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Apprenons l’économie avec Michel Audiard

Sylvain Bersinger est économiste pour le cabinet Asterès et il a eu une idée originale : expliquer l’économie à partir de quelques répliques célèbres de Michel Audiard. L’auteur n’est pourtant pas de la génération Audiard : « J’ai 35 ans et Michel Audiard, c’est plus la génération de mes parents. Mais je pense qu’il est assez intemporel. Je connais beaucoup de gens d’une vingtaine d’années qui connaissent les répliques des films de Michel Audiard et c’est peut-être aussi un moyen de le faire redécouvrir, via le prisme de l’économie… » Déjà, son livre permet de rappeler que l’économie, c’est d’abord du bon sens : « Il y a beaucoup de bon sens. Certaines intuitions peuvent être trompeuses, mais l’économie apparaît toujours comme quelque chose d’assez compliqué, alors que l’on peut dire des choses très utiles avec des mots simples. Dans un film policier à la Michel Audiard, avec quelques répliques sur l’impôt ou la monnaie, on peut avoir quelques intuitions grâce à des accroches de bon sens. J’ai voulu dédramatiser l’économie, qui apparaît comme une science lugubre, et montrer que l’on peut comprendre beaucoup de choses par de simples mécanismes intuitifs. Cependant, il y a beaucoup d’erreurs dans les idées reçues, d’où la nécessité de faire de la vulgarisation. Les économistes ne font pas forcément beaucoup d’efforts et de pédagogie, ils aiment bien rester dans leur tour d’ivoire, parce que cela leur permet d’asseoir leur autorité morale. Ce n’est pas la seule profession qui fait cela, mais c’est quand même assez vrai dans l’économie. Si on n’essaye pas de se pencher sur les mécanismes de l’économie, qui sont parfois simples, on peut commettre rapidement des erreurs, alors qu’il n’est pas très compliqué d’avoir les mécanismes les plus importants. »

Par exemple, l’aphorisme « La bêtise est un placement de père de famille » permet d’expliquer la spéculation : « En finance, le rendement est toujours lié au risque. Quand il y a un rendement élevé sur un placement, cela signifie qu’il y a toujours un risque élevé. Ce n’est pas quelque chose de très intuitif pour la personne qui n’a pas de formation, mais cela s’explique assez bien une fois que l’on met les mains dans le cambouis. Actuellement, on voit de nombreux placements autour des cryptomonnaies. On promet monts et merveilles à des épargnants, avec des rentabilités gigantesques, mais il faut avoir en tête que tout rendement élevé est associé à un risque élevé. Si vous avez un Livret A, le rendement sera très faible, mais ce sera garanti. Si vous spéculez sur le bitcoin, vous pouvez tout perdre, comme vous pouvez décupler votre mise. Aujourd’hui, on voit fleurir sur Internet un tas de courtiers à l’honnêteté aléatoire, qui peuvent promettre des rendements très élevés, sans préciser que le risque est aussi très élevé. Donc, il n’est pas nécessaire d’être un grand économiste pour comprendre cela ».

Prenons un autre exemple emprunté à Michel Audiard : « 2 milliards d’impôts, je n’appelle plus cela du budget, mais de l’attaque à main armée ! ». Cette phrase permet à l’économiste de revenir sur l’épisode de la crise sanitaire, qui a coûté beaucoup d’argent : « Michel Audiard n’aimait pas trop l’impôt, en tout cas ces personnages râlent toujours contre les impôts, mais il faut rappeler que, derrière, il y a les services publics. Pendant la crise sanitaire, l’économie était à l’arrêt. L’État a dû éponger les pertes potentielles pour les entreprises et les ménages, et la dette publique a augmenté. Maintenant, avec la forte inflation, la création monétaire n’est plus du tout la même. Cet épisode Covid est tristement intéressant, car nous avons eu une économie complètement à l’arrêt avec un État qui est venu compenser les pertes pour les agents économiques et les ménages. C’était possible à l’époque, mais ce ne serait plus possible aujourd’hui dans un contexte inflationniste ». Plusieurs répliques évoquent aussi les riches et cela permet à Sylvain Bersinger de s’insurger contre les caricatures actuelles : « Entre l’économie, la politique, et la vision que l’on peut avoir de la société, le lien est rapide. J’essaye de ne pas trop m’engager et de rester assez neutre en disant des choses qui seraient partagées par la majorité des économistes. Évidemment, ce que l’on pense transparaît inévitablement. L’écho médiatique ne reflète pas forcément la réalité de ce que pensent les économistes ».

Michel Audiard parle aussi des femmes et de l’argent à travers plusieurs répliques amusantes, mais politiquement incorrectes : « Déjà, à son époque, il aimait bien faire de la provocation, il n’était clairement pas un féministe. Dans tous ses dialogues, la femme recherche clairement un homme riche pour essayer de se faire entretenir et d’avoir un train de vie élevé aux frais d’un mari ou d’un amant. Il y a chez lui une volonté de satire. À partir de ces extraits, on peut aborder d’autres sujets, comme le rôle des femmes dans l’économie, qui est un point absolument essentiel. Les Trente glorieuses de l’après-guerre sont une période où les femmes arrivent massivement sur le marché du travail, ce qui permet d’enrichir le pays. Les femmes, c’est la moitié d’une population. Selon que les femmes sont plus ou moins intégrées dans la vie économique, cela change toute la trajectoire d’un pays ». Cela donne à Sylvain Bersinger l’opportunité d’évoquer l’Arabie Saoudite, un pays en apparence prospère, tant qu’il y aura du pétrole. Or, il estime qu’il va plonger rapidement dans la pauvreté, parce que les femmes n’y sont pas prises en considération : « C’est un pays où les femmes ne comptent pas et l’économie ne s’est pas développée au-delà du pétrole, car c’est une économie purement de rente. C’est un pays qui a la chance, ou le malheur, d’avoir son sous-sol gorgé de pétrole. Le problème arrivera lorsque cette rente va disparaître. Ce pays n’a pas cherché à développer de nouvelles technologies. Il laisse une bonne partie de sa population en dehors de l’activité économique, donc c’est une économie de rente. Ce n’est pas avec des rentes minières ou pétrolières que l’on s’enrichit durablement. On s’enrichit lorsque l’on a de la technologie, de l’innovation et de l’intelligence. Il n’y a de richesses que d’hommes, c’était vrai à la Renaissance, et c’est toujours vrai aujourd’hui. »

Ainsi, à travers de nombreuses illustrations, on apprend que l’économie, c’est aussi de l’observation : « On ne pourrait pas être un bon économiste simplement en se promenant dans la rue, mais on ne pourrait pas être non plus un bon économiste en étant constamment dans les chiffres. L’économie est une discipline à la croisée de beaucoup de choses, avec une partie quantitative et chiffrée, mais c’est aussi une discipline qui touche à la politique et à la géopolitique. On touche également à la sociologie et à la psychologie. Quand on fait de l’économie, on est obligé d’être curieux ». Enfin, dans son livre, Sylvain Bersinger évoque à plusieurs reprises les cryptomonnaies en les qualifiant de « pièges à gogos » : « La plupart des économistes sont assez sévères sur cette question des cryptomonnaies. Dans mon livre, lorsque je mets les pieds dans le plat, je le fais quand je pense qu’une majorité de la profession serait d’accord avec moi. Parmi les gens que l’on entend vanter les mérites du bitcoin, il y a très peu d’économistes. On ne comprend pas trop pourquoi le bitcoin et d’autres cryptomonnaies auraient une telle valeur. Il y a beaucoup de marketing et on nous explique que c’est très compliqué, que l’on ne peut pas comprendre, mais il faut quand même enlever le vernis commercial et aller au fond des choses. À mon avis, le bitcoin n’a pas beaucoup de valeur, il y a un effet de mode. C’est un cours qui est totalement imprévisible, il peut doubler ou s’effondrer totalement. Cela va peut-être s’effondrer à long terme, je n’ai aucune idée sur la date précise, mais c’est assez inévitable. »

« Apprenons l’économie avec Michel Audiard » de Sylvain Bersinger est publié aux Éditions Marie B.

Écrit par Rédaction

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