Saint-Cyrien, ancien officier parachutiste à la Légion étrangère et créateur en 2011 d’Edelweiss RH, François Bert accompagne les dirigeants dans leurs décisions humaines, stratégiques et opérationnelles. Il a fondé en 2019 l’École du Discernement, destinée aux décideurs publics et privés. Il forme notamment à la prise de décision les commissaires de police et les directeurs pénitentiaires, ainsi que les cadres dirigeants et haut-potentiel de plusieurs grands groupes.
François Bert explique :« J’ai accompagné beaucoup de dirigeants et j’ai pu constater que le point nodal, ce qui bloque le fonctionnement collectif, c’est bien cette attitude intérieure à donner aux choses la portée qu’elles méritent, donc le discernement. On part du principe que cela ira de soi, alors que ce n’est pas le cas. On peut donc structurer son intériorité pour y arriver et c’est un point que l’on a complètement laissé de côté. »
Il faut être capable de mesurer la conséquence des choses.
Chacun peut avoir sa définition du discernement. On peut évoquer une notion de justice dans un rapport de force et les analyses sont multiples. François Bert reconnaît que le discernement est un sujet complexe : « On souligne l’absence de discernement quand il y a un sentiment d’injustice prolongée : par exemple, quand quelqu’un applique la loi pour la loi. Il y a une notion de contexte. Il faut bien considérer le fait que toute la difficulté de la décision, c’est qu’elle est relative et c’est bien pour cela qu’il faut se mettre à l’écoute du contexte. Par exemple, je pose souvent cette question : « Est-ce que Saddam Hussein ou Kadhafi sont des salauds ? » A priori, oui, puisqu’ils ont du sang sur les mains. Mais, pour autant, fallait-il les destituer ? À ce moment-là, tout le monde s’interroge, puisqu’à partir du moment où l’on rentre dans ce territoire de relativité, il faut être capable de mesurer la conséquence des choses. Il y a une notion de contexte et une notion de mission. Donc, on n’est pas dans un absolu lointain, ou dans la dictature du bien, mais dans une réévaluation. »
François Bert ajoute : « Nous sommes dans un monde d’instantanéité qui veut des résultats parfaits, tout le temps et à l’instant T. On se retrouve avec l’obsession de paraître, souvent sur du creux, au détriment de l’action. Il faut évaluer toujours avec une certaine distance les personnes et les situations, car seulement un certain temps permettra de mesurer l’action des gens. Il faut prendre les choses par rapport au contexte que l’on évalue. On peut se targuer d’être un État de droit, c’est très bien, mais on a des procédés extrêmement compliqués, avec un ensemble de textes qui viennent de l’Union européenne, et, à la fin, on s’aperçoit que cet enchevêtrement donne lieu à une insécurité majeure qui fait que le citoyen est plus exposé que le coupable potentiel. » Dans ce cadre, « un chef doit avoir la parole rare, parce que, quand un chef parle, il faut que ce soit mis en œuvre derrière. Quand la parole publique est galvaudée, avec des déclarations qui ne sont pas suivies d’effets, après une émotion momentanée, cela galvaude la parole d’un chef qui émet quelque chose qui n’est pas suivi par une action. Il faut se taire, trier, aller à l’essentiel, mais cela inclut en aval de prendre toutes les dispositions pour que, lorsque l’on a dit quelque chose, cela se fasse. Il y a une phrase de Louis XI que j’aime beaucoup : « Qui ne sait dissimuler ne sait régner. » Il ne disait pas cela dans un sens tordu, mais dans celui qu’il est évident que pour parvenir à son action finale, il faut éviter d’exposer toutes les étapes de sa trajectoire, pour prendre le temps d’élaborer quelque chose de juste, mais aussi pour élaborer un plan en profondeur. C’est le principe de l’embuscade : quatre heures d’attente, deux minutes de feu ! » Dans ce contexte, « le premier effort législatif à faire aujourd’hui serait la désinflation. Il y a eu 1 350 décrets et 83 000 pages produites l’année dernière. On devrait décortiquer les lois, voir ce qui bloque, poser les choses dans notre rapport à l’Union européenne, pour qu’à la fin il ne reste que quelque chose d’opérable et que retentisse enfin en France le silence de l’action. »
Ceux qui contestent n’ont pas fait preuve de discernement au moment où toutes ces lois ont été votées
On évoque souvent le discernement sous l’angle de la prise de décision, alors que l’on pourrait aussi considérer la nécessité de bien s’informer pour comprendre les enjeux essentiels. Ainsi, les gens se plaignent de l’effondrement du secteur immobilier et de l’interdiction programmée de la maison individuelle, or ceux qui contestent n’ont pas fait preuve de discernement au moment où toutes ces lois ont été votées, notamment lorsque l’on envisageait les conséquences des DPE. François Bert réagit à cet exemple : « Il est intéressant d’observer que tous les compartiments de la vie politique et sociale sont touchés par cela. Il faut prendre en compte l’ensemble des paramètres dans toute forme de situation. Dans le monde de la finance, c’est la même chose et tous les krachs boursiers sont arrivés à la suite de gens qui ont conçu des produits financiers purs, sans rapport avec la réalité. Parce que quelqu’un a une idée en tête, il ne voit que son idée et il va la pousser, de la même manière qu’un juge va traiter une affaire toute seule, sans analyser la répercussion de l’affaire dans le contexte. »
Souvent, on perd une énergie folle sur des choses qui nous mobilisent émotionnellement
Enfin, François Bert nous livre un autre conseil : « Souvent, on perd une énergie folle sur des choses qui nous mobilisent émotionnellement. On est dans de mauvaises priorités et, en plus, on est obligé de se battre tout le temps sur tout. Sur les réseaux sociaux, chaque homme politique se croit obligé de mettre son grain de sel sur quasiment toutes les affaires, donc il devient illisible. La question à se poser est simple : est-ce qu’une non-décision de ma part a des conséquences immédiates ? Cela permet de clarifier sa pensée sur ce que l’on doit faire immédiatement. L’affaire Nahel est un cas d’école. Il y a deux enjeux, un enjeu individuel, celui d’une famille endeuillée, et un enjeu collectif, celui de la continuité de l’autorité. Si seulement l’État s’était posé la question : est-ce que ma non-prise de parole a des conséquences immédiates ? Donc, il vaut mieux se taire tant que l’on n’a pas tous les éléments et, par principe, conserver sa position en soutenant sa police, même si les images sont défavorables. Il fallait se contenter de répéter que toute personne qui continue de refuser d’obtempérer sera confrontée à des conséquences graves. Nous n’en serions pas là. Cette question simple a énormément de vertus sur le fait de garder un cap sur ce qui est important et laisser du temps à ce qui est moins important parce que l’on n’a pas tous les éléments. »
« Le discernement : à l’usage de ceux qui croient qu’être intelligent suffit pour décider » de François Bert est publié aux Éditions Artège.