L’invité de Yannick Urrien du lundi 2 mai 2022
Alain de Benoist : « Chaque fois qu’il y a un grand événement, il ne sépare pas la droite et la gauche, mais il clive de manière transversale la droite et la gauche. »
Extraits de l’entretien
Beaucoup de gens de droite disent qu’ils ne voteront jamais pour le Rassemblement national parce qu’ils estiment que Marine Le Pen et de gauche alors que, selon, Emmanuel Macron est de droite parce qu’il est libéral. Ce sont souvent des entrepreneurs qui définissent le libéralisme comme le fait de payer moins d’impôts et de pouvoir commercer librement, en opposition à la soviétisation de l’économie. Dans tous ces oppositions, que signifie être de droite ?
Alain de Benoist : C’est une vieille question, débattue et rebattue, à laquelle il n’a jamais été très facile de répondre pour une raison assez simple : la droite, cela n’existe pas. Il y a toujours eu des droites qui ont des idées, des intérêts et des conceptions de la vie qui sont souvent très différentes et parfois opposés. C’est la raison pour laquelle l’union des droites, dont on parle régulièrement, ne s’est jamais véritablement produite. Nous sommes dans un moment historique où le clivage gauche droite, qui avait ordonné la lutte politique depuis plus d’un siècle, tend à disparaître. L’une des grandes leçons des récentes élections présidentielles, celle de 2017 et de 2022, c’est que les partis qui se réclamaient clairement de la droite et la gauche, c’est-à-dire les grands partis de gouvernement, ce sont totalement effondrés, le Parti socialiste en 2017 et Les Républicains en 2022. Au premier tour de la dernière élection présidentielle, vous aviez trois candidats qui avaient plus de 20 %, et tous les autres étaient entre 0 et 7 %. C’est un fait complètement nouveau qui correspond à la disparition des partis de gouvernement. À la place, il reste des grands blocs. Il y a le bloc élitaire autour d’Emmanuel Macron, le bloc populaire autour de Marine Le Pen et un bloc très hétéroclite autour de Jean-Luc Mélenchon. Si vous regardez les deux principaux blocs, le bloc élitaire et le bloc populaire, l’un et l’autre refuse de se définir par rapport au clivage gauche droite. C’est tout à fait nouveau et cela ne s’est jamais passé au cours du XXe siècle. Chaque fois qu’il y a un grand événement, il ne sépare pas la droite et la gauche, mais il clive de manière transversale la droite et la gauche. Vous avez de proaméricains et des antiaméricains à droite, vous avez des pro-européens et des antieuropéens, etc.… C’est la raison pour laquelle le clivage droite-gauche est appelé à disparaître, au moins pour quelques temps en France, même si le terme est toujours employé pour des commodités de langage.
Prenons l’exemple d’une famille qui votait traditionnellement à droite mais aujourd’hui les mêmes membres de cette famille imaginaire sont divisés, puisque certains sont pour Emmanuel Macron, d’autres pour Marine Le Pen…
Il faut prendre cela comme une clarification. Vous évoquiez le libéralisme, si le libéralisme c’est simplement payer moins d’impôts, on le saurait depuis longtemps, mais il est normal que les gens raisonnent ainsi parce que le mot libéral a été extrêmement galvaudé. Je raisonne en historien des idées politiques et je sais bien que le libéralisme est une philosophie, une théorie, qui a son histoire, ses courants et ses tendances, mais aussi sa conception de l’homme et de la vie, qui est essentiellement individualiste, donnant la priorité à l’économie sur le politique, et concevant la société globale comme un immense marché. Donc, dès que l’on a compris que le libéralisme, le capitalisme libéral, est un fait social total, comme le disait le sociologue Marcel Mauss, évidemment on est amené à se définir d’une manière un peu différente, en fonction de ce libéralisme.
Aujourd’hui, on parle beaucoup du clivage entre les mondialistes et les souverainistes : qu’en pensez-vous ?
C’est une façon de définir le nouveau clivage. Quand vous parlez de mondialistes, on reste un peu dans l’abstraction, même si on comprend bien ce que cela signifie. Je serais plutôt tenté de définir cela d’une façon sociologique, il y a d’un côté l’oligarchie d’essence bourgeoise et libérale, autour d’Emmanuel Macron, et les classes populaires et la fraction des classes moyennes qui est aujourd’hui en voie de disparition. Mais cela revient un peu au même car l’oligarchie est une oligarchie transnationale, mondialiste si vous voulez, qui ne croit pas aux frontières ou à la personnalité des peuples et des cultures. Par ailleurs, il y a les classes populaires, qui sont de quelque part, elles ne sont pas de n’importe où, en France sont surtout dans la France périphérique, elles sont enracinées à leur manière, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne bougent jamais, mais elles s’appréhendent comme porteuses d’une histoire, d’une culture ou des paysages. C’est tout à fait opposé à la nouvelle classe de l’oligarchie qui résonne comme si elle était détachée de tout enracinement. C’est une oligarchie hors-sol.