L’acteur revient sur le film « Des hommes et des dieux » et nous fait partager ses souvenirs d’enfance…
À l’occasion du festival de Cinéma et Musique de Film de La Baule qui s’est déroulé le 7 novembre dernier, un hommage a été rendu à Michael Lonsdale pour l’ensemble de sa carrière cinématographique. Il vient de publier deux livres, « Luc, mon frère » et « Pèlerin à Tibhirine », un portrait intime et émouvant des Frères de Tibhirine, car son interprétation de Frère Luc dans « Des hommes et des dieux » l’a profondément marqué. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur ce film qui a bouleversé sa carrière. Par ailleurs, pour l’une des toutes premières fois, il évoque ses souvenirs d’enfance.
« Luc, mon frère » de Michael Lonsdale est publié aux Éditions Philippe Rey.
« Pèlerin à Tibhirine » de Michael Lonsdale est publié aux Éditions Salvator.
Kernews : Il y a eu votre rôle dans le film sur les moines de Tibhirine et vous avez écrit un livre sur leur histoire, on peut presque dire que vous vous êtes imprégné de l’âme de Frère Luc…
Michael Lonsdale : J’ai été très surpris et ému de voir, quand j’ai tourné ce film, ce que ces gens ont choisi de faire. Cela m’a beaucoup touché. Je voyais ce que Luc disait avec ses patients, 47 ans de travail, tous les jours de sept heures du matin jusqu’à dix heures le soir, quand ce n’était pas minuit…. C’est hallucinant. Je me sentais très près de lui et je voulais comprendre ce dilemme, entre partir et rester. Il aimait le genre humain, peu importait que ce soient des Arabes ou des Français, c’était l’être humain. C’est pour cette raison que beaucoup de gens viennent encore sur sa tombe. Beaucoup d’Algériens viennent lui faire une petite visite, parce qu’il leur a sauvé la vie à un certain moment. C’est un personnage hallucinant et vraiment courageux.
Il demeure un mystère sur l’assassinat des moines de Tibhirine, notamment sur le fait que ce ne seraient pas les islamistes qui les auraient assassinés, mais l’armée algérienne. D’ailleurs, dans le film, il y a un élément intéressant : vous ouvrez la porte aux islamistes le soir de Noël, vous leur expliquez que vous fêtez la naissance d’Aïssa (Jésus en arabe) et ils marquent un signe de respect. À partir de là, un sentiment de compréhension naît entre les moines et les islamistes du GIA. Qu’en pensez-vous ?
Les islamistes n’étaient pas hostiles, Frère Luc leur a expliqué la signification de Noël et les islamistes sont partis. Mais le chef de ces islamistes a été lynché après et on a demandé à Frère Luc d’aller identifier la dépouille de ce garçon. Cet assassinat des moines de Tibhirine est très mystérieux. On ne sait pas, on ne saura jamais. Je pense que les Arabes ont respecté les moines. Il y a cette fameuse soirée où ils sont tous autour de la table. Au moment du tournage, Xavier Beauvois était presque en larmes et il nous a demandé d’exprimer ce que nous ressentions dans nos personnages. Après, ils ont été kidnappés. C’est un sacrifice…
Le drame continue tous les jours, avec les chrétiens d’Orient qui sont persécutés…
C’est scandaleux, je ne trouve pas les mots… On se croirait au Moyen Âge. On tue tout le monde, c’est le bordel total !
Ce film « Des hommes et des dieux », qui a ému des millions de Français, a été tourné au Maroc, cela a dû vous rappeler quelques souvenirs d’enfance…
J’ai passé mon enfance à Casablanca, mais le tournage s’est fait dans le nord du Maroc. Mon premier souvenir, c’est la chaleur : lorsque je suis arrivé, enfant, il faisait 45 degrés sur le port de Casablanca, le 15 août 1939, et la guerre a été déclarée le 3 septembre 1939. Que d’émotions ! Mon père voulait retourner en Angleterre, il avait été soldat dans le temps, or tous les visas ont été arrêtés. Alors, nous sommes restés à Casablanca. Il a pu continuer de travailler, il avait un contrat jusqu’à la mi 40 et, après, c’est parti dans tous les sens. Nous sommes partis pour Rabat car Maman y avait une amie très généreuse et il était important d’aller là-bas. Mais mon père a été arrêté avec tous les Anglais du Maroc. J’étais à l’école chez une vieille dame charmante qui nous faisait des goûters, je m’en souviens encore. On sonne, elle vient me dire qu’un monsieur veut me parler et il me dit : « Bonjour mon petit, je viens te chercher parce que l’on vient d’arrêter ton papa et il faut que tu rentres chez toi… » J’avais une dizaine d’années. Maman était en pleurs, mon père faisait la tête, il devait aller au commissariat pour se livrer et nous sommes partis à pied. On s’est embrassé et il est parti. C’était très pénible pour un gosse comme moi, car je ne comprenais pas ce qu’il avait fait. Mon père était anglais et il avait été placé dans une école à l’âge de 14 ans pour devenir militaire. Ensuite, nous avons séjourné à Port Lyautey, une ville au nord de Rabat, et Maman avait été voir le chef français pour lui demander pourquoi son mari avait été arrêté. Ce monsieur a réfléchi et il a répondu : « Je vais m’arranger pour que votre mari soit libéré et pour qu’il puisse venir près de Casablanca, à Settat ». Nous avons pris le train, j’ai vu des mitrailleuses partout, nous nous sommes arrêtés à Casa pour changer de train, c’était bourré de monde. Et à Settat, nous sommes allés au centre de la ville jusqu’au premier hôtel. Mon père a pu donner des leçons d’anglais pendant tout le temps de la guerre car, malgré les événements, des gens voulaient quand même apprendre l’anglais… C’était une vie très étonnante dans une petite maison arabe. Il y avait une terrasse au premier étage qui donnait sur la cour de la prison des femmes. Maman parlait l’arabe, parce qu’elle avait été élevée en Algérie. Elle parlait avec les femmes qui étaient dans la cour et, de temps en temps, ces femmes étaient en révolte. C’est un souvenir inoubliable… Une trentaine de femmes qui se mettent à crier et à pleurer… Je tremblais, cela me faisait peur, je voyais le gardien arriver avec un bâton : au bout d’un moment, il leur tapait dessus pour les obliger à rentrer dans la prison… Le reste du temps, Maman leur jetait des cigarettes ou des bonbons. Un matin, on entend à la radio un bruit de canon et la voix du général Eisenhower qui annonce le Débarquement. Mon père a été libéré à la condition d’aller signer sa présence tous les matins au commissariat et nous sommes partis à Casablanca, où il a fait de la traduction. J’avais peur d’y aller, parce que l’on disait qu’il y avait des tanks et des soldats. Une amie nous a reçus dans un appartement et, comme je parlais l’anglais, j’étais le gosse à qui l’on apportait du chocolat, des chewing-gums et même des montres pour que je fasse des traductions. J’allais dans un café de Casablanca et j’ai vécu des moments presque grandioses. Les soldats américains bien huppés avaient deux tenues, une pour l’été et une autre pour l’hiver, alors que les pauvres Anglais n’avaient qu’une seule tenue. Cela n’empêchait pas tout le monde de boire, et moi avec… C’est là où j’ai commencé à boire de la bière… J’ai vu des soldats s’injurier dans ces grandes brasseries de Casablanca avec des vitres qui montaient jusqu’au plafond, les soldats prenaient les petites tables rondes pour tout jeter dans les vitres et j’ai vu les vitraux s’effondrer… La police militaire est arrivée, je me suis débiné, c’était presque sauvage. J’arrive à la maison, Maman voit que je ne suis pas dans un état normal, parce que j’avais bu de la bière, et elle m’explique que l’on ne doit pas boire de bière à mon âge… Après, les officiers américains étaient fortement présents, un capitaine a proposé que j’aille dans une pension en Angleterre, j’ai vu Maman rugir, car elle voulait que je reste avec elle et que j’aille à l’école à Casablanca. Je suis allé dans une petite école de quartier. Je n’étais pas un élève très brillant, mais on ne pensait qu’à la guerre. Et j’ai vu des milliers de soldats et de tanks, j’ai vu tout l’Empire britannique débarquer, des Indiens, des Canadiens… C’était fou !
Votre vocation d’acteur est d’ailleurs née sur Radio Maroc…
C’était beaucoup plus tard. Mon père s’est engagé comme simple soldat à Alger pour préparer le débarquement en Sicile. Il a fait toute la campagne d’Italie jusqu’en Yougoslavie, mais une bombe a explosé. Il n’a pas été touché, mais il a été rendu sourd. On l’a ramené en Angleterre et nous sommes allés le rejoindre bien après la guerre. Mais c’est vrai, j’ai vécu tellement de choses au Maroc ! J’allais souvent au cinéma et j’allais même voir des films interdits aux moins de 21 ans…
Les jeunes s’arrangent toujours au Maroc, même lorsque les films sont interdits aux mineurs !
Ça continue encore, alors ! J’ai vu des films formidables. Je me souviens encore de celui de John Ford avec cette histoire d’une famille qui essaie d’aller à New York en voiture. Après, la vie de Maman a changé. Elle a rencontré un autre homme et nous sommes allés habiter à Rabat. C’était autre chose. Là où nous habitions, il y avait un garçon de mon âge qui m’a proposé d’aller à la radio, parce qu’ils cherchaient des enfants pour enregistrer des émissions. J’arrive à Radio Maroc et je tombe sur une gentille dame qui me dit : « Merci de venir, ici on chante, on fait des belles histoires et, en ce moment, je suis en train de faire Blanche Neige et les sept nains ». Elle me regarde et elle me propose de faire Atchoum… Cela a bien marché. Cela m’a plu et je me souviens de toutes ces séances dans l’auditorium de Radio Maroc. J’ai fait des tas de choses et je n’aurais jamais raté cela pour un empire… Voilà comment j’ai commencé, finalement…