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Anne Coffinier, fondatrice de Créer son école : « Cela paraît fou que l’on interdise aux gens d’instruire leurs propres enfants. »

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Pour la première fois, des milliers de familles françaises sont privées de la liberté d’instruire leurs enfants en dehors de l’institution scolaire. L’article 49 de la loi séparatisme a fait passer l’instruction en famille (IEF) sous un régime dérogatoire soumis à l’autorisation des académies. Ainsi, ce qui était autrefois un droit est devenu, à la rentrée 2022, un véritable parcours du combattant.

Par exemple, le collectif NonSco’llectif dénonce un « mensonge d’État » : « On marche sur la tête : des familles ayant eu une autorisation l’année dernière – et obtenu un contrôle positif de la part des inspecteurs de l’Éducation nationale sur la même année – se voient cette année refuser le précieux sésame pour la rentrée 2023-2024 ! Inversement, des parents ayant essuyé un refus pour la rentrée 2022-2023, en cours de procédure judiciaire avec l’Éducation nationale, se voient, avec le même dossier obtenir une autorisation… Plus massivement, et partout en France, des milliers de familles se sont vu refuser le droit de pratiquer l’IEF (Instruction en famille) pour des motifs injustes et arbitraires. Pour les familles qui résistent à cette loi, certaines se voient convoquées devant le procureur de la République, tels des criminels… Leur crime ? Être des parents investis dans l’éducation de leurs enfants ! »

Nous évoquons ce sujet avec Anne Coffinier, fondatrice de Créer son école. Association à but non lucratif, cette structure forme, promeut, défend et accompagne juridiquement les écoles libres, dans le but d’offrir à tous les enfants des choix éducatifs alternatifs, qualitatifs, variés et financièrement accessibles.

Extraits de l’entretien

Kernews : Il y a de plus en plus de collectifs qui se mobilisent en découvrant que l’instruction à la maison n’est plus possible, au nom de la lutte contre le radicalisme. Or, cela concerne des milliers de familles en France. La situation s’est-elle durcie du côté du gouvernement ?

Anne Coffinier : Le gouvernement a décidé d’interdire l’école à la maison en 2021 par principe, en permettant quelques dérogations, notamment si les parents sont itinérants, si l’élève est malade, s’il a une activité sportive de haut niveau, ou s’il y a un besoin propre. Ce dernier cas a d’ailleurs été interprété de façon très restrictive. L’Éducation nationale n’a pas du tout envie que des élèves fassent l’école à la maison, à part des handicapés ou des malades. Donc, dans la plupart des académies, elle est très réticente. Les malheureux parents qui font de l’instruction en famille n’ont aucune visibilité actuellement. Le cas qui me rend le plus triste actuellement est vraiment celui du harcèlement. Quand vous avez un enfant qui est harcelé, honnêtement, la seule chose à faire, avant que cela soit éclairci par le proviseur et les professeurs, c’est de sortir l’enfant. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Vous ne pouvez pas sortir votre enfant, parce qu’il est harcelé à l’école, et vous ne pouvez pas recourir à l’instruction en famille sans autorisation. C’est un grave recul. Les parents sont les principaux responsables des enfants et, lorsque l’enfant est en danger, parfois même en danger de mort, ils doivent sauver leur enfant en attendant de trouver une solution. L’État a dit que le harceleur serait viré de l’établissement en cas de harcèlement, c’est gentil, mais c’est au bout du processus, lorsque les responsabilités ont été identifiées. Dans la vraie vie, il y a un état assez indéterminé pendant un certain temps. On voit que l’enfant est très mal, et donc, la première chose à faire, c’est de le sortir de ce milieu. Ce réalisme est nié par l’État qui, par idéologie, explique que toute démarche d’instruction en famille relève d’une forme de séparatisme, qu’elle est malvenue, et que l’État, au nom de l’unité nationale, doit la réduire à sa plus petite expression.

N’est-ce pas aussi une volonté de mettre les enfants sous le contrôle idéologique de l’État, un peu à la George Orwell ?

C’est un peu cela. Depuis la Révolution française, il y a cette idée que c’est très bien que l’école apprenne à lire, écrire et calculer, mais elle doit aussi donner un substrat politique, notamment dans le rapport à l’État, qui est toujours valorisé, et une certaine forme de relativisme ou de refus vis-à-vis de Dieu. L’État distille une morale à travers la déconstruction d’un certain nombre d’idées qui faisaient partie de la morale commune. Cette approche de l’État est très prégnante en France, par rapport à d’autres pays, et il est assez compliqué de savoir autour de quelles valeurs positives l’État va pouvoir agréger ces enfants. Cela me fait penser à la récente annonce du président de la République, qui veut introduire une discussion sur une valeur fondamentale de la République. Je ne sais pas comment les professeurs vont choisir les textes en question, mais nous avons un corpus institutionnel. On a des grands textes qui font notre identité culturelle et républicaine, donc on n’a pas besoin d’aller chercher cela en plus. Normalement, la construction identitaire se fait en étudiant l’histoire, la géographie ou la philosophie, on n’a pas besoin d’aller au-delà. La France a donc une approche très bizarre, très contrôlante…

La situation est-elle différente dans les autres pays ?

Il y a une grande variété sur ce sujet, mais c’est certainement la France qui donne le plus d’importance à l’État en opposition à la famille.

Il y a un malaise, comme si la famille était toujours quelque chose d’un peu obscurantiste ou réducteur

Vous êtes pourtant minoritaire dans votre combat, car beaucoup de gens sont pour cette prise en charge de l’État et associent l’instruction dispensée en famille à un phénomène sectaire…

Ce n’est pas faux ! Effectivement, parmi les gens qui font de l’instruction à la maison, il y a des gens qui ne brillent pas par un équilibre fou, sans doute par idéalisme, ou par une approche trop systématique du réel. Nous sommes à une époque où il y a de fortes mutations et l’on ne peut pas non plus imposer à son enfant une clé de lecture extrêmement dogmatique. Il faut avoir une certaine forme de souplesse. Toute éducation doit intégrer une part de doute, on ne peut pas être affirmatif sur tout, tout le temps. Face à cela, il y a une forme de méfiance de l’État et cela peut se comprendre. Éduquer, c’est aussi sortir l’enfant du giron de la famille pour l’amener à la société et cela passe par plusieurs étapes. Mais cela ne veut pas dire éduquer contre la famille. Il y a un vrai problème avec la diversité en France, notamment la vision culturelle portée par les familles et il y a des ancrages linguistiques ou régionaux qui doivent être respectés. Donc, face à cela, il y a un malaise, comme si la famille était toujours quelque chose d’un peu obscurantiste ou réducteur. Non, il faut faire confiance à tout cela, à condition que l’État, dans son enseignement, joue son rôle. Le problème vient surtout de l’effondrement de ce que transmet l’État. Moins l’État arrive à transmettre quelque chose dans le cas de l’école, plus l’influence des familles est prégnante.

L’instruction à la maison était à l’origine de votre combat et l’on observe maintenant qu’il y a des barrières mises en place par l’État. Vous incitez à la création de nouvelles écoles : est-ce une manière de contourner le problème ?

J’ai toujours considéré que la liberté scolaire était essentielle et que cela concernait aussi la liberté d’élever ses propres enfants. C’est la base dans un Etat de droit et dans une démocratie, cela paraît fou que l’on interdise aux gens d’instruire leurs propres enfants. Vous pouvez avoir des gens qui sont des agrégés et qui n’ont pas le droit d’instruire leurs propres enfants. Il y a aussi le fait de pouvoir créer ou rejoindre une école libre. J’ajoute que l’école publique a été mise au pas et la liberté des professeurs a été extraordinairement réduite. On fait des professeurs des gens qui sont les réceptacles d’une multitude de circulaires et d’instructions diverses. Tout cela rend extrêmement difficile la vie des professeurs. Donc, le combat pour la liberté scolaire ne se fait pas que sur un segment, mais sur la totalité des choses. La liberté scolaire c’est le fait de choisir les modalités qui vous paraissent les plus adaptées pour enseigner aux enfants. Dans une même famille, vous pouvez avoir un enfant dans une école publique, un autre dans une école sous contrat, et un autre qui fait l’école à la maison et qui prend des cours par correspondance… Cela n’a pas de sens de décerner des titres de républicanisme ou d’antirépublicanisme.

Il y a beaucoup d’écoles indépendantes

Maintenant, on voit se développer des toutes petites écoles…

Il y a beaucoup d’écoles indépendantes. En Bretagne, il y a les fameuses écoles Diwan qui transmettent une logique régionaliste, avec l’enseignement du breton, et je trouve intéressant pour une région de garder son patrimoine linguistique et culturel. Il est aussi intéressant d’avoir cette logique d’implication de la société civile : pourquoi tout recevoir de l’administration, les acteurs de terrain peuvent très bien se prendre en main face à un problème, c’est ce qui fait la vitalité d’un territoire. La liberté scolaire, c’est simplement le fait que les gens réfléchissent face à un enjeu, pour créer, comme c’est le cas pour une logique entrepreneuriale quelconque.

Le rôle de votre association est-il aussi de fournir une boîte à outils pour permettre à des parents de créer une école ?

Oui, notre association va fêter ses 20 ans et nous voulons aider les gens qui veulent s’emparer de leurs responsabilités et de leur liberté éducative, à créer une école. Il y a effectivement des micro-écoles, ce sont des toutes petites écoles qui sont nées à la suite de l’interdiction de l’instruction en famille, notamment en ruralité.

On observe, comme l’année dernière, une très forte partie des écoles qui sont créées dans des communes de moins de 5000 habitants

Comme l’instruction la maison devient quasiment impossible, les petites écoles privées vont-elles se multiplier ?

C’est déjà le cas. On observe, comme l’année dernière, une très forte partie des écoles qui sont créées dans des communes de moins de 5000 habitants. Après la crise sanitaire, beaucoup de gens ont voulu s’installer dans des endroits où il fait bon vivre et, maintenant, ils se rendent compte qu’il n’y a pas d’école sur place, donc ils veulent créer une petite école. Il y a aussi cette notion d’enracinement qui a disparu de l’école publique. L’école publique est un peu la même partout, alors qu’il est intéressant de faire penser les choses aux enfants à partir de leur ancrage culturel, géographique, historique ou linguistique.

Écrit par Rédaction

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