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Florent Ly-Machabert : « Les moyens de pression vis-à-vis d’un État aussi endetté que la France sont importants »

Florent Ly-Machabert est un économiste libéral conservateur français. Major de l’École des Hautes Études commerciales en 2007, agrégé de sciences économiques et sociales, intervenant et directeur de mémoire à l’EDHEC, il a fondé en 2013 Samarie & Cie, un cercle de vulgarisation économique et sociale à visée libérale conservatrice (https://samarie-cie.fr). Depuis 2007, il publie régulièrement des travaux variés (romans, essais et documents) aux éditions Ubifrance, Lettres du Monde et Éditions universitaires européennes, tout en étant un chroniqueur régulier du journal Contrepoints et du Courrier des Stratèges.

Kernews : On a le sentiment d’être dans un train qui roule à très grande vitesse et qui se rapproche du mur de la dette, mais les passagers sont toujours inconscients…

Florent Ly-Machabert : C’est une belle métaphore. On pourrait reprendre aussi celle du Titanic, avec l’orchestre qui continue d’accorder ses violons alors que le naufrage a commencé… Le problème, c’est celui de la trappe à dettes : c’est lorsque l’on s’endette à un taux durablement supérieur au taux de croissance que l’on arrive à dégager chaque année. Depuis que la Banque centrale européenne a remonté les taux, entre juin 2022 et juin 2024, nous sommes en moyenne à plus de 3 % sur un emprunt d’État à dix ans. Malheureusement, nous n’avons pas 3 % de croissance. Nous avons péniblement 0,8, et encore, avec des artifices dont l’INSEE et Bercy ont le secret. Durablement, si l’on s’endette à 3 % sans avoir 1 % de croissance, nous sommes exactement dans ce que les économistes appellent la trappe à dettes. L’histoire économique est remplie de pays qui ont sauté pour moins que cela.

La plupart des gens n’écoutent pas ce discours et ils estiment que c’est une affaire qui sera réglée entre grands financiers… Que leur dites-vous ?

Ils feraient mieux de méditer ce qui est arrivé aux Chypriotes, aux Libanais et aux Grecs ! Ce que l’on appelle le scénario à la grecque, c’est lorsque, de façon non volontaire, un pays doit faire ce qu’il ne veut pas faire. Pour la Grèce, elle a dû se plier à ses engagements européens. À partir du moment où nous sommes dans l’Union européenne, que cela nous plaise ou non, on doit avoir une dette publique qui ne dépasse pas 60 % du PIB et l’on doit avoir un déficit public qui ne dépasse pas 3 % du PIB. La France explose complètement ses compteurs et c’est pour cela que la Commission européenne nous a placés dans une procédure pour déficit excessif qui va nous coûter entre 2 et 3 milliards d’euros. Le signal envoyé aux marchés financiers qui, pour l’instant, continuent de nous faire confiance, n’est pas très bon. Il est arrivé des mesures terribles à la Grèce, imposées par la troïka, à savoir la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne, des acteurs qui sont venus pour saigner les Grecs. D’ailleurs, ce coup de tronçonneuse, Javier Milei le fait lui-même en Argentine. Les Argentins ont librement voté pour Javier Milei et il faut souhaiter que les Français puissent voter librement pour quelqu’un qui va tailler dans les dépenses publiques. Mais on cherche encore cet homme politique. En Grèce, on a rogné sur les salaires des fonctionnaires de l’ordre de 30 % pour que les critères de l’Union européenne soient respectés. Si la Grèce ne voulait pas respecter ces critères, libre à elle, mais à ce moment-là, elle n’aurait pas dû rentrer dans la zone euro.

Lorsque vous évoquez cet argument, y compris auprès de gens cultivés, ils vous répondent toujours, avec une forme de mépris, que la France n’est quand même pas la Grèce, le Liban ou Chypre…

C’est vrai, comme si c’était une exception française. Mais la France est un gros morceau. François Hollande avait plaidé auprès d’Angela Merkel pour que la Grèce reste dans la zone euro. Pour la France, c’est une autre affaire, 3200 milliards de dette publique, cela ne peut pas être digéré par l’épargnant allemand ! Donc, nous sommes nécessairement sur un scénario encore plus grave, qui peut conduire à une implosion de la zone euro, donc de fait de l’Union européenne. J’ajoute que si ce n’est pas la troïka qui impose ces mesures, ce sont les marchés financiers qui s’en chargeront. Pour l’instant, chaque fois qu’il y a une émission de bons du Trésor pour la France, les choses se passent bien. Cela se bouscule au portillon et les montants adjugés sont toujours plus faibles que la demande. Il en serait allé autrement si le Nouveau Front populaire était sorti majoritaire et probablement pareil pour le Rassemblement national. Donc, les marchés surveillent ce qui se passe. Nous ne sommes plus à l’époque où quand il y avait un petit manque, on faisait cela en interne. À partir du moment où nous allons sur les marchés financiers – et plus de la moitié de notre dette est détenue par des investisseurs étrangers – les moyens de pression des détenteurs étrangers sont énormes. Au niveau de la zone européenne, on a vu que l’Arabie Saoudite a menacé de vendre massivement les titres de dette de pays européens dont la France, si la France faisait n’importe quoi avec les avoirs russes gelés. On a vu aussi, dans le cadre de l’arrestation du fondateur de Telegram, que les Émirats arabes unis ont gelé instantanément une commande de 80 avions Rafale. Les moyens de pression vis-à-vis d’un État aussi endetté que la France sont donc importants.

Il y a un autre argument que l’on entend souvent : le fait qu’il y a encore de l’argent chez les riches et qu’il faudrait taxer les superprofits…

Effectivement, on peut s’asseoir sur le droit de propriété, comme au bon vieux temps de l’URSS, de façon hard ou soft. En réalité, il y a déjà une forte menace contre le droit de propriété. Par exemple, si vous êtes propriétaire d’un bien immobilier qui a le malheur d’être mal noté dans son diagnostic énergétique, dès le 1er janvier prochain vous ne pourrez plus louer ce bien. Mais le droit de louer un bien dont vous êtes le propriétaire est l’un des trois piliers qui font que vous êtes pleinement propriétaire de ce bien. Effectivement, si l’on commence à s’asseoir sur l’un des piliers de ce qui fonde notre démocratie libérale, nous sommes dans une soviétisation rampante de notre économie. Je rappelle que l’actuel président de la République est l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande…

Après l’interdiction de louer, il y aura sans doute de nouvelles voix pour réclamer la taxation ou l’interdiction d’occupation, y compris par les propriétaires, des biens mal notés…

Le droit de propriété est rogné progressivement. On a même vu des propositions de lois pour distinguer la propriété du foncier, comme cela se fait au Royaume-Uni. C’est une dérive et il faut être conscient de ce que cela induit comme modèle de société derrière. Tout cela fait écho au Forum économique de Davos avec cette fameuse phrase : « Vous ne posséderez plus rien, mais vous serez quand même heureux. » Cette idée de nous déposséder de tout ce dont nous sommes propriétaires, je ne sais pas si cela va nous rendre plus heureux, mais c’est le programme rampant et transparent du Forum économique de Davos.

Les médias ont aussi une forme de responsabilité. Il y a des médias alternatifs, qui disent la vérité, mais les médias mainstream sont toujours crus par les Français moyens…

On se retrouve face à un biais de confirmation bien connu : ce qui va dans le sens de ce que les gens croient déjà est approuvé. Les plus audacieux vont vers d’autres médias et ils constatent qu’il y a un autre écho. Mais j’observe quand même que depuis la crise sanitaire, il y a une lente maturation. C’est un réveil qui prend son temps, mais c’est un changement d’époque lourd de conséquences psychologiques. Cette maturation est en cours. On peut garder la tête sous l’eau en faisant l’autruche, alors autant continuer de regarder les médias de grand chemin. Mais si l’on veut véritablement se former, il faut faire son marché et cela demande quelques heures par jour.

Ce qui est intéressant, dans la réaction des Émirats arabes unis cet été, ce n’est pas simplement une dénonciation de la mauvaise gestion de notre pays, ce sont aussi les atteintes au droit de propriété qui ne sont pas acceptées…

Le droit de propriété, c’est l’usus, le droit de l’user, mais aussi le fructus, c’est-à-dire la possibilité d’en retirer du fruit, donc de le louer. Mais c’est aussi le droit de s’en séparer, donc de le revendre. Si l’on doit revendre son bien parce qu’une loi nous empêche de louer, ce droit de propriété est quand même menacé. Tout cela est au cœur des droits naturels qui ont été si importants dans le monde occidental.

Ce respect du droit naturel, qui est de moins en moins honoré en Europe, et qui nous distingue du reste de la planète, est source de nombreux conflits…

C’est vrai, nous sommes en train de perdre cette réputation. Prenons l’exemple de la Chine, qui est un modèle très particulier, avec ce mélange de communisme, d’étatisme et de crédit social vicieux. Cependant, il y a aussi ce confucianisme, avec cet accent qui est mis fortement sur l’harmonie, ce que l’on appelle le vivre ensemble en France. Ce confucianisme remplace l’individualisme qui reste très présent en France et en Europe. Simplement, il y a le bon individualisme, tout comme le mauvais individualisme. Ce qui prend le dessus dans l’Union européenne, c’est ce mauvais individualisme qui ne respecte même plus la liberté d’expression et le droit de propriété. On pourrait lister toutes les libertés fondamentales, qui sont d’ailleurs garanties dans la Constitution, mais sur lesquelles on s’assoit gentiment. On pourrait aussi rajouter la liberté d’instruction qui est menacée, avec toutes ces attaques menées contre l’instruction en famille.

La douleur est plus facile à accepter lorsqu’elle est progressive, car on s’en rend moins compte, contrairement à la révolution russe quand les bolchéviques ont pris le pouvoir très rapidement…

C’est une technique. On vient influencer dans le cadre d’une politique publique afin d’inciter les gens à prendre une décision qu’ils n’auraient pas prise spontanément. On a changé de méthode. On est dans l’influence, on découpe le risque en tranches, donc on paupérise progressivement. L’inflation a été une aubaine pour paupériser les Français. La hausse de l’électricité et du gaz a aussi été une aubaine pour faire passer cette pilule du risque. En réalité, ce sont de nouvelles ressources fiscales, mais dans la tête des gens tout est noyé dans une hausse banale de factures. On a aussi déplacé un certain nombre de risques vers l’assurance vie ou vers le plan d’épargne retraite. Les décrets sont parus et si vous avez une assurance vie en gestion pilotée, équilibrée ou dynamique, vous aurez entre 4 et 15% d’actifs non cotés, potentiellement toxiques, qui n’ont rien à faire dans votre assurance vie ou dans votre plan d’épargne retraite. Mais Bruno Le Maire, dans la loi relative à l’industrie verte, a décidé qu’il fallait mettre cela dans l’épargne. Il y a des parades, comme revenir en gestion libre ou en gestion prudente, mais si l’on n’y prend pas garde, ce découpage du risque vise à le diluer.

En plus, on fait tout cela au nom de bons sentiments…

Le XXe siècle est malheureusement rempli de bons sentiments, mais on peut faire le bilan de ces différents totalitarismes. Tocqueville avait prédit ce totalitarisme doux, qui passe aujourd’hui par la technique et les nouveaux médias, comme le crédit social chinois. En conclusion, il y a quand même des motifs d’espérance. La monnaie numérique est en train de se prendre les pieds dans le tapis des banques commerciales. La Banque centrale européenne pourrait d’un clic décider ce que vous pourrez faire de votre monnaie numérique. Mais les banques commerciales commencent à s’apercevoir que l’on est en train de leur retirer le monopole dans ce domaine et l’on peut raisonnablement penser que la monnaie numérique ne verra pas le jour. La tentative de supprimer l’argent en Suisse ou en Suède est un échec. Donc, il y a quand même des motifs d’espérance.

Écrit par Rédaction

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