Universitaire (docteur et habilité à diriger des recherches), Guillaume Bernard enseigne l’histoire des institutions et des idées politiques, en particulier à l’ICES (Institut catholique de Vendée). Son dernier livre traite d’un sujet délicat, puisqu’il s’agit de l’avortement. Il a adopté une approche originale à travers un dialogue imaginé entre un enfant qui est encore dans le ventre de sa mère et celle-ci qui désire interrompre la grossesse. Il souligne que cet ouvrage a été écrit dans une période difficile et il nous explique pourquoi il a voulu privilégier une forme littéraire : « Je tenais à ce que cela soit un dialogue, une confrontation d’arguments, d’émotions et de points de vue. Ce n’est pas une thèse qui cherche à imposer une façon de penser au lecteur, mais qui cherche à démontrer qu’il y a des questions qui se posent avec des points de vue différents, celui de l’enfant à naître et celui d’une femme. » Cet ouvrage est publié au moment où Emmanuel Macron veut faire inscrire l’avortement :dans la Constitution : « Je tombe à pic dans le débat actuel. J’ai voulu traiter de ce sujet, parce que la question des mœurs et de la relation amoureuse, qui peut conduire à un enfantement, m’a toujours intéressé. Je n’ai pas cherché à faire un ouvrage pour surfer sur l’actualité, mais il s’avère qu’il rencontre l’actualité du moment. »
Guillaume Bernard est l’invité de Yannick Urrien sur Kernews
Il y a une grande partie de la société qui ferme les yeux sur le drame que représente l’avortement
Il s’agit d’une question sensible et complexe, et Guillaume Bernard a voulu se montrer « loyal » en évoquant ce qu’il désigne par deux colères fracassées : « Deux colères fracassées, c’est parce qu’il y a un affrontement entre deux personnages, mais ces colères sont fracassées dans l’ignorance, parce qu’il y a une ignorance des arguments de l’autre. Et puis, je crois qu’il y a une grande partie de la société qui ferme les yeux sur le drame que représente l’avortement pour tout un ensemble de femmes qui sont conduites à cela, parce qu’elles se sentent obligées, après un viol évidemment, mais aussi sous la pression du père de l’enfant qui les abandonne, ou encore pour des raisons professionnelles. Notre société essaye d’ignorer qu’il y a un drame dans une telle situation. Le lecteur est pris à partie par les personnages puisque nous sommes tous des acteurs de ces différents drames qui sont quand même très nombreux en France, avec 200 000 avortements chaque année. Donc, c’est en même temps un drame social. C’est une ignorance coupable de ne pas essayer d’envisager que nous sommes tous en partie responsables de cette situation. »
La femme dispose de son corps, elle n’a pas souhaité sa grossesse, mais en même temps l’enfant voudrait pouvoir disposer de son propre corps
Dans cette démarche, on observe que la mère tutoie l’enfant et qu’il la vouvoie, comme si elle en était propriétaire : « C’est une bonne interprétation et il y a aussi le fait qu’il y a un rapport de force, puisque l’enfant ne peut rien faire contre sa mère, alors que la mère peut éliminer l’enfant. Dans ce rapport de force, l’enfant fait comprendre à la mère qu’elle pourrait elle-même se retrouver dans une situation de domination, vis-à-vis de son employeur, ou de son compagnon. Il ne faut pas jeter un voile pudique sur le fait que nous espérons être maîtres de nos comportements, mais très souvent ils sont influencés par notre environnement. » Dès le début, la femme considère l’enfant comme un accident et un problème passager : « Dans beaucoup de situations où une femme est amenée à avorter, c’est parce qu’elle n’avait pas prémédité sa grossesse. Pour autant, est-ce justifié de justifier la mise de l’enfant au rebut, comme si c’était un intrus ? Finalement, il n’est pour rien dans le fait d’exister. C’est un dialogue, c’est une confrontation d’arguments. La femme dispose de son corps, elle n’a pas souhaité sa grossesse, mais en même temps l’enfant voudrait pouvoir disposer de son propre corps. C’est une confrontation à laquelle on n’est pas habitué. L’enfant est un être qui a son propre corps, sous le contrôle de la femme qui le porte, mais pour autant c’est un être singulier qui se développe. »
On évoque souvent le conflit de civilisations, or ce débat concerne tout autant les chrétiens, les juifs et les musulmans. Nous avons demandé à Guillaume Bernard s’il était possible d’avoir comme lecture le fait que la civilisation englobe tous ceux qui comprendront ce qu’il écrit dans son livre, face à ceux qui se moqueraient. Il reconnaît qu’il y a effectivement des aspects religieux dans l’ouvrage, mais aussi des enjeux d’ordre philosophique, notamment sur l’appréhension du droit : « Un lecteur qui n’aurait pas d’intérêt pour les questions religieuses peut parfaitement lire cet ouvrage et il constatera que parmi les arguments qui sont utilisés, il y en a qui sont d’ordre philosophique et d’autres qui sont d’ordre théologique. Vous soulignez que les religions monothéistes convergent vers la défense de la vie innocente, alors que la modernité politique s’intéresse davantage à l’hédonisme, quitte à ce que cela entraîne des conséquences dommageables sur autrui. Vous avez raison et il est certain qu’il y a une convergence des religions sur cet aspect des choses. Il peut y avoir la question si, dans le fond, l’enfant s’opposait à l’avortement, pas uniquement parce qu’il y va de sa propre vie, mais parce qu’il considère qu’il y a un enjeu vis-à-vis du prochain et de la conduite morale que l’on peut avoir vis-à-vis de Dieu. Que le lecteur soit chrétien ou non, cela fonctionne de la même manière. »
Il serait totalement intolérant d’empêcher un auteur, et surtout les personnages d’un auteur, de débattre
Dans cet ouvrage, la femme souligne que les lois évoluent et que de nos jours il est prohibé d’inciter à ne pas avorter, alors qu’il y a une quarantaine d’années, c’était l’inverse : « Je pense qu’il est important d’évoquer cela dans le livre, parce que certains pourraient penser que le simple fait de débattre de l’avortement aujourd’hui serait attentatoire à la liberté des femmes d’y avoir recours. Il serait totalement intolérant d’empêcher un auteur, et surtout les personnages d’un auteur, de débattre d’une chose, qui est certes légale. » D’ailleurs, on retrouve cette célèbre phrase : « Mon corps m’appartient » Guillaume Bernard poursuit : « Dans le débat qui oppose cette femme à son enfant, qui est susceptible de disparaître ou de vivre, il y a la question de savoir si cet enfant est vraiment un être humain ou non, si cet enfant peut lui-même disposer de son propre corps, si la femme interrompt une grossesse ou si elle détruit le fruit de ses amours. On aborde un certain nombre de sujets qui sont assez durs. C’est pourquoi la forme littéraire m’est apparue comme étant bienvenue, parce qu’elle permet d’adoucir la crudité des propos. Quand on parle de mœurs, on est susceptible d’aborder des questions graveleuses ou intimes, et la forme littéraire m’est apparue comme étant plus élégante, plutôt que de dire des choses extrêmement crues. »
Je me suis vraiment efforcé d’avoir une position, non pas neutre, mais loyale
Guillaume Bernard emmène le lecteur vers une réflexion sur la matrice de tous les glissements en matière de bioéthique, avec aussi des références au wokisme, comme s’il faisait une photographie plutôt sombre et diabolique de notre société : « Comme c’est un dialogue, les deux points de vue sont exposés et je me suis vraiment efforcé d’avoir une position, non pas neutre, mais loyale. La discussion ne donne pas de coups en dessous de la ceinture. Un très grand nombre de questions se tiennent et ne peuvent pas être traitées séparément les unes des autres. Le lien que l’on peut avoir à l’ordre social, à son identité, et sa pérennité, est aussi une question qui engage chaque personne, y compris dans son comportement sexuel et amoureux. » C’est aussi pour cela que l’auteur évoque la pornographie : « Beaucoup de sujets sont liés les uns aux autres et l’on aurait sans doute tort de s’imaginer que l’on peut traiter la question du féminisme, de la pornographie, ou de la démographie, en considérant que ce sont des sujets étanches les uns par rapport aux autres. Je crois qu’ils ont un lien et qu’ils sont intimement rattachés les uns aux autres. Cela ne suppose pas nécessairement que l’on doit tous les aborder, mais, dans la conversation, il est naturel d’évoquer ces différents thèmes. Il faut vraiment comprendre la logique propre de chaque pensée. J’ai essayé de montrer que ce ne sont pas que des choses ponctuelles, mais qu’il y a la nécessité de remonter à la source et de comprendre la cohérence globale d’une certaine manière de vivre. »
Ce livre est troublant. Il amène le lecteur à réfléchir, à comprendre chaque prise de position, mais aussi à prendre conscience de la valeur de la vie. D’ailleurs, Guillaume Bernard pourrait envisager de publier un livre similaire sur la question tout aussi sensible de l’euthanasie : « La seule chose qui me retient pour l’instant, c’est que ce serait la rédaction d’un ouvrage opportuniste. Or, j’ai écrit ce livre parce que dans ma vie, les questions littéraires et artistiques sont devenues plus importantes qu’elles ne l’étaient auparavant. »
« Deux colères fracassées dans l’ignorance. » de Guillaume Bernard est publié aux Éditions de L’Homme Nouveau.