« Flo », le film de Géraldine Danon, est un biopic relatant l’histoire extraordinaire de Florence Arthaud, navigatrice légendaire surnommée « La petite fiancée de l’Atlantique », qui a réalisé ses rêves malgré les obstacles. Elle a marqué l’histoire de la navigation par sa victoire éclatante lors de la Route du Rhum en 1990.
Au-delà de ses exploits sportifs, « Flo » raconte l’incroyable destin d’une femme qui a toujours su défendre sa liberté. Après avoir survécu à un traumatisant accident de la route, Florence Arthaud a décidé de rejeter son milieu bourgeois et de suivre ses rêves les plus profonds. Le film explore les défis qu’elle a dû affronter pour se défaire des attentes sociales et vivre pleinement sa passion pour la mer.
Kernews : Vous êtes issue d’un milieu urbain, avec une famille qui a toujours été dans le cinéma. Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de changer de vie pour vous rapprocher de la nature et des océans ?
Géraldine Danon : Mon grand-père, Maurice Jacquin, était passionné de mer. Il avait un bateau et c’est sur son bateau que je suis montée la première fois. Je devais avoir cinq ans et le virus de la mer est arrivé ainsi. Ensuite, j’ai toujours été attirée par la mer. J’ai rencontré Titouan Lamazou, le premier navigateur à avoir gagné le Vendée Globe et, par lui, j’ai découvert une autre façon d’approcher la mer en le suivant dans ses voyages. Nous avons eu un garçon ensemble, Loup, qui joue dans le film « Flo », il interprète le rôle de son père. Ensuite, j’ai rencontré mon second mari, Philippe Poupon, et j’ai décidé de tout quitter pour partir en mer. Les marins sont assez discrets et j’avais envie de prendre la parole pour raconter tout ce que la mer peut nous apprendre.
Vos enfants ont suivi des cours par correspondance sur le bateau à l’autre bout du monde…
Quand je suis partie en mer, Loup avait neuf ans et mes deux filles avaient six mois et un an et demi. Donc, on peut vraiment considérer qu’elles sont nées sur un bateau. Marion a fait ses premiers pas dans le golfe d’Amundsen, lors du passage du Nord-Ouest, puisque nous étions l’un des premiers bateaux à franchir ce passage qui relie l’Atlantique au Pacifique par la mer de Béring en une traite. Effectivement, ils ont suivi leur scolarité à bord et cela fonctionne très bien, puisque Loup a eu son bac avec une mention très bien et il a passé une maîtrise en sciences politiques à la Sorbonne. Donc, c’est un système qui marche. Cela leur a apporté une ouverture d’esprit et une humanité que peu d’enfants ont.
De nombreuses études indiquent que les jeunes qui sont restés en marge du circuit traditionnel de l’Éducation nationale ont souvent connu par la suite des parcours exceptionnels…
Oui, parce qu’ils sont très vite confrontés à la différence et ils doivent s’adapter. Donc, cela ouvre énormément sur le monde. Il n’y a pas de système parfait et cela peut aussi les renfermer. Mais ce n’est pas le cas de Loup, qui avait neuf ans quand il est parti en mer. Mes filles n’ont vécu que dans cet univers et j’ai pu m’apercevoir à terre qu’il n’était pas toujours simple d’aller vers les autres. Elles ont une maturité supérieure à celle des enfants de leur âge, vu tout ce qu’elles ont vécu, et à l’école on a pu observer un petit fossé…
Vous avez publié plusieurs livres sur cette nature que vous connaissez bien, dont on observe qu’elle reste très forte : par exemple, pendant le confinement, on a vu la nature reprendre très vite ses droits, alors que l’on pensait que ce serait beaucoup plus difficile…
Dieu merci, la nature a une grande résilience ! On peut s’en apercevoir à travers les coraux qui blanchissent très rapidement et qui reviennent à leur état d’origine également très rapidement. La planète n’est pas au mieux, mais il faut y croire. Chaque petit pas qui va dans le bon sens permet d’avancer et il n’est pas trop tard pour reprendre les choses en main, protéger nos océans, arrêter de balancer nos déchets et consommer un peu moins. Tout ce que l’on fait rentrer à bord d’un bateau, cela reste avec nous. On fait attention à nos déchets, on doit produire son électricité, on doit faire attention à la réserve d’eau… Donc, on a conscience du bien-être que l’on peut vivre parfois de façon un peu plus légère sur terre.
Les documentaires sont souvent réalisés par des scientifiques, mais dans vos œuvres on décèle l’œil d’une cinéaste…
Je me suis toujours attachée à raconter les choses telles qu’elles étaient. Nous ne sommes pas des scientifiques, on sert de plate-forme aux scientifiques. On travaille avec l’IFREMER depuis des années en faisant des prélèvements sur l’eau, en allant sur des parcours très peu fréquentés. Mais j’aime filmer, donc j’essaie de le faire avec mon cœur.
Il y a une grande prise de conscience écologique dans nos régions et, lorsque l’on navigue entre Belle-Île-en-Mer, Houat ou Hoëdic, on peut noter que les plaisanciers se comportent bien. Constatez-vous cette évolution dans le monde ?
Je ne sais pas. J’ai appris qu’en Bretagne, cet été, il y a eu des plages fermées parce que certains plaisanciers balançaient leurs déchets à l’eau… Mais je m’efforce de me concentrer sur ce qui va. Je suis positive. Il y a effectivement une prise de conscience positive et les choses vont dans le bon sens.
Évoquons maintenant votre film « Flo » : vous racontez l’histoire de cette femme qui s’est battue pour s’imposer dans un milieu d’hommes, il y a aussi le portrait de cette grande navigatrice, cette photographie du monde marin…
C’est un film qui est à la croisée des chemins de toutes mes vies, entre le cinéma, la mer et les marins. Florence Arthaud était une femme extraordinaire, une grande championne, un marin d’exception… Elle s’est battue pour vaincre les hommes sur leur propre terrain. Elle ne se contentait pas d’être la première femme, elle voulait être la première tout court. Elle a démontré que la mer n’était pas simplement une affaire de muscles, mais qu’avec un peu de talent, de sensibilité et surtout un gros mental, on pouvait réussir à battre les hommes. Son message a permis à beaucoup de femmes de relever la tête et je crois que cela est le cas, car elle a ouvert la voie à toute une génération de skippeuses. Mais pas seulement. Son message, celui que je porte à travers ce film, est de dire que quand on le souhaite vraiment, rien n’est impossible et qu’il faut aller au bout de ses rêves.
Dans certains métiers, les femmes ont dû se battre contre le législateur, par exemple pour devenir avocate. Cette fois-ci, c’est contre une corporation tout entière…
Sur la première Route du Rhum, elle n’avait pas le droit de courir pour une question d’âge. Donc, elle s’est aussi battue contre cela. On me demande souvent si c’est un film féministe et je réponds que ce n’est pas un film féministe, mais un film féminin, car il y a une grosse différence. Florence se battait pour les femmes. Le MLF est venu la rencontrer, mais elle a refusé d’y adhérer parce qu’elle ne voulait faire partie d’aucun mouvement. Son féminisme s’exprimait à travers les actes. Pour moi, c’est un peu la même chose, car je ne suis pas vraiment une femme de la parole. J’essaie plutôt de faire avancer les choses par les actes.
Au départ, les hommes sont convaincus que pour être un bon navigateur, c’est une question de muscles, alors que Florence Arthaud a démontré qu’il s’agit surtout d’une question de stratégie et de mental…
Elle avait un vrai talent avec les éléments et le vent. Elle pouvait rester des heures à la barre. Elle sentait toujours le vent. Le film s’adresse à tout le monde. Ce n’est pas un film de mer, c’est avant tout un portrait de femme. C’était mon amie et, en la racontant, je me raconte aussi à travers les lignes. C’est le portrait d’une femme extrême et libre, qui s’est battue pour s’affranchir de toutes les étiquettes et qui y est arrivée.
Le film permet aussi de comprendre que les grands talents, ceux qui se situent hors normes dans leur métier, sont également un peu hors normes dans leur vie privée…
Dans le cas de Florence, et de bien d’autres. On confond sa vie, on ne fait pas la part des choses entre son métier et le reste. C’est pourquoi je m’attache à raconter cela dans son intimité. Sa vie amoureuse a été aussi intense que sa vie sur l’eau et sa vie amoureuse a généré pas mal de choses quant à sa vie sur l’eau : on est dans l’action, la réaction, les ruptures…
Vous êtes née dans le milieu du cinéma et les images sont magnifiques…
Oui, j’aime le cinéma qui emporte. Ma ligne éditoriale serait de faire des grands films populaires et intelligents. On a présenté le film, avant sa sortie le 1er novembre dans les salles, et je m’aperçois que beaucoup de jeunes filles qui ne la connaissaient pas me disent qu’elles ont découvert ce personnage tout à fait hors normes et qu’elles ont eu envie ensuite d’aller au bout de leurs rêves.
Certaines séquences ont été tournées dans notre région…
Toutes les séquences ont été tournées en mer. Il n’y a pas de studio et tout est tourné dans les conditions du réel. On s’est baladé en Bretagne, dans le sud de la France, en Afrique du Sud et aux Antilles. C’était ma Route du Rhum à moi !
Que diriez-vous aux jeunes qui ont envie de vivre cette vie ?
Il faut foncer, il faut aller vers son risque. Chaque expérience contribue à un parcours initiatique qui est celui de la vie. Je suis curieuse de tous les univers. J’aime bien l’adrénaline et plus c’est fort, plus c’est extrême, plus cela me plaît.