L’économiste et analyste financier redoute une nouvelle tempête sur les marchés financiers.
Économiste et financier, Charles Gave est président de l’Institut des Libertés. Il s’est fait connaître auprès du grand public en 2003 avec un essai pamphlétaire intitulé « Des lions menés par des ânes : Essai sur le crash économique (à venir mais très évitable) de l’Euroland en général et de la France en particulier » où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage, « Sire, surtout ne faites rien » publié aux Éditions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleures chroniques produites par l’Institut des Libertés ces dernières années. Charles Gave est également le fondateur et le président de la compagnie financière Gavekal, basée à Hong-kong. Nous lui avons demandé quelle est son analyse sur la situation économique de notre pays.
Kernews : Vous aviez publié en 2016 « Sire, surtout ne faites rien ! », que l’on a vu figurer en tête des rayonnages dans de nombreuses librairies, mais on a le sentiment que nos dirigeants politiques ont surtout retenu « ne faites rien ». Est-ce le constat que vous dressez depuis un an et demi ?
Charles Gave : C’est tout à fait le constat que je fais. Quel est le problème de la France, si l’on analyse cela en essayant d’être objectif ? Nous avons un État qui souffre d’obésité, avec 56 % du PIB, ce qui est le chiffre le plus élevé en Europe aujourd’hui. La grande tâche de tout gouvernement qui arrive serait de réformer l’État, notamment notre système fiscal et de retraite. Or, le gouvernement a essayé de réformer le système privé qui n’avait pas besoin de cela. On se retrouve dans un monde très curieux, où l’on a l’impression que le gouvernement actuel tape sur les petites gens, par l’intermédiaire du droit du travail – certes, il fallait le réformer, mais ce n’était pas une urgence – réforme la SNCF, tape sur les retraités, mais il laisse les aristocrates de l’État bien à l’abri. On a l’impression que le gouvernement dit aux gens : « Vous devez travailler plus, parce qu’on a du mal à tenir ! »
Vous êtes un libéral et vous parlez presque comme Mélenchon !
Je parle presque comme Mélenchon parce que je suis un libéral. Mais un libéral, c’est quelqu’un qui réclame l’égalité de tous devant la loi. Le libéralisme, ce n’est pas une série de recettes économiques qui permettent une meilleure exploitation de l’homme par l’homme, c’est en fait l’égalité de tous devant la loi. Or, aujourd’hui, nous avons deux catégories de citoyens : ceux qui sont à l’intérieur de l’État et qui sont protégés, et ceux qui ne sont pas à l’intérieur de l’État et qui sont massacrés. Un homme comme Mélenchon constate que les petites gens sont massacrées, cela le perturbe, mais il n’y a pas un libéral qui ne peut pas être perturbé non plus. Un système économique n’est justifiable que s’il permet la hausse du niveau de vie des plus défavorisés. Un philosophe américain, John Rawls, spécialiste des questions de justice, disait qu’un système économique est juste si, lorsque les riches s’enrichissent, les pauvres s’enrichissent aussi. En quelque sorte, tout le monde monte, c’est comme la marée qui fait monter tous les bateaux. Or, ce que l’on a mis en place depuis une dizaine d’années dans beaucoup de grands pays, sous le nom de globalisation, c’est une espèce de façon de permettre aux plus riches de s’enrichir encore plus en prenant moins de risques, et tout cela au détriment des pauvres. C’est de cette manière que l’on juge la justice d’un système et, aujourd’hui, notre système n’est pas juste. Un système qui n’est pas juste n’est pas durable.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement pouvait réformer le pays car une majorité de Français se sont prononcés pour le changement, notamment lorsque l’on additionne l’électorat d’Emmanuel Macron, celui de François Fillon et une partie de celui de Marine Le Pen… En plus, la croissance était au rendez-vous. Toutefois, il paraît que cela ne va pas durer…
C’est très difficile. Monsieur Macron fait les mêmes erreurs que Monsieur Hollande, puisqu’il ne suit que ce que lui dit Bruxelles avec cette histoire de déficit budgétaire de 3 %. C’est une imbécillité comptable ! Pour réduire le déficit, on va augmenter les impôts. Mais si vous augmentez les impôts, en particulier sur les retraités et ceux qui travaillent, vous allez réduire la croissance, puisque le niveau de vie des gens va baisser. Comme la croissance va baisser, le déficit budgétaire va augmenter… Le déficit budgétaire est une notion imbécile et, ce qu’il faut, c’est réformer l’économie pour qu’il y ait croissance. À ce moment-là, le déficit budgétaire se réglera de lui-même, puisque les impôts rentreront davantage. Si vous partez du principe que vous allez réduire le déficit budgétaire, en bon comptable, en augmentant les impôts, c’est exactement comme une société qui perdrait de l’argent et qui augmenterait ses prix… Mais si elle a des concurrents, elle va couler !
Ce que vous dites relève du bon sens, Michel Audiard vous aurait demandé : « Pourquoi sommes-nous gouvernés par des cons ? Ces cons ont fait de brillantes études, que ce soit Sciences-po ou l’ENA, mais est-ce pour cela qu’ils sont cons ? » Je fais référence à Michel Audiard pour justifier l’emploi de ce mot…
Il y a un homme que j’aime bien, c’est Nicholas Taleb : il est philosophe, libanais, il a fait Polytechnique, il réfléchit sur tous ces problèmes. Il y a quelque temps, il a développé une notion que j’aime beaucoup, en expliquant que nous sommes gouvernés par toute une série de gens qui ont fait des études très profondes, mais qui sont idiots… Ils sont idiots, parce qu’ils ne sont jamais en prise avec la réalité, puisqu’ils n’ont jamais dirigé une entreprise. Ils idolâtrent l’État. Je vais vous raconter une anecdote. Quand j’étais dans une business school aux États-Unis, j’avais 26 ans, un de nos professeurs nous avait demandé : « Pourquoi pensez-vous que les grandes entreprises cherchent à vous embaucher ? » Nous avons tous répondu que c’était parce que nous étions les meilleurs… Mais pas du tout : « Vous avez 26 ans, vous faites des études, donc vous avez prouvé que vous n’aviez aucun caractère. Car, si vous aviez du caractère, vous auriez déjà créé votre entreprise ! » Il avait raison… Donc, vous avez tous ces gens qui cherchent la rente, ils cherchent à se mettre dans une position, où, par leurs études, ils pourront gagner de l’argent sans prendre de risques. À partir du moment vous avez des gars qui cherchent une rente, ils vont tous dans l’État et ils cherchent à préserver leur rente au détriment des autres. La France est mal gouvernée, parce qu’elle a un mauvais système de sélection de ses élites. Les Anglais choisissent comme élite le type qui a été à Oxford, qui n’est pas plus bête qu’un autre, mais qui a été capitaine de l’équipe de rugby ou d’aviron : c’est quelqu’un qui a montré qu’il était capable de prendre des coups dans la tête et de mener des gens. Nous, nous choisissons celui qui est capable de rester assis sur sa chaise quand il a 20 ans, sans courir les filles ou faire du sport, et qui prouve qu’il n’a strictement aucun sang dans le corps ! Quand je vois Monsieur Macron, je me dis : « Qu’est-ce que c’est que ce gars-là ? Il doit avoir un sang verdâtre, ce type n’est pas un mec normal… »
Dans votre dernière analyse, vous estimez que nous risquons de subir dans les prochains mois une crise très difficile qui sera similaire à celle que nous avons connue il y a une dizaine d’années. Quelle est la situation ?
Le principe est assez simple. D’ailleurs, cette crise a probablement déjà commencé, regardez ce qui se passe en Argentine, en Afrique du Sud, au Brésil ou en Turquie… Il y a un vieux proverbe boursier qui dit qu’il faut savoir s’il y a plus d’imbéciles que d’argent, ou plus d’argent que d’imbéciles. S’il y a plus d’argent que d’imbéciles, les marchés montent ; s’il y a plus d’imbéciles que d’argent, les marchés baissent. C’est d’une simplicité biblique ! Ensuite, il faut mesurer les deux, mais ce n’est pas facile. La Banque centrale américaine, qui contrôle l’offre de dollars dans le monde, suit une politique de réduction de la masse monétaire depuis environ un an. S’il y a moins de dollars et si le nombre d’imbéciles reste le même, il sera difficile de gagner de l’argent et ceux qui sont endettés en dollars se retrouveront en culottes courtes. Warren Buffett, qui est l’un des meilleurs investisseurs qu’il y ait jamais eu dans l’histoire, dit que c’est quand la marée se retire que l’on voit les gars qui nageaient sans maillot ! On les voit aujourd’hui : c’est la Turquie, c’est le Brésil, c’est l’Argentine, c’est l’Afrique du Sud… Comme on nage sans maillot en empruntant comme des fous depuis longtemps – cela vient d’arriver à l’Italie – cela risque de nous arriver aussi, donc cela va être dur.
Ce sera dur pour Emmanuel Macron qui va devoir gérer cette crise…
Cela peut partir à n’importe quel moment. Vous avez l’Italie qui est dans une situation catastrophique. Ils ne peuvent pas s’en sortir s’ils restent dans l’euro…
Vous prédisez la sortie de l’Italie de l’euro et vous dites aussi que « gérer un pays quand on ne comprend rien à l’économie n’est pas facile ». Pourtant, 98 % des Français vont vous répondre : « Comment pouvez-vous dire cela, Monsieur Macron connaît l’économie puisqu’il a travaillé dans la banque … »
Ce n’est pas parce que l’on a travaillé dans une banque, que l’on connaît l’économie ! Les banques font faillite avec une régularité remarquable et les dirigeants bancaires sont généralement les plus crétins de tous. Le fait que Monsieur Macron ait travaillé dans une banque d’affaires, la banque Rothschild, c’est intéressant, cela montre qu’il avait un bon carnet d’adresses. Je suis très content pour lui, mais cela ne montre en rien qu’il connaît l’économie !
On approche des élections européennes et le débat sur l’euro reste tabou en France. En France, lorsque l’on évoque un autre système que l’euro, on est considéré comme un idiot par les médias…
Bien entendu ! Les médias sont contrôlés par trois ou quatre grands groupes financiers, ou par l’État directement, et ces grands groupes sont directement ou indirectement dans les mains de l’État français. Aujourd’hui, dans la grande majorité des médias, c’est la voix de leur maître que vous entendez. Par exemple, je passais souvent sur BFM TV, or depuis que BFM TV a changé de propriétaire, je ne suis plus invité… J’ai beaucoup de commisération pour les médias, parce que ces pauvres gens sont mariés, ils ont des enfants, ils doivent bouffer ! Mais s’imaginer qu’il y a une liberté de la presse en France relève de la plaisanterie.
Donc, s’il y avait une liberté de la presse en France, on pourrait débattre sereinement sur l’avenir et sur l’euro…
Voilà! Malheureusement, ce n’est pas le cas et c’est bien triste. C’est pour cette raison qu’il y a une fenêtre qui s’est ouverte avec Internet pour permettre à des gens comme moi de publier. Ces élections européennes vont être extrêmement importantes, car il n’est pas du tout exclu que le Parlement européen, en mai prochain, soit majoritairement anti-Bruxelles, si vous prenez en compte l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie, une partie de la France et une partie de l’Allemagne… Il n’est pas du tout exclu que les gens qui partagent ces idées soient majoritaires.
Vous dites anti Bruxelles, mais vous ne dites pas anti européens…
Pas du tout, je suis européen. Je passe mon temps à dire qu’ils sont en train d’essayer de nous faire un État européen dont les peuples ne veulent pas. Les peuples ont dit non chaque fois qu’on leur a demandé. Mais on leur a répondu : « Vous l’aurez quand même ! » Il ne faut pas faire ce qu’ont fait les Anglais avec le Brexit, mais il faut faire le Bruxit : c’est-à-dire sortir Bruxelles de l’Europe. Si l’on sortait Bruxelles de l’Europe et si l’on se retrouvait dans le monde d’avant Jacques Delors, on s’en trouverait tous très bien et on pourrait discuter entre nous des problèmes pour les régler dans un débat commun avec des intérêts communs. Mais cette idée imbécile d’avoir des gens compétents au sommet parce qu’ils ont fait les meilleures études – on voit ce que cela donne en France – est une erreur. Il faut renvoyer le pouvoir vers le peuple et non pas l’appeler vers le haut. En fait, nous allons vers une crise constitutionnelle en Europe. Un pouvoir doit être légitime pour s’exercer, c’est une notion de science politique. Il tire sa légitimité dans le monde moderne du vote populaire, c’est-à-dire le peuple. Le peuple est souverain et, de l’autre côté, vous avez ce que l’on nous explique en Europe avec l’idée que la légitimité vient d’une technocratie européenne qui est détachée de la démocratie et qu’elle n’a pas à écouter le peuple. Dans les mois qui viennent, on va savoir ce qui est prééminent. Est-ce Bruxelles ou est-ce les peuples ? On va avoir une crise constitutionnelle et il va falloir trancher cette question de savoir qui est souverain : le technocrate ou le peuple ?