Il n’existe pas d’autre alternative que le maintien du nucléaire ou… la décroissance et la révolution
Bertrand Cassoret est un défenseur de l’environnement et de la transition énergétique, ce n’est pas un climatosceptique. S’il estime que nous devons favoriser le développement des énergies renouvelables, il souligne toutefois que pour maintenir le niveau de notre train de vie, il est absolument impératif de poursuivre notre politique dans le domaine du nucléaire. Car sortir du nucléaire et passer aux énergies renouvelables aurait pour effet une réduction drastique de notre consommation d’énergie, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer en matière de décroissance, d’accès à la culture, à l’éducation ou à la santé… Bertrand Cassoret est ingénieur et maître de conférences en génie électrique et directeur de la filière Génie électrique de l’Université d’Artois.
« Transition énergétique, ces vérités qui dérangent » de Bertrand Cassoret est publié aux Éditions Deboeck Supérieur.
Kernews : Quand on parle de la transition énergétique, il y a, d’un côté, ceux qui affirment que tout va bien et qu’il faut y aller à fond et, de l’autre, les climatosceptiques. Votre position est plus originale, car vous considérez que la transition énergétique est nécessaire, mais vous démontrez que les outils que l’on utilise, comme les éoliennes, sont inefficaces…
Bertrand Cassoret : On met beaucoup en avant quelques réalisations symboliques. Les éoliennes en font largement partie, mais cela représente très peu de choses par rapport à notre énorme consommation d’énergie, par rapport à la nécessité d’une énergie abondante pour faire fonctionner une société évoluée comme celle dans laquelle nous avons la chance de vivre. Je crains que dans le futur, l’abondance de l’énergie fossile, qui nous permet de vivre aussi confortablement, ne se termine par la force des choses, non seulement parce que la pollution et le réchauffement climatique nous obligent à en consommer moins, mais aussi parce que la croissance de la consommation ne pourra plus perdurer, puisqu’il s’agit de stocks finis. Nous n’avons aucune technologie prête et à un même niveau de performance. Même l’ensemble des technologies dont nous disposons actuellement ne permettront pas de faire la moitié du quart du chemin pour les remplacer ! Cela m’inquiète énormément et mon message n’est pas franchement optimiste… Il faut vraiment relativiser l’apport des énergies renouvelables. Mon objectif n’est pas de critiquer les énergies renouvelables, mais surtout de montrer qu’elles représentent peu par rapport à ce dont nous avons besoin.
Dans le même temps, on a de plus en plus besoin d’énergie dans notre vie quotidienne : les nouvelles technologies sont très consommatrices d’énergie, une communication téléphonique en 4G consomme plus que sur une ligne de cuivre et l’usage du courrier électronique, avec l’archivage dans le cloud, requiert davantage d’énergie que l’acheminement d’une lettre par La Poste…
Bien sûr, on ne se rend pas compte de la quantité d’énergie que nous consommons au quotidien et à quel point nous en sommes dépendants. Les centres de données sont extrêmement consommateurs d’électricité et tous les appareils que l’on utilise ont nécessité énormément d’énergie pour être fabriqués, avec des matériaux qui ont requis des minerais et qui ont pu être exploités grâce à des quantités d’énergie. Et c’est la même chose pour le transport. Dans nos pays riches, nous avons de moins en moins d’usines, elles sont parties ailleurs, essentiellement dans les pays asiatiques qui, forcément, consomment énormément d’énergie. Dans les pays riches, on est à peu près stable en consommation d’énergie, cela fait une dizaine d’années que, la croissance économique étant balbutiante, notre croissance d’énergie reste à peu près stable. En revanche, dans les pays en développement, la consommation d’énergie est en très forte hausse. C’est très inquiétant, parce qu’il s’agit de la consommation de gaz, de charbon et de pétrole, qui sont des énergies très polluantes, non seulement par rapport aux émissions de gaz à effet de serre, qui amplifient le réchauffement climatique, mais on oublie également toutes les pollutions qu’elles génèrent, avec les particules fines et les oxydes d’azote, ce qui entraîne des centaines de milliers de décès prématurés chaque année dans le monde. Et je ne parle pas des conséquences futures du réchauffement climatique ! A contrario, notre consommation d’énergie abondante a permis d’améliorer nos conditions de vie et a fait que notre espérance de vie, dans les pays riches, est bien meilleure. C’est tout le paradoxe. Dans les pays pauvres, on consomme peu d’énergie, on ne vit pas longtemps. On s’aperçoit que plus on consomme d’énergie, plus on vit longtemps. Mais, en même temps, on pollue davantage et on développe des maladies qui peuvent jouer sur la santé et avoir l’effet inverse de ce qui était escompté au départ… C’est toute la complexité de cette histoire. Qu’est-ce qui fera le moins de morts ? Est-ce le manque d’énergie ? La pollution ? Le réchauffement climatique ? Une catastrophe nucléaire de temps en temps ? Il est difficile de répondre à cette question en toute certitude. Mais on a le choix entre trois grandes possibilités. Premièrement, continuer à consommer goulûment les énergies fossiles comme on le fait actuellement et je rappelle que 80 % de l’énergie consommée dans le monde provient des énergies fossiles. D’ailleurs, c’est la voie que nous sommes en train de prendre, jusqu’à ce que l’on n’y arrive plus… Deuxièmement, on peut envisager de restreindre énormément notre consommation d’énergie – c’est ce que proposent certains scénarios – et on devra à ce moment-là envisager la décroissance économique, avec des restrictions qui seront très difficiles à accepter. On peut avoir des révoltes sociales liées à la baisse de la consommation d’énergie, car cela entraînera forcément une baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie. La troisième solution serait de développer à une très grande échelle l’énergie nucléaire, cela n’empêchera pas de développer le renouvelable, mais ce ne sera pas suffisant. Le nucléaire est une possibilité que certains pays riches, comme la France, peuvent se payer, pour avoir une énergie en quantité abondante, avec les risques que l’on connaît. C’est une solution qui ne peut pas être développée à une grande échelle partout, car on ne peut pas demander à tous les pays pauvres de construire des centrales nucléaires. Le dilemme est très compliqué.
Cela nous renvoie à l’actualité avec les Gilets jaunes car, alors que nous ne sommes pas dans une phase de décroissance, c’est déjà la révolution en France pour une simple taxe…
Il y a un autre élément qui m’inquiète. J’entends beaucoup ce discours actuellement : il ne faudrait pas s’en prendre aux petites gens, mais aux gros industriels qui polluent, pour limiter le réchauffement climatique, c’est-à-dire à des entreprises comme Total. Mais cela ne marchera pas, car on ne peut pas limiter le réchauffement climatique en s’en prenant uniquement aux gros industriels, car si les gros industriels polluent, c’est parce qu’ils nous vendent des produits que l’on achète… Si l’on pense au carburant, limiter le réchauffement climatique, c’est limiter le nombre de véhicules particuliers sur les routes. La première cause d’émission de gaz à effet de serre, c’est le transport avec les voitures particulières. Si l’on veut lutter contre le réchauffement climatique en France, il faut commencer par lutter contre les déplacements des particuliers et c’est très compliqué ! Il faudrait vraiment un changement de société et ce sera extrêmement compliqué à réaliser en démocratie. Le pétrole et les énergies fossiles sont des miracles de la nature que nous avons goulûment consommés depuis une centaine d’années. Cela nous a permis de nous développer comme jamais et cela nous a permis d’améliorer énormément notre qualité de vie. Certes, il y a encore beaucoup de gens qui ont des conditions de vie précaires, mais regardez comment les gens vivaient au début du XIXe siècle, avec une espérance de vie de 35 ans… La plupart des gens habitent un logement décent et mangent tous les jours, avec un accès à l’éducation, aux soins médicaux, à la culture et aux loisirs. Or, cette société ne peut pas exister sans une énergie abondante. En plus, on passe très peu de temps dans l’agriculture ou dans la fabrication de biens, alors que la nourriture et les biens abondent, et la plupart des gens sont dans le secteur tertiaire, pour chercher, enseigner, gérer, soigner, communiquer ou aider… Il y a du chômage mais, en même temps, le fait d’avoir une société avec des emplois tertiaires est quelque chose de merveilleux, car cela signifie que l’on peut se permettre le luxe de payer des gens à réfléchir. Cela a été rendu possible parce que nous avons des machines qui nous aident à travailler à notre place et des moyens de transport qui optimisent tout cela. Or, cette société ne peut pas exister sans une énergie abondante et je suis forcément inquiet, parce qu’il va falloir revenir en arrière d’une certaine manière, avec d’énormes difficultés sociales qui s’annoncent…
Vous venez de publier, avec d’autres scientifiques, une tribune invitant le président de la République et le gouvernement à revoir leur politique dans ce domaine et vous plaidez pour cette autre voie que sont les réacteurs à sels fondus (RSF). Qu’est-ce que cela signifie ?
Quand on pense à l’énergie nucléaire, on pense tout de suite aux réacteurs actuels, mais il y a aussi la fameuse troisième génération dont on entend beaucoup parler, c’est l’EPR de Flamanville, qui devrait finir par ouvrir, et il y a un argument antinucléaire que je retiens parfaitement, qui consiste à dire que les réserves d’uranium ne sont pas infinies. Au rythme actuel, c’est dans une centaine d’années, donc on a le temps de voir venir, mais l’argument est pertinent. Il y a différentes façons de faire des réacteurs nucléaires et il y a ce que l’on appelle la quatrième génération – qui peut fonctionner avec des sels fondus – on peut avoir des milliers d’années de réserves énergétiques devant nous. Ce n’est pas du tout de la science-fiction, mais le problème, c’est que nous avions de l’avance dans ce domaine en France, avec les surgénérateurs Phénix et Superphénix, qui fonctionnaient mal, mais qui ont quand même montré que le principe était faisable. On les a fermés dans les années 90 et on vient d’annoncer l’abandon des recherches dans ce domaine. Là-dessus, on est en train de se faire complètement dépasser, puisque les Russes ont démarré un réacteur de quatrième génération, il y a environ deux ans, qui fonctionne bien. Il y a probablement un avenir énergétique important avec cette technologie et nous sommes en train de passer à côté du futur de l’énergie ! Sans le nucléaire, notre société ne fonctionnera pas. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut plus d’énergies renouvelables, il s’agit de dire que le nucléaire est la seule source d’énergie qui puisse permettre aux pays riches et développés de continuer à vivre de manière évoluée. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut gaspiller tout ce que l’on peut gaspiller, parce qu’il y a des tas de choses que l’on pourrait faire pour consommer moins, mais je pense que cette société développée, où les gens ont des demandes en matière sociale, de soins médicaux et d’éducation, a besoin d’une énergie abondante. La seule solution pour remplacer les énergies fossiles, ce sont les technologies nucléaires.
Ainsi, les dirigeants politiques qui prônent l’abandon du nucléaire regretteront demain les Gilets jaunes d’aujourd’hui, tant la révolte du peuple sera forte en cas de transition vers le renouvelable…
Complètement ! Le manque d’énergie est potentiellement catastrophique. On a tous conscience de ce que peut être une catastrophe nucléaire, on a tous conscience des problèmes liés aux énergies fossiles, comme le réchauffement climatique et la pollution, mais on a assez peu conscience des conséquences du manque d’énergie. Et, si l’on manque d’énergie, on va inévitablement vers la décroissance économique. Je ne suis pas un partisan de la croissance perpétuelle, je sais bien que nous sommes dans un monde fini. Néanmoins, prôner la décroissance, la simplicité et la sobriété, j’ai du mal à y croire, car cela signifie imposer la pauvreté. Michel Rocard avait complètement raison quand il disait que la décroissance peut mener à la guerre civile. Jusqu’ici, consommation d’énergie et croissance économique ont toujours été liées. On fait un peu mieux, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, pour faire un point de PIB, on a besoin d’un peu moins d’énergie qu’il y a cinquante ans. Quand on fait de l’assurance ou du service aux personnes, on fait travailler les gens avec moins d’énergie que quand on fait de la sidérurgie… Mais à l’échelle mondiale, cela ne fonctionne pas. La consommation d’énergie est directement liée aux activités humaines. Et moins d’activités, c’est moins de services rendus, c’est une vie plus simple. Ce n’est pas forcément embêtant s’il s’agit d’avoir des écrans de télévision moins grands ou de partir moins souvent en vacances. Mais une vie plus simple, c’est une vie où les logements sont de moins bonne qualité, c’est une vie où l’on a moins accès à l’éducation et aux soins médicaux…. C’est donc une vie plus pauvre. Pour moi, la lutte contre la pauvreté va avec la consommation d’énergie.
Finalement, nous n’avons pas d’autre solution que de pérenniser le modèle actuel. Alors, pourquoi les politiques continuent-ils de nous expliquer que couvrir la France d’éoliennes va résoudre tous les problèmes ?
Il y a beaucoup de politiques qui connaissent mal le sujet. S’il s’agit de parler d’inflation ou de monnaie, c’est leur truc, mais il y a quand même quelques politiques qui semblent avoir compris correctement tout cela. Mais quand on veut se faire élire, on est obligé de faire passer un message optimiste et de promettre le beurre et l’argent du beurre… En réalité, notre société ne tient qu’avec une abondance énergétique et la baisse de la consommation d’énergie va inéluctablement entraîner nos sociétés vers le déclin. Il y a un thème qui est relativement à la mode ces derniers temps, c’est celui de l’effondrement, à travers la collapsologie, certains pensent que notre société risque l’effondrement. On pense à des doux dingues, mais ce n’est pas quelque chose d’idiot, c’est un thème qui a été étudié dès le début des années 70 par les gens du Club de Rome, le Massachusetts Institute of Technology a essayé de modéliser cela, ces théories ne sont pas fantaisistes. Je ne suis pas aussi pessimiste, mais, que nos sociétés déclinent par un manque d’énergie, c’est quelque chose qui risque d’arriver. Il faut comprendre que nous devons augmenter la consommation de charbon, de gaz et de pétrole et que, chaque année, on rajoute l’équivalent de la France dans le monde en pétrole. C’est un raisonnement qui aura forcément une limite. Le prochain choc pétrolier nous pend au nez. On parle de quelques années, on sait ce que cela entraîne la crise économique et le chômage, et des économistes indiquent que le manque de pétrole y est pour beaucoup dans la crise de 2008. Le manque de pétrole va forcément arriver, empêchant les pays pauvres de sortir de leur pauvreté et empêchant les pays riches de continuer à vivre comme ils vivent. À cela s’ajoutent les conflits potentiels, comme la guerre du Golfe, et les conflits sociaux.
Bravo
Une approche réaliste et argumentée des besoins en énergie pour éviter de tomber dans la pauvreté.La matière grise ou intelligence exige une consommation accrue d’énergie d’où une réflexion sur la lutte contre la pauvreté…
Ceux qui annoncent l’effondrement ne sont pas que des survivalistes, voir Pablo Servigne.
https://www.youtube.com/watch?v=JV2XPq-SmDk
Vous vous trompez de problème. Le problème actuel n’est pas tant le manque d’énergie fossile; il ne s’agit pas de trouver une source alternative.
Plus d’énergie = plus d’humains, plus de biens, plus de… tout. Sur une terre à géométrie fixe, c’est impossible.
Alors oui, le nucléaire est la SEULE solution au manque d’énergie à venir. Mais ce n’est pas la solution au BON problème.