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Christian Mégrelis : « La Russie est aujourd’hui dirigée un peu comme l’Allemagne à l’époque de Hitler. »

Christan Mégrelis invité de Yannick Urrien jeudi 1er Septembre 2022

L’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev est mort mardi 30 août à l’âge de 91 ans. Il s’était entouré d’un seul étranger pour le conseiller : le Français Christian Mégrelis, qui était en charge des questions économiques dans le cadre de la Perestroïka. Christian Mégrelis avait un bureau au Kremlin et il a vécu en direct l’effondrement de l’URSS lors du coup d’État d’août 1991. Il a également côtoyé Vladimir Poutine à cette époque. Depuis, Christian Mégrelis a toujours conservé des contacts étroits avec la Russie.

Christian Mégrelis, X, HEC, Sciences Po, est chef d’entreprise, essayiste et écrivain. Après plusieurs années au ministère de la Défense, il s’est orienté vers les marchés internationaux en 1970. Son groupe est installé en Russie depuis 1989. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés aux États-Unis, en France et en Asie sur la géopolitique, les relations internationales et le christianisme.

« Le naufrage de l’Union soviétique : choses vues », de Christian Mégrelis, est publié chez Transcontinentale d’éditions.

Extraits de l’entretien

Kernews : On entend un concert de louanges à propos de Mikhaïl Gorbatchev en Occident. Mais comment était-il perçu en Russie ?

Christian Mégrelis : Son image était très dégradée. On n’a pas entendu beaucoup de louanges car c’est un homme qui est accusé de tous les péchés du monde. Notamment d’avoir bradé l’Union soviétique, ce qui est une erreur et un mensonge historique, puisque l’Union soviétique a été bradée par Boris Eltsine, après le départ de Gorbatchev.

Il est important de distinguer l’Union soviétique du communisme : les Russes sont-ils contents de la chute du communisme, mais mécontents de la chute de l’Union soviétique ?

C’est cela, ils sont contents de la chute du Parti communiste, c’était un système dégradé et profondément corrompu. Mais ils sont très déçus de la disparition de l’Union soviétique, qui a été entérinée par la signature de Boris Eltsine. Pas du tout par celle de Gorbatchev.

Pourquoi les Russes commettent-ils l’erreur d’accuser Gorbatchev ?

Parce que c’était Boris Eltsine qui était au pouvoir tout de suite après et il a tout fait pour reporter la faute sur Gorbatchev, qui était son ennemi juré depuis des années et des années. Le grand problème de l’URSS, c’est d’avoir eu deux types brillants, Eltsine et Gorbatchev, qui essayaient d’avoir le pouvoir et qui se haïssaient. C’est la haine de ces deux hommes qui a provoqué la chute de l’URSS. Gorbatchev a été à l’origine de la chute du Parti communiste, mais la chute de l’URSS, c’est Eltsine. Pour les Russes, la chute de Gorbatchev est concomitante à celle de l’URSS. Il est parti parce qu’il était le dirigeant d’un pays qui n’existait plus. La scission de l’URSS a été signée par Eltsine, président de la Russie, et les secrétaires généraux de la Biélorussie et de l’Ukraine à la fin de l’année 1991. Ce n’est qu’après la signature de ce document que Gorbatchev a été mis devant le fait accompli : « Vous êtes le président d’un pays qui n’existe pas ». C’est à la suite de cela qu’il a démissionné, de façon pacifique. On ne peut pas dire qu’il y a eu un coup d’État, on lui a simplement retiré le tapis sous les pieds.

Vous étiez le seul étranger membre du cabinet de Gorbatchev : comment s’est déroulée votre première rencontre ?

J’ai été impressionné, mais j’ai été autant impressionné par le cadre que par le personnage. Le Kremlin, c’est quelque chose d’assez extraordinaire quand vous arrivez la première fois. J’allais pas mal à l’Élysée à l’époque de François Mitterrand, je suis aussi allé à plusieurs reprises à la Maison Blanche et je peux vous dire que l’arrivée au Kremlin est beaucoup plus imposante. Quand vous entrez à l’Élysée, vous êtes à 60 mètres à pied du président en montant l’escalier. Quand vous entrez à la Maison Blanche, vous êtes à 200 mètres du président. Quand vous entrez au Kremlin, vous êtes à 300 mètres du président, avec des couloirs, des escaliers et des tapis rouges partout. C’est très impressionnant. Le bureau du président est monstrueux, il ne fait pas loin de 1000 mètres carrés. Gorbatchev était un homme qui gardait un grand sérieux. Il avait un comportement de chef d’État comme dans les années 50 ou 60, il construisait sa propre statue. Quand vous commenciez à parler, c’était un peu différent. Je peux faire la comparaison avec François Mitterrand que j’ai vu à plusieurs reprises dans son bureau. Il y avait des dorures partout, mais il n’y avait rien d’extraordinaire. Le personnage lui-même, affalé dans son fauteuil, respirait l’intelligence, mais il y avait derrière quelque chose d’un peu mystérieux. Gorbatchev, c’était la statue du commandeur, c’était différent. Donc, le premier contact était un peu réfrigérant. Mais le personnage était tout à fait humain et attentif. C’était quelqu’un qui écoutait ses interlocuteurs et c’est quelque chose que je n’ai pas trouvé chez les présidents que j’ai rencontrés dans ma vie aux quatre coins du monde, c’est-à-dire des présidents qui essayent de comprendre ce qu’on veut leur dire. C’était quelqu’un qui écoutait les autres. Quand je lui ai parlé de l’accord avec Bruxelles, il était complètement contre au début de la conversation, mais il a compris au bout de 20 minutes d’explications et il m’a dit : « Préparez-moi la lettre pour Jacques Delors ». J’ai déposé la lettre sur le bureau de Jacques Delors et c’est ce qui a démarré les négociations entre l’URSS et l’Europe en 1991.

Était-il attentif à ses interlocuteurs parce qu’il savait que tout cela n’était qu’un décor en carton-pâte qui était en train de s’effondrer ?

Non, il ne pensait pas que c’était un décor en carton-pâte. Il pensait que tout s’effondrait, mais que tout allait se rétablir. Il y avait du solide derrière, mais il fallait tout changer en Union soviétique. Il était convaincu de cela, qu’il était possible de corriger le tir et que nous allions vers la bonne direction : c’est-à-dire un État qui allait s’appeler l’URSS, qui allait jouer une partition importante au niveau mondial, mais qui serait un État de paix et de prospérité. L’URSS ne serait plus l’ogre qu’il était à la grande époque soviétique.

Vous étiez le seul conseiller étranger au cabinet de Gorbatchev. Imaginez le tollé qu’il y aurait eu si François Mitterrand avait choisi un conseiller soviétique !

C’était totalement différent. Toute l’intelligentsia soviétique était convaincue de la supériorité du système occidental face à la catastrophe économique que représentait l’URSS. Tout le monde voulait reprendre le miracle de l’Occident. Par conséquent, un étranger, surtout un Français, était forcément bien accueilli. J’ai été assailli de questions. On me demandait des rapports et des idées et, très franchement, je me suis senti comme chez moi. Ils avaient vraiment besoin de moi.

Étiez-vous surveillé en France ?

D’abord, à Moscou, je n’ai jamais eu la moindre surveillance ou inquiétude. J’ai pu poursuivre mon activité dans le monde des affaires très librement. Quand Boris Eltsine a pris le pouvoir, les choses se sont passées de façon très simple : il a changé de conseiller économique en passant d’un Français à un Américain, Jeffrey Sachs, qui était partisan de la thérapie de choc, c’est-à-dire qu’il fallait que la privatisation de l’Union soviétique ne se fasse pas en 500 jours, mais en 5 jours. En faisant cela, il a provoqué l’implosion de l’économie soviétique, la fuite des capitaux et l’apparition des oligarques. De mon côté, mon rapport a été mis dans un placard et il n’est jamais ressorti… Votre question porte sur la France, il n’y a eu aucune surveillance, je n’ai pas eu d’échos particuliers. Je dois dire que je tenais quand même l’Élysée au courant de tout cela et j’avais une relation particulière avec le président Mitterrand. Je prenais soin de le tenir au courant et, quand j’ai engagé cette négociation avec Bruxelles, il m’avait donné son accord.

Il ne faut pas accepter l’inacceptable et l’Occident doit réagir de façon musclée, alors que nous n’avions pas du tout réagi à l’époque de Hitler

Évoquons maintenant l’actualité : comment analysez-vous la situation ?

La réforme politique engagée par Gorbatchev a viré à l’instauration d’un système fasciste en Russie. La Russie est aujourd’hui dirigée un peu comme l’Allemagne à l’époque de Hitler. C’est quelque chose qui est frappant depuis une dizaine d’années. C’est quelque chose qui me traumatise, ce pays est devenu l’apôtre de tout ce que l’on a vu dans l’Allemagne nazie. C’est un point qui me préoccupe beaucoup et qui va obérer l’avenir de la planète. Il va falloir trouver comment vivre avec ce monstre qui s’élève à l’Orient de l’Europe. L’invasion de l’Ukraine n’est que le premier épisode. Si vous écoutez aujourd’hui la première chaîne de télévision russe, elle a des centaines de millions de téléspectateurs, vous n’avez que des prêches qui sont en faveur d’une guerre mondiale. C’est effrayant. Si l’on avait des émissions de télévision de ce genre en France, on les interdirait avec raison. C’est de l’appel au meurtre permanent ! Quand on a parlé de l’assassinat de cette pauvre fille, Daria Douguine, on a oublié de dire que toutes ses émissions n’étaient que des appels au meurtre. Je viens d’écouter deux députés de la Douma qui répétaient la même chose : « Il faut se préparer à la guerre nucléaire avec l’Occident et, la seule manière de régler l’affaire de l’Ukraine, c’est de lancer des attaques sur les capitales occidentales, en particulier Londres et Washington ».

Une partie de la population française éprouve de la sympathie pour Vladimir Poutine, en s’imaginant que c’est l’homme de l’ordre qui défend l’Occident chrétien face au mondialisme et au wokisme. Il y a un tel degré de haine et de déception contre nos dirigeants politiques, qu’une partie du peuple, qu’il s’agisse de Gilets jaunes ou d’opposants à la vaccination obligatoire, se dit que puisque l’élite est avec l’Ukraine, alors il faut être pour la Russie…

La seule chose de bien, depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est de ne pas avoir organisé un accord de Munich. À l’époque, Hitler avait envahi une province tchèque qui s’appelle les Sudètes, c’est-à-dire une partie de la Bohême qui était peuplée en majorité d’Allemands. Hitler disait que les Allemands des Sudètes étaient persécutés et qu’il fallait leur porter secours. Il a envoyé des troupes pour occuper les Sudètes et, à ce moment-là, les gouvernements occidentaux ont crié au secours en demandant la tenue d’une négociation, à savoir les accords de Munich. Les Américains ne voulaient pas se mêler de cette histoire et l’Anglais Chamberlain et le Français Daladier sont allés négocier avec Hitler, qui était accompagné par Mussolini. L’accord a entériné l’occupation des Sudètes par l’Allemagne. Cette fois-ci, on n’a pas fait cela : on a simplement dit que l’on n’était pas d’accord et on a très bien fait, parce que c’est grâce à l’accord de Munich que Hitler s’est senti tellement fort qu’il a occupé toute la Tchécoslovaquie, avant d’attaquer la Pologne, et qu’il a déclenché la Seconde Guerre mondiale. Je pense que les Russes hésitent beaucoup à menacer les pays baltes et la Pologne. C’est parce que nous n’avons pas cédé face à Vladimir Poutine, que le conflit est actuellement limité à l’Ukraine. Nous avons eu le courage d’armer l’Ukraine et celle-ci peut se défendre. Je crois que c’est la bonne politique. Vis-à-vis de régimes fascistes de ce genre, il n’y a pas d’autre manière que la force, parce qu’ils considèrent la négociation comme une faiblesse. Ils se sont aperçus, avec l’armement de l’Ukraine, que ce n’était pas rien et qu’ils ne pourraient pas avaler l’Ukraine en quelques jours. Il ne faut pas accepter l’inacceptable et l’Occident doit réagir de façon musclée, alors que nous n’avions pas du tout réagi à l’époque de Hitler.

Écrit par Rédaction

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