Un proche de Pierre Bergé et d’Yves Saint-Laurent raconte les coulisses de ce couple mythique
Christophe Girard a frôlé à plusieurs reprises le siège de la rue de Valois. On sait que son réseau dans l’univers artistique, de la mode, du luxe et de la politique est impressionnant. Il a été, pendant deux mandats, adjoint à la culture à la Mairie de Paris, également maire du 4e arrondissement de Paris, et il est toujours conseiller de Paris.
Sur le plan professionnel, Christophe Girard a intégré la maison de couture d’Yves Saint-Laurent en 1978 comme secrétaire général. Il a gravi les échelons jusqu’à devenir directeur général adjoint en 1997. Pendant 20 ans, il a travaillé dans un bureau situé entre ceux de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, couple mythique, absolument complémentaire et secret. Parce qu’il travaillait dans ce bureau qui les séparait, il savait très bien tout ce qui les unissait. Il a décidé d’en faire un livre. Christophe Girard a également été directeur de la stratégie mode du groupe LVMH, cofondateur du magazine Têtu, secrétaire général du Sidaction et président de la Fondation American Center.
Christophe Girard est aussi résident secondaire à La Baule. Il nous confie que « sa vraie résidence secondaire » est sa cabine de plage jaune, plage Saint-Michel à Batz-sur-Mer, dans laquelle il range son canoë-kayak… C’est en voisin qu’il a accordé sa première interview à Yannick Urrien dans le studio de Kernews à l’occasion de la sortie de son livre événement sur Yves Saint-Laurent.
« La vie selon Saint-Laurent » de Christophe Girard est publié aux Éditions Herscher.
Kernews : Dans le monde entier, lorsque l’on parle de la France, le nom d’Yves Saint-Laurent figure souvent en tête : comment expliquez-vous cela ?
Christophe Girard : Je suis d’accord, parce qu’il a de surcroît inscrit son nom graphiquement, avec un sigle, YSL – aujourd’hui, on dirait un logo – qui avait été dessiné par le grand artiste Cassandre. Lorsque l’on cite Yves Saint-Laurent, c’est la grandeur de la France et ce rêve que la France porte grâce à ses artistes, ses créateurs et ses créatrices. Je pense à toutes ces femmes qui ont accompagné Yves Saint-Laurent, comme Catherine Deneuve qui lui est restée si fidèle et qui est aussi une belle incarnation de la France et d’Yves Saint-Laurent. Il y a d’autres femmes, d’autres artistes, des musiciens, Marguerite Yourcenar, dont il avait fait le costume pour l’entrée à l’Académie française… C’était tout cela, Yves Saint-Laurent. Cela reste dans l’ADN de la France et une fierté à partager. Pour moi, il était temps de transmettre ce que j’ai eu la chance d’observer, en tant que secrétaire général, puis directeur général adjoint. Mais nous étions nombreux. Cela allait des petites mains dans les ateliers de couture, en passant par les différentes personnalités qui faisaient cette entreprise sous la houlette de Pierre Bergé, qui était un patron assez rare.
Il y a eu des biopics sur Yves Saint-Laurent au cinéma, mais votre témoignage a une autre importance puisque vous avez été vraiment proches. Comment écrire un livre lorsque l’on a été à l’intérieur d’un système, sans trahir des secrets mais tout en souhaitant aussi dévoiler des choses intéressantes auprès des lecteurs ?
L’époque est à la rapidité, au narcissisme et au voyeurisme. Mais quand on a la chance, comme moi, d’avoir eu un bureau qui se trouvait à équidistance entre celui d’Yves Saint-Laurent et celui de Pierre Bergé, d’avoir pu travailler avec les deux, de savoir garder les archives, des photographies de nos nombreux voyages en Chine, en Russie, en Australie, au Japon ou aux États-Unis, on peut raconter une histoire dans ce livre historique. C’est un documentaire écrit. Quand on a la chance d’avoir tous ces souvenirs, parfois avec des secrets, on peut révéler des secrets tout en étant respectueux, sans être voyeuriste ou sensationnaliste. Dans le livre, on apprend des choses que l’on ne sait pas, on découvre des traits de caractère, des comportements ou des personnages…
C’est un peu maintenant l’histoire de France…
Yves Saint-Laurent, c’est un peu l’histoire de France, lui qui est né à Oran, dans l’Algérie française de l’époque, dans une famille bourgeoise. Son père était dans les assurances, sa mère était d’une grande élégance, il avait de très jolies sœurs. Il a d’ailleurs une nièce, Marianne, qui est d’une grande beauté et qui porte bien l’image et les couleurs de son oncle.
Les senteurs de son Algérie natale ont-elles influencé son amour pour le Maroc ? A-t-il reporté vers cette terre voisine sa frustration de ne plus pouvoir retourner en Algérie ?
Incontestablement, son amour, ses souvenirs, ce qui l’a marqué au plus profond de lui-même, c’était cette lumière absolument inégalable de l’Afrique du Nord. Au Maroc, il a trouvé un raffinement dans les paysages, l’architecture, les jardins, la cuisine, mais aussi les vêtements. Donc, c’est un pays qui a marqué son imaginaire. D’ailleurs, souvent dans les vêtements et les collections de prêt-à-porter et de haute couture, on voyait apparaître un caftan ou une blouse marocaine.
C’était un homme de civilisation, puisque le point commun entre la France et le Maroc est qu’il s’agit de deux grandes civilisations, tandis que l’Algérie est un pays plus artificiel…
Je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique, mais je rêve d’aller en Algérie. On a toujours dit qu’Alger était une ville magnifique et, à Oran, la maison d’Yves Saint-Laurent a été achetée par un privé qui l’a restaurée. Avant de terminer ce livre, je suis allé à l’île d’Oléron parce que je voulais voir la maison natale de Pierre Bergé, l’école que dirigeait sa maman et voir comment ce petit garçon tellement indépendant avait grandi sur une île et combien il avait gardé un esprit insulaire. J’irai un jour en Algérie pour voir où était né Yves Saint-Laurent.
Il a fait les plus belles créations pour les femmes, il aimait éperdument les femmes, est-ce pour cela aussi qu’il ne les touchait pas ?
Il y a des hommes gays, comme moi d’ailleurs, qui finalement aiment peut-être mieux, ou d’une meilleure manière, les femmes, que lorsque naturellement on a une attirance sexuelle. Mais aujourd’hui, je pense que les hommes et les femmes naviguent beaucoup plus librement dans leur sexualité et la bisexualité et, peut-être, une réponse de paix.
Vous commencez votre livre en évoquant la dépénalisation de l’homosexualité, en 1981, une date très importante pour vous…
C’est lors d’une conversation récente avec Élisabeth Badinter et Robert Badinter, que j’ai réalisé que je faisais partie de ces jeunes garçons ou filles qui vivaient hors-la-loi sans se rendre compte qu’ils étaient hors-la-loi, puisque nous vivions discrètement. Il a fallu l’élection de François Mitterrand en 1981, la loi Badinter en 1982, pour que l’homosexualité soit dépénalisée et que cela devienne une sexualité banale, comme une autre.
Maintenant, cela ne signifie pas qu’il y avait des répressions contre les homosexuels sous Valéry Giscard d’Estaing…
Oui, mais on pouvait être arrêté, c’est arrivé. Il y avait des gens qui vivaient leur vie, mais c’était hors-la-loi. Je suis d’une génération qui a participé à ce que nous soyons comme tout le monde, car, comme le disent mes fils, l’homosexualité est un non-sujet et l’on aimerait que ce le soit, mais dans le respect de chacune et de chacun.
Quel était votre rôle auprès d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé ?
Je suis entré dans cette maison après avoir fait un stage lorsque j’étais étudiant à Tokyo. J’avais trouvé un petit boulot de vendeur dans une boutique d’Yves Saint-Laurent et, en même temps, je faisais le mannequin. J’étais traducteur aussi, puis j’ai été recruté comme inspecteur commercial parce que Pierre Bergé voulait que la marque Saint-Laurent, qui était devenue une marque mondiale, soit contrôlée et que les excès éventuels des partenaires que nous avions soient regardés de près. Très vite, je suis devenu secrétaire général, parce que Pierre Bergé a eu le génie de faire entrer Yves Saint-Laurent dans l’histoire en le faisant entrer dans les grands musées du monde. Il y a donc eu la première exposition d’un couturier vivant au Metropolitan Museum de New York en 1983 : c’est la photo de couverture du livre. Mon rôle était de veiller à l’harmonie entre les studios de création et je devais aussi être le chef de cabinet de Pierre Bergé, en étant son relais auprès des personnalités, les institutions publiques, la chambre syndicale de la haute couture, le musée de la mode…
Il y avait aussi toute la question de la contrefaçon…
Il y avait une direction juridique. Nous étions très impliqués dans le domaine des contrefaçons, mais mon rôle n’était pas financier, je n’avais rien à voir avec la finance. J’étais lié avec les studios de création, avec les services de presse, donc l’image du groupe et les projets.
J’ai l’image d’un tandem très particulier : Yves Saint-Laurent s’occupait totalement de la création, sans même savoir ce qu’il y avait sur les comptes en banque, alors que Pierre Bergé était vraiment le businessman et l’homme des relations institutionnelles…
C’est vrai en partie, mais j’ajouterai que Pierre Bergé avait sans doute la frustration de ne pas être un artiste. C’est ce qui explique son amour des artistes, sa passion et son engagement à soutenir les écrivains, les metteurs en scène, les comédiens, les comédiennes… Il faisait des affaires d’une manière artistique, ce n’était pas un homme d’affaires classique, ce n’était pas un grand patron traditionnel. Et puis, il aimait beaucoup l’écriture, puisqu’il était proche de Jean Giono. J’ai d’ailleurs publié une photo qu’il m’a donnée et Élise Giono m’a raconté comment Pierre Bergé, qui était à l’époque en couple avec Bernard Buffet, était venu rendre visite aux Giono à Manosque.
Rappelons que c’était une grande entreprise française, connue mondialement, qui a longtemps été indépendante…
Effectivement, l’entreprise a été fondée en 1961 par Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé. Elle a été financée par deux Américains qui croyaient dans le génie et le talent d’Yves Saint-Laurent, et Pierre Bergé était quelqu’un qui savait convaincre. Cette maison a été leur maison de couture. Les parfums ont été financés par Charles of the Ritz, rachetés ensuite par les laboratoires Squibb, puis Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé ont souhaité racheter leurs parfums, qui sont ensuite allés dans le giron du groupe Sanofi qui était propriétaire de Roger Gallet et Nina Ricci. Il y a eu une période d’indépendance, mais qui n’a pas été très longue…
Peut-on encore être indépendant aujourd’hui ?
Il existe des petites maisons indépendantes aujourd’hui. Ce sont encore des artisans. Mais c’est très difficile.
On a toujours l’image médiatique d’un Pierre Bergé qui semble être un personnage plutôt froid. Or, vous racontez qu’il connaissait vraiment chaque personne de l’entreprise et vous en donnez le reflet d’un patron très humain…
Il avait plusieurs vies. Il avait d’abord sa vie avec Yves Saint-Laurent, qui était d’une grande complicité, avec de grands secrets entre eux. Il y avait aussi la vie de l’entreprise, qui était leur enfant, avec toutes celles et tous ceux qui faisaient vivre cette entreprise, pour lesquels il avait le plus grand respect, et puis il avait sa vie, en devenant le président de l’Opéra de Paris, en créant les lundis musicaux du théâtre de l’Athénée Louis Jouvet, en reprenant le théâtre Renaud Barrault, la maison de Zola, la maison de Cocteau… Il avait vraiment une volonté de protéger le patrimoine français.
Vous racontez qu’il faisait le tour de Paris pour trouver des présents originaux et faire des cadeaux personnalisés au moment de Noël…
J’ai été à l’école du détail et de l’attention individuelle, j’ai appris ce qu’est le raffinement, le respect des autres et l’amour du beau. Cela rend un peu maniaque…
Est-ce la définition du luxe ?
Cela pourrait être la définition du luxe, effectivement. Le luxe est un mot un peu fourre-tout, parce que l’on met dans le luxe des choses qui ne le sont pas. Le luxe doit être synonyme d’une certaine rareté, de la difficulté d’avoir… Ce n’est pas quelque chose que l’on trouve facilement.
Cette définition du respect des autres et du détail, est-ce aussi ce qui a caractérisé votre action politique ?
J’ai essayé de reproduire, en essayant de bien le faire, ce que j’ai appris auprès de mes années Saint-Laurent, mais aussi auprès de Bernard Arnault, pendant mes 15 ans chez LVMH, où j’ai beaucoup appris la rigueur, l’amour de la France et la beauté de Paris. D’ailleurs, Bertrand Delanoë avait souhaité s’entourer d’élus qui venaient de la vie économique, de la vie réelle, pour pouvoir stimuler le bien public. C’était formidable ce que nous avons fait aussi à la mairie du IVe arrondissement. Nous avions en résidence des orchestres, des compagnies de théâtre, nous avions deux salles d’exposition, les habitants bénéficiaient chaque jour de la semaine de tout cela. Quand on est élu, c’est pour l’intérêt général, c’est aussi savoir protéger. J’ai appris cela lors de mes années Yves Saint-Laurent : protéger les autres quand on est du bon côté de la barrière.
Pierre Bergé était quelqu’un d’assez anxieux et, lorsqu’il n’était pas là, il fallait presque surveiller Yves Saint-Laurent…
Le mot peut sembler infantilisant… Cela signifiait qu’il fallait prendre soin de lui. Comme il était souvent triste et solitaire, il fallait s’assurer qu’il n’était pas isolé dans sa tristesse.
Il était dans la mélancolie permanente : est-ce parce qu’il n’était pas bien et qu’il était singulier, que ce fut un géant ?
Vaste question sur le moteur de la création ! Est-ce que la mélancolie ou les épreuves de la vie sont un moteur ou l’explication du génie des uns et des autres ? C’est une question vaste, mais il est vrai qu’il est rare de voir un créateur dont la vie ou l’enfance aurait été lisse…
Vous soulignez ce contraste entre les deux caractères : Yves Saint-Laurent est né mélancolique et Pierre Bergé est né en colère…
Pierre Bergé s’indignait. Il avait une capacité d’indignation qu’il m’a transmise. D’où son engagement au début de l’épidémie de Sida, avec notre grande amie Line Renaud qui vient de lire mon livre. Franchement, au départ, ce n’était pas gagné, car ce ne sont pas les mêmes univers. Tout cela est devenu une belle amitié.
Peut-on être un grand patron et être en colère ? Prenons l’exemple de Bernard Arnault : en public, on ne le voit pas en colère, on ne le voit pas heureux, on ne le voit pas mélancolique, on ne le voit pas drôle… Rien ne transparaît.
Et pourtant, dans mes relations professionnelles avec lui, il nous est arrivé de rire, d’avoir de l’humour, de nous poser des questions… C’est un homme qui est sans doute plus sensible qu’il n’en a l’air.
Le vrai combat de Pierre Bergé, c’était que le nom d’Yves Saint-Laurent se perpétue pour l’éternité…
C’est pour cela que j’ai fait porter le premier exemplaire de mon livre à Madison Cox, qui était entré dans la vie de Pierre Bergé et d’Yves Saint-Laurent à la fin des années 70, parce qu’aujourd’hui il est le président du musée Yves Saint-Laurent et de la fondation Pierre Bergé – Yves Saint-Laurent. C’est quelqu’un qui veille sur l’œuvre et la mémoire d’Yves Saint-Laurent grâce au musée de Marrakech, mais aussi le musée Yves Saint-Laurent de Paris.
Pierre Bergé devait être triste en constatant que la mondialisation avait détruit le monde de la haute couture, qui est devenue un business comme les autres…
Je me pose souvent la question de savoir comment il réagirait face à cette mondialisation, même à cette vulgarité des réseaux sociaux et de l’ère numérique. Comment verrait-t-il cette fragmentation de la société et cette déconstruction de nos valeurs ? Le regard esthétique d’Yves Saint-Laurent nous manque, celui qui aimait tant les femmes, et aussi celui de Pierre Bergé sur ce monde qui est quand même d’un petit niveau.
Pierre Bergé a eu des tentations dans la presse : pourquoi n’a-t-il pas pris le chemin d’André Rousselet ?
J’ai eu la chance de connaître André Rousselet. Pierre Bergé était l’un des trois actionnaires du journal Le Monde avant de mourir. C’était un homme qui aimait la presse, c’était le fondateur de Globe. C’était une époque assez libre et audacieuse. Sa rencontre avec Yves Saint-Laurent lui a sans doute appris ce qu’était la création pure et au plus haut niveau, il en a fait quelque chose dans d’autres domaines. C’était un homme à plusieurs vies. Mais sa vie principale était avec Yves Saint-Laurent.
Vous racontez la période plus glaciale de votre départ. Vous étiez un peu l’enfant d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé, vous figuriez dans leur cercle de confiance. Et lorsque vous avez quitté la maison, ils l’ont mal pris…
J’ai compris la colère de Pierre Bergé. Je l’ai trouvé parfois un peu injuste, parce que cela avait des effets collatéraux sur mon entourage, mais les choses sont rentrées dans l’ordre. Ce livre est aussi pour réparer la liberté que j’avais acquise et que j’avais décidé de prendre lorsque la maison a été vendue à François Pinault et à Gucci. Pierre Bergé ne voulait pas que nous allions dans la nouvelle aventure des nouveaux propriétaires. L’histoire, telle qu’elle avait été construite, était une histoire avec des acteurs et des actrices qui ne pouvaient pas aller jouer dans une autre pièce. J’étais un peu le fils prodigue. Je n’étais pas le seul, mais c’est vrai, j’étais proche des deux, entre leurs deux bureaux. C’était ma vie quotidienne. Alors, Pierre Bergé a vu mon départ comme une trahison. Ce livre est là pour les remercier et transmettre ce que j’ai eu la chance de connaître et de vivre, le plus beau, avec des zones d’ombre, des choses parfois pas très exemplaires. Mais j’ai eu tant de chance de connaître cette vie, que je suis heureux de la transmettre au plus grand nombre. Je me libérais d’une certaine manière, je les voyais vieillissants. Alain Minc m’avait dit que Pierre était une mante religieuse et que je devais être prudent…
Il y a eu plusieurs films sur la vie d’Yves Saint-Laurent : qu’avez-vous pensé de ces biopics ?
Ces films ont été réalisés par des gens de talent, mais qui n’ont pas connu Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé. C’est pour cela que je suis très attaché, même si j’ai un parti pris, au documentaire Célébration, réalisé par mon conjoint à la demande de Pierre Bergé, qui a été tourné pendant plus de deux ans auprès d’eux. Mais les deux films sont intéressants parce que, quand on devient un personnage mythique, il est naturel que l’on s’empare de ces personnages et que l’on raconte leur histoire comme on le souhaite, avec liberté, même avec une erreur d’appréciation romanesque… Gaspard Ulliel m’a beaucoup surpris, parce que j’ai trouvé qu’il était très étonnant dans la peau d’Yves Saint-Laurent, très crédible et très proche, même si Pierre Niney était aussi un excellent acteur.
Vous avez vécu tous les combats pour la dépénalisation de l’homosexualité : que pensez-vous du wokisme et de cette culture de la culpabilisation permanente ?
Je suis inquiet. Nous étions très nombreux à mener ce combat dans les années Sida en nous inspirant du combat des femmes, ou du combat des noirs, de tous les mouvements de libération. Mais ce n’était pas pour segmenter la société et faire des groupes. Je n’aime pas que l’on me réduise à une lettre de l’alphabet…
LGBTQ…
C’est QQ maintenant ! Bien sûr, la parole libérée est absolument nécessaire. Ce n’était pas très drôle, quand j’étais adolescent, d’avoir ce regard des autres et que l’on m’imposait la virilité de mes cousins ou de mes oncles. J’ai vécu le patriarcat, pas pour en faire un reproche permanent, mais pour en faire une force. Je le vois avec mes enfants. Nous sommes une famille de femmes, d’hommes et d’enfants, chacun est ce qu’il est, mais nous ne voulons pas d’une société fragmentée. Nous sommes attachés à la devise de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité. Donc, nous sommes attachés à l’État de droit. Il faut donner des moyens à la justice, il faut sans doute plus de juges et d’enquêteurs, mais n’accusons pas à tort et à travers et ne nous mêlons pas des affaires que nous ne connaissons pas. Je suis en effet inquiet, parce que l’on accuse facilement le voisin ou la voisine et cela rappelle des heures sombres qui étaient celles où l’on accusait son voisin parce qu’il était juif, parce qu’il était tzigane, ou parce qu’il était homosexuel… Et l’on sait où cela mène. Réapprenons les leçons de l’histoire et demandons à la représentation nationale d’être un peu plus sérieuse.