Charles Gave est un essayiste, financier et entrepreneur, dirigeant fondateur de Gavekal, société de conseil financier, et président de l’Institut des Libertés. Cet économiste libéral est connu pour ses prises de position sans langue de bois. Nous évoquons avec lui l’actualité économique et le marché immobilier qui figure au cœur de tous les débats.
On risque de rentrer dans une période structurelle de stagnation et de baisse du niveau de vie.
Kernews : Les études indiquent une baisse de l’inflation, mais soulignent que les prix ne reviendront plus au niveau de 2021, avant le choc inflationniste, et le cabinet Asterès estime que les gains de pouvoir d’achat doivent donc passer par une hausse des salaires. Qu’en pensez-vous ? Cela signifie-t-il que nous avons tous dégringolé quelques marches dans notre niveau de vie ?
Charles Gave : Bien sûr, mais c’est une erreur de penser qu’il suffit d’augmenter les salaires. La hausse des salaires entraîne une hausse du niveau de vie seulement s’il y a des gains de productivité. S’il n’y a pas de gains de productivité et si les salaires montent, il n’y a que deux possibilités : soit les profits des sociétés baissent, donc le ralentissement économique sera profond et, si les profits ne baissent pas, l’inflation repartira. Donc, ceux qui disent que l’inflation va s’arrêter en pensant que l’inflation est arrivée par hasard et qu’elle disparaîtra aussi par hasard se trompent. L’inflation, c’est subventionner des dépenses qui ne rapportent rien avec de l’argent qui n’existe pas. Nous sommes dans un processus dynamique d’appauvrissement pour une raison assez simple, c’est que le poids de l’État dans l’économie est passé de 30 % à plus de 60 % du PIB en 30 ans. Il n’y a pas de transactions volontaires, il n’y a pas de création de valeur et il n’y a pas de faillite dans l’État. Il y a 30 ans, on avait 70 % de notre économie qui fonctionnait selon les principes darwiniens du capitalisme. Aujourd’hui, on est à 40 %. Donc on se rapproche de plus en plus de l’Union soviétique. On risque de rentrer dans une période structurelle de stagnation et de baisse du niveau de vie.
Vous citez l’Union soviétique : le système soviétique est-il en train de s’appliquer dans le domaine de l’immobilier aujourd’hui ?
Oui, puisque les gens qui nous gouvernent ont amené l’État à plus de 60 % du PIB, ce qui est de la folie, sans créer la moindre valeur en face. S’ils avaient créé de la valeur en face, il n’y aurait pas de dette aujourd’hui. La dette est la contrepartie d’une hausse du niveau de vie de l’État qui n’a pas été financée par de la création de valeur, mais par de l’émission de dette. Ils ignorent comment payer cette dette. Nous rentrons dans une période curieuse, puisque chaque année il va y avoir à peu près 500 milliards d’euros de dettes qui arriveront à échéance et qui devront être renouvelées. On sait tous que la France ne peut pas servir cette dette. Donc, nous sommes soumis au bon vouloir des étrangers qui achètent cette dette. Mais à un moment ou un autre, on va devenir l’Argentine. Les financiers vont se demander pourquoi ils devront encore mettre de l’argent dans ce pays pour qu’il continue de vivre au-dessus de ses moyens, alors que les Français seront toujours incapables de les rembourser. Donc, comme l’État n’a plus d’argent, il va maintenant chercher à vous piquer l’immobilier.
On veut nous faire vivre dans des cages à lapins dont le sol appartiendra l’État
Est-ce la nouvelle cible ?
Oui. On veut nous faire vivre dans des cages à lapins dont le sol appartiendra l’État, c’est-à-dire que l’on va nationaliser le foncier. C’est la lente dérive d’une société de liberté vers une société de dictature. On voit que l’État est finalement prêt. Il s’est bien entraîné avec la crise de la Covid, qui n’était qu’une répétition pour l’étape suivante, avec le CO2, puisque vous n’aurez plus le droit de prendre l’avion ou de rouler en voiture. On le voit arriver gros comme une maison !
Sur le plan dialectique, lorsque l’on évoque le bail réel solidaire, qui est mis en œuvre par plusieurs communes – c’est-à-dire que le foncier appartient la collectivité – beaucoup de gens trouvent que c’est très bien, puisque cela permet de faire baisser les prix de l’immobilier…
C’est une bonne question. Je vous renvoie à la vieille blague des dindes qui voient arriver leur maître qui les nourrit tous les jours. Chaque fois qu’il vient pour les nourrir, les dindes trouvent que ce gars est très bien, donc il est très populaire. Mais quelques jours avant Noël, il vient, non pas pour les nourrir, mais pour leur couper le cou… On a rendu les gens de plus en plus dépendants au fil des années, donc ils applaudissent au fait de devenir de moins en moins libres, en oubliant que la condition de l’animal domestique implique à la fin la boucherie.
Dès que l’État a un siège au conseil d’administration d’une société, il ne faut surtout pas l’avoir dans son portefeuille !
Les plus jeunes doivent-ils quitter la France ?
S’ils ont des enfants, ma réponse est oui, parce qu’il sera de plus en plus difficile d’élever des enfants dignement dans ce pays. S’ils n’ont pas d’enfants, pour ceux qui en sont capables, il faudra se préparer à se défendre et à se battre. Pour ceux qui ont un peu d’épargne aujourd’hui, il est évident que le but de ce gouvernement est de piller les épargnes en les nationalisant. C’est donc la mort du rentier. Donc, mon conseil, c’est de ne plus rien avoir qui soit dépendant de l’État. On vous aurait annoncé il y a 10 ans qu’il allait y avoir une crise énergétique, vous auriez acheté plein d’actions EDF en vous disant qu’ils sont partout où il faut être. Mais les crétins qui nous gouvernent ont réussi à foutre en l’air EDF ! Donc, dès que l’État a un siège au conseil d’administration d’une société, il ne faut surtout pas l’avoir dans son portefeuille ! Vous savez bien qu’il va piller cette société, comme il nous a tous pillés. Par contre, des sociétés qui n’ont rien à voir avec l’État, comme L’Oréal, Air liquide ou Schneider, vous pouvez les avoir. Donc, votre épargne doit être dans des sociétés qui sont sorties de France. Vous n’êtes pas obligé de sortir de France, parce que l’on aime énormément ce pays, mais aujourd’hui votre épargne doit être ailleurs à travers ces sociétés. Prenez une société comme L’Oréal, son chiffre d’affaires français ne doit être que de 5 à 6 %… Elle est déjà dans le vaste monde où la liberté est en train de gagner partout, notamment en Asie et dans l’Océan Indien. Il y a des choses extraordinaires qui se passent à l’extérieur, mais la façon dont nous sommes gouvernés nous interdit d’en profiter. Donc, il faut avoir ses actifs ailleurs. Depuis 40 ans, nous n’avons plus de système productif en France, mais le système productif contrôlé par des Français hors de France est considérable. Les gens me disent que l’immobilier est une très bonne chose, mais on ne peut pas mettre sa maison dans un train pour Bruxelles…
Soljenitsyne est une sorte de prophète qui avait tout compris
On se souvient des déclarations d’Alexandre Soljenitsyne qui avait annoncé que ce que l’Est a connu, l’Ouest va le connaître, alors que la liberté va renaître à l’Est dans un mouvement d’inversion. Aujourd’hui, ces propos prennent tout leur sens… Qu’en pensez-vous ?
C’est évident, Alexandre Soljenitsyne est une sorte de prophète qui avait tout compris. Vous avez connu la fin de l’Union soviétique, c’est-à-dire le moment où tout le monde savait que cela ne marchait pas. C’était moralement insoutenable, mais personne n’osait bouger parce que tout le monde avait la trouille. Aujourd’hui, en France, nous sommes dans les années Brejnev. Donc, il va se passer quelque chose. Mais il est très difficile d’envisager ce qui peut se passer, puisque nous ne sommes plus dans un monde rationnel. Il n’y a pas de sortie rationnelle sur le plan économique, puisque nous sommes arrivés à un tel degré de dégradation de la société, qu’il ne peut plus y avoir de solution autre que politique. Cela peut être une espèce d’anarchie, ou une prise de conscience et un rebond, comme ce qui s’est passé en Angleterre avec Madame Thatcher. Mais nous ne sommes plus dans les temps où les choses peuvent se guérir par elles-mêmes. Il faut une volonté politique très forte pour qu’il y ait un changement.
Dans toute une série de grands pays au monde, notamment en France et aux États-Unis, la classe politique est une classe criminelle.
Vous évoquez l’époque de Leonid Brejnev où tout le monde savait que le système ne fonctionnait pas. Mais aujourd’hui, une grande partie de nos compatriotes sont convaincus que les choses marchent bien…
Ce sont les crétins surdiplômés qui sont obsédés par leurs tableaux Excel et qui ne comprennent pas les concepts. Ils sont à la recherche de solutions techniques, mais ne comprennent pas les concepts, comme la démocratie ou le droit de propriété. Ils ne comprennent pas que notre société est venue d’une réflexion du philosophe John Locke, sur le droit de propriété, le contrôle de l’impôt par les citoyens, et aucune tolérance à l’égard de ceux qui ne respectent pas la loi. Aujourd’hui, le droit de propriété est battu en brèche. Les citoyens ne contrôlent absolument pas les dépenses de l’État, ne serait-ce que par les émissions de dette, puisque ce sont les petits-enfants qui paieront l’impôt. En ce qui concerne l’intolérance pour ceux qui ne respectent pas la loi, on sait que c’est le contraire. On est passé d’une société fondée sur ces trois principes, à une société qui cherche à détruire chacun de ces trois principes. On a déjà eu cela dans l’histoire, notamment avec l’Argentine, qui avait le deuxième niveau de vie du monde en 1945, tout comme le Venezuela : or ce sont aujourd’hui des pays vendus à la corruption et à la mafia. Quand il n’y a plus le respect de la loi, c’est la mafia qui règne en maître. La mafia peut être une sorte de mafia financière, comme celle qui nous gouverne aujourd’hui. Dans toute une série de grands pays au monde, notamment en France et aux États-Unis, la classe politique est une classe criminelle.