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Doron Levy : « Un otage peut valoir jusqu’à un million d’euros. »

La prise d’otages, un business qui se développe…

Expert en sûreté et protection des entreprises, mais aussi chargé de cours dans plusieurs facultés de France et de l’étranger, Doron Levy est l’auteur de « Braquages, actualités, évolutions, ripostes » et il a participé à l’ouvrage de référence « Sûreté, mode d’emploi ». Dans son dernier livre, il analyse le phénomène des prises d’otages qui se multiplient, pas simplement dans des zones dangereuses de la planète mais aussi en France où, pour des raisons crapuleuses, les faits divers font état de plus en plus de prises d’otages, notamment pour des raisons financières.

Extraits de l’entretien

Kernews : On associe toujours l’otage à une personne qui est capturée et reste prisonnière pendant un laps de temps. Toutefois, vous commencez votre livre en nous invitant à réfléchir sur cette définition de l’otage. En fait, nous sommes tous un peu des otages d’une manière ou d’une autre…

Doron Lévy : C’est tout à fait cela. En 2020, j’ai été confiné comme tout le monde et j’avais ce sentiment de privation de liberté, notamment de circulation. Nous n’étions donc pas libres de nos mouvements et cela m’a permis de réfléchir à ce que pouvait ressentir quelqu’un quand on le prive de tout. Évidemment, on ne peut pas faire la comparaison avec un vrai otage, mais on peut imaginer ce que cela peut signifier pour une personne, qui n’a rien demandé, que de se retrouver privée de cette liberté fondamentale. Le statut d’otage a fortement évolué et il est surprenant de constater que depuis la nuit des temps, les otages ont été utilisés d’abord pour faire la paix et que c’est seulement après que c’est devenu quelque chose de plus crapuleux et de beaucoup plus sombre.

Il y a aussi le sentiment d’être pris en otage dans sa vie quotidienne et l’on entend souvent des gens dire : « Je suis otage de mon travail » ou « Je suis otage de mon couple »…

On peut extrapoler sur cette notion d’otage et ce sentiment d’être pris en otage. Aujourd’hui, un chef d’entreprise qui licencie quelqu’un peut se retrouver pris en otage par ses salariés. Il y a aussi ce nouveau phénomène des fausses prises d’otage, comme prendre en otage quelqu’un pour son enterrement de vie de garçon… C’est un phénomène qui se répand de plus en plus. Et l’on observe de plus en plus de prises d’otages numériques, notamment par des attaques via les boîtes mail. Tout cela évolue en permanence.

Dans le cadre d’une occupation, peut-on considérer que c’est toute la population qui est prise en otage ? Par exemple, la population française était-elle finalement l’otage de l’armée allemande ?

L’otage de guerre a toujours existé, depuis les pharaons, les Grecs ou les Romains, et les accords de paix se faisaient en contrepartie d’otages. Les otages allaient dans le camp adverse, parfois même ils se mariaient… Pendant les grands conflits mondiaux des temps modernes, les otages risquaient beaucoup plus leur vie, puisque des populations entières étaient utilisées comme des boucliers humains. L’otage a toujours servi à faire la paix. Pendant les guerres mondiales, les populations étaient tenues en otages.

 En Ukraine actuellement, sur les zones occupées par les Russes, si un professeur veut poursuivre sa vie, il doit enseigner la version russe et, lorsque le village est libéré par les Ukrainiens, le même est arrêté en étant traité comme un collabo…

C’est vrai, mais il n’y a rien de nouveau. Cela a toujours existé. Tous les envahissements de territoires ont impliqué le fait que les populations qui décident de rester acceptent les nouvelles conditions de l’occupant à plus ou moins long terme. Après, il y a le contexte politique et il est évident que beaucoup de gens n’ont pas le choix. Donc, ce sont des otages en quelque sorte. Ce sont des gens qui sont chez eux, libres de leurs mouvements, mais sous une tutelle qu’ils n’ont pas choisie.

Il y a plus de 30 000 enlèvements chaque année et l’on découvre que ce n’est pas simplement réservé à quelques pays africains ou d’Amérique du Sud…

Nous sommes tous concernés. La prise d’otages de ressortissants étrangers a souvent un rapport avec la géopolitique et la guerre, mais il y a toujours derrière des raisons crapuleuses. La plupart des prises d’otages ne se font pas toujours dans les pays que vous évoquez, mais aussi en banlieue, puisque l’on voit de plus en plus de séquestrations dans les domiciles pour vider des coffres. Il y a aussi des règlements de comptes entre bandes rivales et, par ailleurs, des choses très glauques comme l’affaire Ilan Halimi qui était une prise d’otage qui a débuté avec une demande de rançon et qui s’est terminée en meurtre antisémite. La prise d’otages ne se passe jamais comme prévu et c’est toujours une équation avec de multiples inconnues. Le danger est permanent et, au milieu de tout cela, vous vous retrouvez avec des personnes qui n’ont rien demandé et qui doivent survivre. C’est pour cette raison que j’ai absolument voulu restituer les bonnes pratiques retenues par les témoignages de ces otages qui ont survécu, pour essayer d’en retenir quelques lignes de vie pertinentes.

Comment intervenez-vous auprès des entreprises ou des personnalités ?

Le gros du travail, c’est d’abord d’estimer le risque de façon précise sur l’activité de la personne, avec différents processus de prévention. Si une personne doit partir à l’étranger et s’il y a un risque, elle doit savoir qu’il y a effectivement de bonnes pratiques et qu’il faut se préparer et accepter ce risque. Après, vous avez la vie en captivité, puis la libération ou l’évasion, ce sont des moments toujours très difficiles. On explique d’abord aux gens les interdits fondamentaux. Enfin, le troisième temps, c’est la vie d’après, qui sera difficile parce qu’il va falloir vivre avec cette expérience qui laisse des traces. Souvent, les gens sont obligés d’aller voir des médecins spécialisés.

Les données ne doivent pas être les mêmes selon la nationalité de la personne, sa religion ou son origine ethnique…

Ce sont des données qui vont compliquer l’équation. À la base, une prise d’otage est souvent motivée par une ou deux raisons fondamentales, principalement l’argent, ou des raisons de guerre. L’otage n’a rien demandé. Effectivement, s’il représente un symbole, par exemple celui d’un État ennemi, il est évident que ce n’est pas bon du tout. Les ravisseurs choisissent un otage après avoir recueilli des informations spécifiques, avec l’idée d’avoir un impact sur une décision politique, mais c’est très souvent pour demander de l’argent et ensuite subventionner des activités illicites.

Évoquons maintenant le syndrome de Stockholm… 

Il y a une définition clinique du syndrome de Stockholm. Après une telle expérience, l’otage va devoir vivre avec. La plupart s’en sortent, mais certains expriment une sorte d’empathie qui peut sembler incompréhensible pour nous. J’ai rencontré un otage qui avait été retenu en Syrie et il m’avait raconté qu’il avait carrément tenté de recontacter l’un de ses ravisseurs via LinkedIn… La relation entre l’otage et le geôlier est presque incestueuse. Souvent, quand vous rencontrez des gens qui ont survécu à l’Holocauste, ils évitent de raconter les détails et l’on se demande si c’est seulement avec leurs ravisseurs qu’ils pourraient tout évoquer. On retrouve cet aspect incroyable dans cette relation avec le geôlier. On a même vu des geôliers qui pouvaient exprimer une empathie absolue pour leur otage. Cela fonctionne dans les deux sens.

Les geôliers peuvent-ils être aussi des stratèges en faisant preuve d’empathie vis-à-vis de leur otage afin d’essayer de le retourner ?

La nature humaine est pleine de surprises. Vous avez quelqu’un qui est pris en otage et qui risque de mourir, il doit tout faire pour survivre et, de l’autre côté, vous avez un geôlier qui doit préserver un avoir financier. Un otage peut valoir jusqu’à un million d’euros. Donc, le geôlier doit le garder en vie, tout cela discrètement, en évitant qu’il puisse s’enfuir. Pour cela, les terroristes ne cherchent pas forcément à maltraiter leurs otages, mais il est évident que les conditions de détention ne sont pas idéales. C’est assez glauque, il y a quand même aussi des maltraitances et des exécutions. Cependant, si l’otage a été choisi pour une rançon, les geôliers vont tout faire pour le garder en bonne santé afin de pouvoir l’échanger. C’est un vrai business.

 Il y a eu le baron Empain ou un journaliste capturé par Mesrine, ce sont des phénomènes assez rares en France, mais peut-on penser qu’avec la montée de l’insécurité cela risque de se développer ? 

La prise d’otages est quelque chose de facile et d’accessible. Regardez, il y a des bandes de dealers et de criminels qui règlent leurs comptes en faisant des prises d’otages. Je ne suis pas certain que le suivi statistique soit très précis en la matière, car les gens ne déposent pas toujours plainte, même s’ils connaissent leurs ravisseurs. Mais après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu des notables, des célébrités ou des industriels qui ont été capturés, on était dans le grand banditisme. Tout cela pour de l’argent, alors qu’aujourd’hui on a des affaires qui sont montées par des gens très peu préparés et qui peuvent concerner tout le monde. Parfois, on a le jugement moral facile, mais quand on découvre comment les gens réussissent à survivre, on ne peut pas tout comprendre et il y a toujours une part de mystère qui subsiste.

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Écrit par Rédaction

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