Règlements de comptes entre bandes rivales, émeutes urbaines, attaques de commissariats au mortier, actes de terrorisme, crimes sordides, agressions à l’arme blanche… La France est frappée en plein cœur par un ensauvagement sans précédent. « Le problème de la police, c’est la justice ! », scandent les forces de l’ordre, exaspérées de courir après les mêmes récidivistes. Confronté à une double fracture identitaire et sécuritaire, notre pays vit aujourd’hui sous la menace réelle d’un « face-à-face ». À travers ses expériences de magistrat et de député, Georges Fenech décrit de l’intérieur le hold-up sur la justice par un clan idéologisé. Il met la lumière sur les lâchetés d’une classe politique tétanisée face à une magistrature conquérante. Nous avons interrogé Georges Fenech sur son livre.
On a oublié que toute politique pénale repose sur la prévention et la répression
Il raconte qu’en 1978, à son arrivée à l’École nationale de la magistrature, il avait déjà l’étrange impression d’être sur une autre planète : « On peut même remonter au lendemain des événements de 68, avec la création du Syndicat de la magistrature, et le développement de toute une doctrine, dite de défense sociale nouvelle, qui considère le crime comme un sous-produit de la misère, et qui considère le criminel comme la première des victimes. Donc, la sanction n’a pas tellement d’utilité, puisqu’il faut au contraire éduquer, et soutenir moralement la personne, à l’opposé du répressif. On a oublié que toute politique pénale repose sur la prévention et la répression et, l’un sans l’autre, il y a un déséquilibre. Toute cette idéologie de la culture de l’excuse a infusé au sein de l’École nationale de la magistrature et chez les générations de magistrats à venir. »
Il ne peut pas y avoir de juges de droite ou de juges de gauche
L’ancien député évoque la capitulation des politiques dans ce domaine et il souligne être rentré en politique par effraction : « Les mandats électifs sont des chasses gardées par les partis politiques. J’étais magistrat, très sourcilleux de mon indépendance, et je ne me mêlais pas de politique. J’ai décidé de rentrer en politique avec l’ambition de faire bouger les choses avec la légitimité du suffrage universel. Je me suis mis en disponibilité de la magistrature, je me suis présenté devant les électeurs, cela n’a pas été simple, car il a fallu véritablement jouer des coudes pour s’imposer et gagner une circonscription. » Lors de notre entretien, nous lui avons fait remarquer qu’il a été un juge de droite à s’engager en politique, mais il a immédiatement réagi : « Je réfute totalement la qualification de juge de droite, il ne peut pas y avoir de juges de droite ou de juges de gauche, le juge doit totalement être impartial et ne pas avoir de préjugés à caractère politique dans ses décisions. Malheureusement, le Syndicat de la magistrature a fait prévaloir une idéologie en affirmant qu’il fallait faire rentrer le débat politique dans les prétoires. À partir du moment où vous voulez faire de la politique, si vous êtes magistrat, il faut vous mettre en retrait de la magistrature, et faire ensuite de la politique. Il ne faut pas confondre les rôles. »
Il faut vraiment que le juge soit en dehors de tous les débats
Nous évoquons la crainte de la classe politique face au gouvernement des juges : « Il y a une forme d’appréhension d’une magistrature conquérante qui s’est manifestée, notamment dans les années 80 et 90, visant à s’intéresser d’un peu plus près au financement des partis, car c’était l’époque des grandes affaires, comme Urba. Cela a d’ailleurs donné un air nouveau à la démocratie, puisque personne ne doit échapper à la loi, j’ai moi-même été en charge d’une affaire financière qui avait donné lieu à la première loi d’amnistie. Les magistrats font leur travail en toute honnêteté intellectuelle dans leur ensemble mais, malheureusement, une frange de magistrats, qui n’est pas anodine, puisque cela représente 33 % des magistrats aux élections professionnelles, se trompe en considérant que juger est un acte politique. Les Français ont tous été très choqués lorsqu’ils ont appris qu’il y avait un mur des cons dans le local syndical, sur lequel étaient épinglés les noms et les photos, notamment de pères dont les filles ont été violées et assassinées par Guy Georges. » Georges Fenech insiste sur l’impartialité nécessaire du juge : « Il faut vraiment que le juge soit en dehors de tous les débats. Bien entendu, c’est un homme ou une femme qui n’est pas insensible à tout ce qui remonte de la société, mais il rend la décision au nom du peuple Français, mais pas au nom de son idéologie. Donc, il doit appliquer la loi fidèlement à l’esprit du législateur sans se substituer au pouvoir politique, sans quoi il n’y a plus de séparation des pouvoirs et plus de démocratie. »
Georges Fenech souligne aussi que, plus les juges sont montés en puissance, plus les citoyens ont perdu confiance à l’égard des politiques : « La nature a horreur du vide, à partir du moment où les politiques se sont abstenus de prendre des décisions qu’attendait le pays, les juges se sont engouffrés pour s’occuper des problèmes de société, ce qui n’est pas le rôle du juge. Le juge n’est ni une assistante sociale, un éducateur ou un conseiller, il doit appliquer la loi. »
Quand l’élu de la Nation se défausse de son pouvoir, c’est aussi le peuple qui est dépossédé de sa souveraineté
L’indépendance de la justice s’est accompagnée de la création d’une multitude d’autorités administratives indépendantes, qui sont devenues des États dans l’État et, même si ce sujet n’est pas abordé dans son livre, nous avons voulu avoir son opinion : « C’est l’analyse que l’on peut faire aujourd’hui, il y a une forme de démembrement du pouvoir politique au profit de personnalités nommées, qui n’ont pas la légitimité du suffrage universel, et qui ont une compétence éminemment politique. Vous avez le juge de l’audiovisuel, le juge de la bourse, le juge de la Cour européenne des Droits de l’homme, et de nombreuses autres instances qui ont permis aux politiques de se défausser sur des personnalités et des institutions qui n’ont pas de responsabilités propres devant le pays. On doit s’inquiéter d’une perte du pouvoir car, quand l’élu de la Nation se défausse de son pouvoir, c’est aussi le peuple qui est dépossédé de sa souveraineté. Il faut se méfier d’une excessive judiciarisation car tout devient du ressort du juge. La société fonctionne avec un parlement et un exécutif et le juge est là pour sanctionner toute violation à la loi, mais il n’est pas là pour la fabriquer. » Dans ce contexte, faut-il remettre à plat toutes les autorités admiratives indépendantes ? « Il y a quelques voix qui s’élèvent à ce sujet, par exemple Laurent Wauquiez s’inquiète de cette dérive et de cette dépossession du pouvoir politique, il demande une remise à plat de toutes ces autorités qui fleurissent depuis une trentaine d’années qui ont accaparé un pouvoir qui est normalement celui du politique ».
Il faut exercer ce métier avec une conscience aiguë de l’indépendance
Revenons à l’impartialité de la justice et, face à cette politisation, peut-on encore avoir confiance dans la justice de notre pays ? Georges Fenech explique : « À partir du moment où vous vous demandez comment pense le juge, il y a forcément une perte de confiance. Le juge doit être au-dessus de toutes ses positions partisanes. Dans les pays anglo-saxons, les juges ont un statut très élevé, ils sont au-dessus de toutes ces considérations, on les appelle Votre honneur, ce qui montre bien la différence de statut. Nous avons assisté à une sorte de fonctionnarisation du métier de juge, alors que ce n’est pas un fonctionnaire comme les autres puisqu’il détient un pouvoir sur votre liberté. Il y a une dimension tout à fait supérieure à n’importe quelle autre fonction d’administration. On prête à Napoléon Ier d’avoir répondu que l’homme le plus puissant de France était le juge d’instruction. J’ai mesuré à quel point ce pouvoir était écrasant puisque j’ai été juge d’instruction pendant 10 ans. Il faut exercer ce métier avec une conscience aiguë de l’indépendance qui doit être la sienne. » Finalement, on pourrait faire un parallèle avec un journaliste qui doit défendre la vérité, même si cela va à l’encontre de ses opinions politiques : « C’est l’honneur de ce métier de journaliste que d’informer le plus objectivement possible. Rien n’empêche le journaliste de commenter et d’exprimer une opinion. La presse d’opinion ne me choque pas du tout, c’est la liberté, on ne doit pas être tout le doigt sur la couture du pantalon à devoir penser de la même manière. On est là pour débattre et la presse d’opinion me paraît vivifier une démocratie. »
« L’ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques. » de Georges Fenech est publié aux Éditions du Rocher.