parmi mes élèves, or très peu connaissent cette histoire, alors que c’est quand même l’un des premiers faits anecdotiques de l’histoire de France. Donc, il était important d’en parler. On est dans l’édification de ce qui deviendra plus tard la France, avec les chefs francs qui combattent pour vaincre leurs ennemis. Syagrius représente le dernier territoire romain en France. Il va être battu par Clovis et, lors du pillage qui s’ensuit, on emporte un vase d’une église. Le curé demande à récupérer le vase. Clovis décide de rendre le vase mais, en tant que chef très intelligent, il saisit l’opportunité de nouer une alliance avec le clergé, le christianisme étant déjà en plein essor. Un guerrier franc considère que Clovis ne doit avoir que ce qui lui revient dans l’attribution du butin et, avec sa hache, il brise le vase. Clovis perd la face, mais il a de la mémoire. Un an plus tard, en passant en revue les armes de ses guerriers francs, il tombe sur le soldat en personne et il jette ses armes à même le sol en disant qu’elles sont très mal entretenues. Le soldat se penche pour les ramasser et Clovis lui donne un grand coup sur la tête en lui disant : « Voilà ce que tu as fait du vase de Soissons ». C’était sa façon de marquer son autorité de chef franc et c’est ce qui a amené le début de l’alliance avec le clergé. Cette alliance se conclura par le baptême de Clovis, qui est considéré comme l’élément fondateur de l’histoire de France. »
L’auteur consacre aussi un chapitre à la bataille de Roncevaux : « On se souvient tous du poème et j’ai gardé l’image de Roland qui brise son épée sur le rocher. Il y a le fait historique et ce que l’on a dit ensuite. On a présenté cela comme une bataille épique. En l’occurrence, c’était plutôt une défaite mineure de l’arrière-garde de Charlemagne, avec Roland, un personnage historique un peu flou. On a brodé beaucoup sur ce sujet. En réalité, c’était une sorte de coalition de brigands basques, avec des musulmans de Saragosse, qui s’étaient vengés de pillages exercés par l’armée de Charlemagne. C’est une bataille mineure qui a eu un retentissement incroyable, notamment dans le domaine littéraire, avec la fameuse Chanson de Roland. Cela a permis de faire connaître un peu plus l’épopée de Charlemagne. »
L’histoire de France, c’est aussi le chêne de Saint-Louis et Marc Lefrançois déplore que cela semble être maintenant méconnu : « J’ai l’impression que c’est un peu oublié, alors que nous avons tous appris à l’école qu’il rendait la justice sous un chêne. On garde peut-être l’image des premières croisades. Il a reçu une éducation très dure, par sa mère, Blanche de Castille, avec une dimension morale très forte. J’ai toujours eu l’image d’un roi très juste qui essaye d’appliquer le bien dans l’exercice de son pouvoir. Il est essentiel de rappeler cette histoire du chêne, qui est loin d’être anecdotique. Ce n’est pas une fiction, ce n’est pas une légende et cela correspond très bien au personnage qui était absolument hanté par la peur du péché et par le désir de faire le bien. »
Nous poursuivons ce tour d’horizon de l’histoire de France avec Marc Lefrançois : « J’aime bien parler de l’affaire du collier de Marie-Antoinette. C’est le personnage historique qui fascine le plus à l’étranger, avec Napoléon, peut-être parce qu’elle a eu une destinée tragique. Il y a une sorte d’injustice et cela a été déformé. Je parle de l’affaire du collier parce que cela semble souvent assez ténébreux. Marie-Antoinette a été présentée comme une reine dépensière. Peut-être qu’au début elle était un peu futile, mais elle a très vite compris l’intérêt de gérer ses finances. Elle est complètement innocente dans cette affaire, qui a eu des conséquences importantes. Pourtant, c’est une escroquerie. Une comtesse, qui se dit proche de la reine, va s’entremettre avec un haut dignitaire du clergé qui est en froid avec la reine. Elle va lui faire croire qu’elle est mandatée par la reine pour acheter un collier qui représente une somme colossale. Le prélat va négocier ce collier auprès des bijoutiers au nom de la reine. Il y a toute une histoire rocambolesque et il pense rencontrer Marie-Antoinette dans les jardins de Versailles, alors que c’est une aventurière qui joue son rôle. Il pense travailler pour faire avancer sa carrière, alors qu’évidemment la reine ignore tout de cette escroquerie. Le collier va disparaître très rapidement. On pense qu’il a été vendu pierre par pierre. L’affaire va éclater lorsque les bijoutiers se présentent devant le roi et la reine avec la facture et l’on va découvrir le pot aux roses. Le malheureux prélat été traduit en justice. Louis XVI a voulu faire éclater cette affaire pour innocenter la reine et cela va donner une publicité formidable à l’événement, mais tout le monde a pensé que Marie-Antoinette était responsable. Cela a conforté son image de folle dépensière, alors qu’elle était dans une période où elle cherchait à mieux gérer ses finances. Elle avait effectivement eu ce collier entre ses mains, mais elle avait renoncé à l’acheter parce qu’il était trop cher. Ce sont des injustices de l’histoire car on continue à propager une image fausse, malgré les preuves de l’innocence totale de Marie-Antoinette. Le sort de la reine est d’une tragédie terrible. C’est quelque chose qui m’a vraiment affligé, tout comme le sort de son enfant Louis XVII. »
« 49 petites histoires dans l’histoire de France », de Marc Lefrançois, est publié aux Éditions De Boeck Supérieur.