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Hervé Juvin : « Nous sommes face à des puissances industrielles très supérieures à celles de beaucoup d’États, qui sont en train d’organiser l’appropriation du vivant, de déposer des brevets sur tout ce qui vit, bouge, respire à la surface de la Terre comme dans les profondeurs des mers… »

Quel avenir pour la France ? L’économiste et essayiste ouvre de nouvelles pistes de réflexion.

Les interventions d’Hervé Juvin sont toujours remarquées dans les médias et il vient d’accorder un long entretien à Yannick Urrien à l’occasion de la sortie de son nouveau livre : « France, le moment politique ». Hervé Juvin est économiste et essayiste. Il a conseillé de nombreux États, en Asie et en Afrique, il a été associé d’Eurogroup Consulting, un groupe de conseil en stratégie et organisation qui compte plus de 1200 consultants, et il a été président de l’Observatoire Eurogroup jusqu’en 2017. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, notamment chez Gallimard, Hervé Juvin intervient régulièrement dans le débat public où il développe ses analyses économiques et géopolitiques. Il a été le premier à lancer ce thème de « l’écologie des civilisations ». Dans cet entretien, Hervé Juvin, qui a notamment vécu à Pornichet, passe en revue tous les combats politiques qui attendent la France.

« France, le moment politique » d’Hervé Juvin est publié aux Éditions du Rocher.

Kernews : Vous présentez un manifeste écologique et social avec des propositions pour redresser la France. C’est un programme de civilisation qui va loin, puisque vous imaginez la France dans 100 ans. Vous commencez par traiter de l’écologie. En quoi la question écologique est-elle plus importante que la question économique, que l’on attendait davantage de votre part, puisque vous êtes économiste ?

Hervé Juvin : Ce livre s’appelle « France, le moment politique » parce que je crois que nous vivons un moment politique assez exceptionnel et c’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre. Le moment politique est exceptionnel à cause du vide politique… Quand je pense à la densité de femmes et d’hommes d’État que j’ai pu connaître dans les années 80 ou dans les années 90, je ne sais pas très bien aujourd’hui qui a la qualité d’une femme ou d’un homme d’État ! Et j’en vois très peu qui peuvent assumer le gouvernement de la France, parce qu’ils, ou elles, sont habités par une vision de la France. Je crois que ce vide politique se couple à un vide stratégique inquiétant. Que fait la France par rapport à la Chine ? Que fait la France par rapport à l’OTAN, de plus en plus agressive à l’égard de la Russie ? Que fait la France par rapport à un multilatéralisme totalement dépassé – on le voit avec les décisions du président Trump – et sans aucune réponse européenne ou française ? Ce vide stratégique est la manifestation la plus éclatante d’une question interdite qui est celle de notre identité collective. Je crois que l’Union européenne détruit l’identité collective des peuples européens, je crois que l’Union européenne cherche à détruire les nations européennes, mais elle se détruira elle-même. Je constate avec regret que la France ne sait plus affirmer une identité nationale et républicaine afin de faire de tous les Français et de toutes les Françaises un corps uni. Cela ne vient pas par hasard, ce vide stratégique et ce vide politique, cela vient de tant de décennies où la politique s’est réduite à la gestion des affaires et à la gestion de l’économie… Si j’ai choisi de commencer par l’écologie, c’est parce que ce sujet de notre milieu de vie, de notre santé, de la bienveillance de la nature, du maintien de l’incroyable richesse de la biodiversité animale et végétale et de la beauté du territoire français, tout cela est menacé pour nous-mêmes et pour les générations à venir. L’écologie est le domaine où l’on ne plaisante pas avec le temps ! Nous sommes aujourd’hui en train de jeter dans l’atmosphère, dans les eaux de la mer ou dans la terre, des substances chimiques, des rejets de gaz, dont les conséquences inéluctables se feront sentir à 50, 80 ou 100 ans… Les sujets de l’écologie obligent à avoir une vision pour les générations futures. Nous ne sommes pas aux 5 ans des échéances présidentielles, nous ne sommes pas dans les échéances électorales qui font courir tout le monde politique… Nous sommes contraints, quand nous regardons ce sujet absolument essentiel à notre vie, de penser à 30 ou 50 ans, donc très au-delà des cycles politiques actuels. C’est en ce sens que le moment politique est le moment où tous les acteurs sont confrontés à une vision de la France du futur, sur ce qu’il faut transmettre et sur ce qui doit demeurer envers et contre tout.

Vous estimez que les politiques se concentrent beaucoup trop sur l’économie, or sur ce point ils ont aussi failli !

L’erreur fondamentale, depuis la vague libérale, mais on l’a connue aussi dans le socialisme de l’industrie à outrance, comme dans le communisme centralisé de la planification, c’est de penser que l’économie dispose de tout. On a du sous-marxisme mal dirigé, y compris chez les ultralibéraux : ce que, probablement, ils ne comprennent pas, c’est qu’un corps politique c’est d’abord une identité, c’est d’abord un collectif doué d’une vie qui lui est propre et doué d’une ambition essentielle, celle de se diriger selon ses propres lois et de décider du destin que l’on s’est choisi. L’économie ne répond pas à toutes ces questions. Ce ne sont que les moyens de l’identité collective et ce ne sont que les moyens du projet collectif. À vouloir tout centrer sur l’économie, nos dirigeants politiques ont pris deux ou trois risques qui sont en train de leur exploser à la figure. Le premier risque – je pense à la célèbre phrase « Contre le chômage, on a tout essayé » – c’est que personne ne maîtrise l’économie au moment de la globalisation, parce que des forces très supérieures à celles des États et à celle des politiques décident du chômage, des revenus, de la circulation des capitaux et du commerce. Les politiques confient leur destin et font l’essentiel de leur discours sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas. Qu’est-ce que l’économie ? Pendant très longtemps l’économie s’est confondue avec le progrès et avec la croissance, d’où les affirmations de tant de dirigeants politiques, tout récemment encore en France : « Avec moi la croissance va remonter à 3 %, avec moi le chômage va redescendre en dessous des 5 %… » On sait ce qu’il en a été ! Est-ce si grave ? Certainement pas, parce que depuis un certain nombre d’années, probablement depuis les années 80 et 90, la croissance économique a cessé de se confondre avec le progrès. On sait bien qu’un certain nombre de sociétés les plus malades sur Terre sont des sociétés qui connaissent la croissance et la prospérité économique. On sait bien que des sociétés fières d’elles-mêmes, certaines de maîtriser leur destin, sont des sociétés qui ne vont pas très bien sur le plan économique : par exemple, des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne sont ravagés par l’obésité, sont ravagés par les conséquences de la nourriture industrielle qui n’a plus rien à voir avec les éléments naturels, ce qui donne une conséquence extrêmement brutale : l’espérance de vie des classes populaires est en train de régresser de plusieurs années ! Vous savez que l’espérance de vie est l’un des critères essentiels du développement humain. Dans le même temps, vous avez des pays qui, certes, n’ont pas le même niveau de richesse économique – je pense naturellement à la Russie, à la Chine, à nombre de pays d’Asie – qui sont animés par une conscience collective et une conscience d’un destin choisi et voulu qui fait que, d’une manière ou d’une autre, chacune et chacun estiment avoir sa place dans une aventure collective et qu’ils sont probablement beaucoup plus contents de la vie et confiants dans l’avenir que nous ne le sommes… Les statistiques internationales sont terrifiantes à cet égard ! Un Indien sous Ram Nath Kovind, un Russe sous Vladimir Poutine, ou un Chinois sous Xi Jinping, sont infiniment plus confiants dans l’avenir, infiniment plus heureux d’être Indiens, Russes ou Chinois que nous ne le sommes d’être Français, Britanniques ou Américains, malgré notre niveau indécent d’accumulation de richesses matérielles… Non seulement l’économie ne répond pas à tous les problèmes, mais l’économie est une partie du problème à venir !

Vous commencez votre livre en indiquant que l’existence de la France est aussi menacée en temps de paix qu’elle a pu l’être en temps de guerre ou par l’occupation étrangère… On pourrait d’abord penser que vous êtes parano, mais en égrenant tous les thèmes, comme l’écologie, la ruralité, l’alimentation, l’éducation ou la sécurité, on est carrément au tapis…

Nous ne sommes pas au tapis sur tous les points, parce que j’ai voulu faire un livre résolument optimiste et porteur d’une vision de la plus grande France. Quand elle est vue de Moscou, de Pékin, du Caire ou de New Delhi, la France est grande. Les messages de la France sont attendus, mais la France déçoit. Quand la France est alignée sur les positions de l’OTAN ou de l’Union européenne, elle déçoit. Sur un certain nombre de sujets absolument majeurs de notre conduite politique, on peut avoir honte de plusieurs quinquennats récents. On peut avoir honte du renversement d’une politique historique, qui remonte aux rois de France, c’est-à-dire la création de la poste, la création des Ponts et Chaussées, la création de la gendarmerie et des services de police… La France est l’un des pays dans le monde qui a le mieux réussi l’unification de son territoire par des politiques ambitieuses d’aménagement du territoire et d’égalité des citoyens devant le territoire. Depuis deux ou trois quinquennats, nous sommes sur une politique de désaménagement territorial. Que l’on ne s’y trompe pas, elle aura de très lourdes conséquences politiques ! Je viens d’en faire l’expérience. Vous pourriez me dire que ce sont simplement des petits villages isolés au sein de la Bretagne centrale ou des villages perdus de la Lozère : pas du tout, j’étais récemment dans une ville comme Sedan, il y avait plus de 20 000 habitants et il y a aujourd’hui 17 000 habitants. On va fermer l’hôpital de la ville pour le situer à Charleville-Mézières…Sedan, ce n’est pas un petit village perdu, c’était une place forte prestigieuse et qui, en quelque sorte, a le sentiment d’être rayée de la carte. Je parlais de cela avec des élus locaux du centre de la France et ils m’ont dit : « Nous, élus de Saint-Étienne et de Clermont-Ferrand, nous sommes dépouillés au profit de Lyon… » La France va-t-elle se borner à quatre ou cinq mégalopoles unies à tous les aéroports du monde au milieu d’un désert de gens sous-développés, de collectivités inutiles et peu à peu dépossédées de tous leurs pouvoirs ? Voilà un sujet absolument essentiel, car nous sommes sur une régression française.

Selon vous, nous ne réussirons pas notre relance économique sans promouvoir nos produits locaux et nos entreprises de proximité créatrices d’emplois durables. Vous voyez bien que dans nos provinces les gens privilégient les producteurs locaux. Cette prise de conscience n’est-elle pas en train de se faire naturellement ?

Il y a beaucoup de raisons d’être optimiste sur ce point. Récemment, j’étais dans un marché local en Aveyron et j’ai été frappé par la quantité de propositions de produits bio par les producteurs locaux et j’avais ce souvenir en tête : pour la première fois, le président d’un Crédit Agricole en Bretagne était un agriculteur établi en bio, ce qui était à peu près impensable il y a 15 ou 20 ans ! Donc, il y a des signes positifs. En même temps, j’essaie d’être très clairvoyant sur nos ennemis. Nos ennemis, c’est quoi ? En ce moment, c’est clairement les injonctions du président Trump sur l’agriculture industrielle américaine. Pour des raisons de précautions sanitaires, nous ne voulons pas de poulets lavés à l’eau de javel, nous ne voulons pas de viandes saturées d’antibiotiques ou de médicaments divers, mais le président Trump dit que ce sont des barrières déloyales et qu’il veut inonder l’Europe avec les produits des agriculteurs américains… Nous sommes face à des offensives extrêmement fortes ! Je vois Bayer, premier producteur mondial de la pilule anticonceptionnelle, acheter Monsanto, premier producteur mondial d’OGM, et je considère qu’il y a une conspiration contre la vie. Je considère que nous sommes face à des puissances industrielles très supérieures à celles de beaucoup d’États qui sont en train d’organiser l’appropriation du vivant, de déposer des brevets sur tout ce qui vit, bouge, respire à la surface de la Terre comme dans les profondeurs des mers… Une grande entreprise allemande détient la moitié des brevets sur toutes les variétés marines, c’est-à-dire sur tout ce qui vit dans la mer, pour commercialiser le vivant, pour se l’approprier et pour interdire cette vente aux populations locales des côtes, comme on interdit aux paysans la revente de leurs semences de ferme. Il ne faut pas s’y tromper, des puissances extrêmement fortes combattent la petite agriculture paysanne, l’autosuffisance des marchés bio, et condamnent cette merveille qu’un grand chef français, Guy Savoy, évoquait récemment : « La merveille de la France, quand vous traversez ces terroirs façonnés par des siècles de travail humain, sur le marché local ou dans le bistrot local, c’est que vous mangez les produits du terroir que vous venez de voir ». C’est la magie française, c’est l’attraction extraordinaire que la France exerce partout dans le monde, avec peu d’équivalents, un peu en Italie et dans d’autres pays. Il faut absolument la préserver, mais il faudra se battre pour préserver cela parce que les pressions de la globalisation et de l’industrie internationale sont extrêmement fortes pour en finir avec la singularité française et, pour être clair, avec la joie de vivre en France.

Vous évoquez cette approche écologique en dénonçant les tentacules de ces grands groupes mondialisés, mais en réalité, l’homme politique moyen qui fait de l’écologie en France se donne bonne conscience en alléguant qu’il limite la circulation automobile…

Vous faites allusion à un phénomène politique tout à fait singulier qu’il faudra éclairer. C’est le hold-up de la gauche radicale sur l’écologie. Fondamentalement, il n’y a rien de plus opposé. Fondamentalement, l’écologie c’est le propre d’hommes et de femmes bien sur leur terre, enracinés dans une culture, dans un lieu défini, et qui ont envie de transmettre cette culture et le bien-être de ce lieu. Ce sont des hommes et des femmes qui sont dans la transmission de long terme et qui se soucient, comme l’ont fait des générations de paysans français, de transmettre meilleur, plus fertile et plus riche le monde qu’ils ont autour d’eux. C’est exactement l’inverse de cette ultra-gauche de l’homme hors-sol, de l’accueil inconditionnel des migrants, de cet idéal de la globalisation ou de la mondialisation heureuse dont on voit à quelles catastrophes cela donne lieu ! Il y a eu un hold-up contre nature qui a été réussi. Il a été réussi à cause de la non-adaptation des mandats électoraux au sujet. Quand je regarde le monde actuel, je constate que le président chinois, comme l’avait fait Deng Xiaoping avant lui, s’est assuré un cycle de 30 ans de pouvoir cohérent… C’est la même chose que ce que fait Vladimir Poutine en Russie : il y aura au moins 20 ans de pouvoir politique cohérent en Russie, avec une logique appliquée à moyen terme. Nous, nous sommes ballottés par des échéances électorales de très court terme et l’on sait bien qu’un président, au bout de deux ou trois ans de mandat, est déjà un président en campagne pour sa réélection, ou c’est un président qui organise sa sortie, ce qui nous interdit fondamentalement de traiter les enjeux qui sont des enjeux de survie pour l’humanité et qui sont des enjeux de bien-être pour la population française. Je crois que nous sommes face à un problème politique récurrent qui fait que nos démocraties libérales, telles que nous les connaissons, avec les effets de mode qui dominent très largement l’Union européenne, dictés par l’émotion de court terme, des mouvements d’opinion largement fabriqués par les médias, nous interdisent totalement d’agir sur ces sujets essentiels que sont la santé humaine et la transmission de nos valeurs et de nos territoires, qui constituent l’exceptionnelle qualité du vivre ensemble en France et en Europe.

Dans votre allusion, on pense par exemple au paludier de Guérande : il aime sa terre, il a envie de transmettre sa terre et son savoir, il est respectueux de son environnement, il encourage les producteurs locaux qui font du bio mais, dans le même temps, il va voter écolo et signer des pétitions pour l’accueil des migrants… Que lui dites-vous ?

D’abord, il a beaucoup de chance ! C’est une région dans laquelle j’ai vécu pendant beaucoup d’années de ma vie. Il partage cette chance avec beaucoup de Bretons et c’est ce qui explique d’ailleurs la singularité du vote en Bretagne. La Bretagne a été l’une des régions de France les plus ouvertes sur le monde mais, par rapport à d’autres régions, la Bretagne a été extrêmement épargnée par les grandes vagues migratoires. Si, en Bretagne jusqu’ici, et je suis très prudent sur la suite, l’accueil des migrants a pu relativement bien se passer, c’est très largement parce que la Bretagne a gardé une identité, une force collective et des convictions religieuses qui étaient extraordinairement structurantes, qui font que, pour beaucoup de ceux qui arrivaient, il fallait en faire partie. Il y avait un ensemble cohérent. Ce n’est absolument plus le cas d’une grande partie de la France et c’est l’un des messages forts de ce livre. Toutes celles et tous ceux qui font passer la France avant tout – pour être clair, la France avant la mosquée, avant la synagogue et avant l’église ou la cathédrale, c’est le grand projet de la laïcité à la française – ont leur place dans la République. Celles et ceux qui font passer leur foi religieuse, leurs attaches politiques et leurs enracinements dans d’autres pays avant leur identité française, il faut se poser la question de la place qu’ils ont dans notre société et il faut se poser encore plus la question de ce que notre société doit à ceux qui la méprisent, à ceux qui la combattent et à ceux qui, quelquefois, cherchent à la détruire de l’intérieur…

Selon vous, dans notre moment politique, nous devons préférer notre unité interne et notre identité à notre économie. Pourtant, peut-être que 98 % des personnes vont vous répondre que le problème de l’identité ne pose aucun problème, « tant que les gens travaillent… » Donc, elles semblent privilégier l’économie par rapport à l’identité…

Je l’entends comme vous, c’est ce qui se partage au café du coin, mais regardez les votes et regardez le mouvement mondial. J’ai essayé de faire un livre très ouvert sur le monde et un livre très lucide sur les forces montantes dans le monde. J’ai eu la chance de voyager et de conseiller un certain nombre de gouvernements à l’étranger, plutôt en Asie et en Afrique, et j’ai eu la chance d’avoir suivi un certain nombre de mouvements politiques dans le monde. S’il y a un élément commun, dans les dix dernières années, aux principales régions du monde, c’est la montée du besoin d’unité collective, c’est la montée du besoin d’affirmation forte du collectif : c’est ce que l’on retrouve en Inde, en Russie ou en Europe de l’Est. Ces pays d’Europe de l’Est disent que l’idéologie du changement est peut-être très bien, mais qu’ils ont pu résister au communisme soviétique en conservant ce qu’ils étaient. Les Polonais, les Roumains, les Tchèques ou les Hongrois, ce sont d’abord des gens qui, pendant deux générations, se sont battus pour conserver ce qu’ils avaient de meilleur. Ce n’est pas l’Union européenne qui va leur demander de tout abandonner ! Est-ce que l’Union européenne va réussir, là où des années de communisme soviétique ont échoué ? Regardez aux États-Unis avec « Make America Great Again » : il y a cette affirmation d’unité nationale forte qui doit peser, qui ramène les notions de puissance à l’ordre du jour et qui fait que c’est bien de se sentir Américain en Amérique et c’est bien de se sentir Russe en Russie. J’aimerais que ce soit bien de se sentir Français en France ! Je ne suis pas sûr que l’Union européenne donne aux Européens le sentiment qu’ils sont sur leur terre, sur leur territoire et qu’ils sont bien défendus à leurs frontières extérieures.

Vous consacrez plusieurs chapitres à la place de la France de leur monde en expliquant qu’elle peut redevenir une grande puissance. Mais nous sommes déjà une grande puissance, puisque nous faisons partie des cinq membres du Conseil de sécurité et, à ce titre, nous sommes quand même très respectés…

Nous avons en effet beaucoup d’atouts pour redevenir une grande puissance. Nous avons d’abord l’histoire. L’Union européenne veut nous faire oublier notre histoire pour fabriquer cette espèce de monstre qu’est l’homme hors-sol, l’homme de rien, l’homme nouveau, l’individu de droit… Heureusement, les peuples dans le monde ont une histoire et ils ont des souvenirs de l’histoire longue. Ils se souviennent du temps où la France comptait parmi les non-alignés, ils se souviennent du temps où la France a su décoloniser, du temps où la France était porteuse d’une autre voix : ni soumission à l’empire soviétique, ni alignement sur l’impérialisme américain. Quand je regarde la manière dont le mur de l’Ouest n’est pas tombé, quand je regarde la manière dont nous sommes sous une réelle occupation américaine et sous une réelle occupation par les intérêts financiers anglo-américains, je ne peux pas m’empêcher de penser que le retour de cette France – la France de la Libération, la France qui refuse toute occupation et toute soumission – est toujours à l’ordre du jour… Je pense que la France peut reprendre une parole écoutée, cela veut dire qu’elle ne doit pas être soumise à l’économie, qu’elle ne doit pas être aux ordres des financiers anglo-américains, qu’elle doit savoir secouer la tutelle de l’économie, dire qu’il y a d’autres priorités dans le monde et les faire passer au premier plan de son agenda.

Vous abordez la question de la sécurité : est-elle la première de nos libertés individuelles ?

On a tort d’opposer liberté et sécurité. J’ai beaucoup d’inquiétudes sur l’avenir de nos libertés en France, j’ai beaucoup d’inquiétudes quand je vois la loi sur ce que l’on appelle les fake news, qui va permettre de tarir les sources d’information qui ne concordent pas avec les intérêts du pouvoir et, soyons clairs, avec les intérêts des multinationales et de la finance… J’ai beaucoup d’inquiétudes quand je vois la loi sur le secret des affaires qui va probablement limiter les capacités d’expertise et d’enquête sur la toxicité d’un certain nombre de produits. Je suis très inquiet quand je vois le Premier ministre se réjouir que l’on va réduire la durée de mise sur le marché des médicaments parce que, si quelque chose demande à être testé et éprouvé, ce sont bien les médicaments ! J’ai des inquiétudes pour nos libertés sur le plan de lois liberticides et des nouvelles acquisitions que l’on nous fait subir. Il suffit de regarder les faits divers, la sécurité au jour le jour des Français qui n’est plus assurée. Il faut dire très franchement que les gens n’ont pas peur des blonds aux yeux bleus dans les transports publics, ce n’est pas contre eux qu’ils sont obligés d’organiser des rondes pour surveiller leur maison quand ils partent en vacances ! Il faut être très clair, il y a un lien évident entre la sécurité et le multiculturalisme. D’ailleurs, Angela Merkel elle-même en avait convenu, peu de temps avant d’accepter, de manière totalement surréaliste, l’entrée d’un million de migrants sur le sol allemand. On en constate en Allemagne les conséquences avec, partout, la montée des partis d’extrême droite, le retour de nationalistes parfois agressifs, mais il y a partout une grande demande qui contribue à me faire douter de la primauté de l’économie. Un État qui n’assure pas sur son territoire la sécurité de ses citoyens n’est plus un État légitime ! La question va se poser en France auprès d’élites prétendues, auprès de la dictature mondialiste et globaliste qui veut que tous les hommes soient les mêmes. Un gouvernement, des dirigeants politiques et une élite qui n’assurent plus la sécurité des citoyens sur leur territoire, et donc le contrôle des frontières, ce sont des élites et des gouvernants qui ont failli et qui ne sont plus légitimes à exercer le pouvoir. Je suis persuadé que c’est une question qui va monter dans les années à venir.

Pourtant, ces lois liberticides passent toujours comme une lettre à la poste…

Probablement, parce que beaucoup de gens n’en ont pas encore vu les conséquences… Il y a une très longue expérience sur la censure : il y a eu la censure quand on a brûlé les lettres philosophiques de Voltaire, on a aussi parfois brûlé les auteurs… Tout cela a abouti au fait que depuis la fin du XIXe siècle, dans tout ce que l’on appelait les démocraties et les pays développés, on a totalement supprimé la censure ou à peu près. Or, la censure s’est restituée de manière subreptice depuis 20 ou 30 ans, avec les lois mémorielles, avec les lois qui interdisent de mettre en cause un certain nombre de faits historiques, avec les lois qui interdisent des commentaires sur les sujets de l’esclavage ou sur le sujet du massacre des Arméniens… Tout doucement, on a vu des vérités officielles se faire jour et, tout doucement, on a vu la censure se réinstaurer. On est en train de franchir une nouvelle marche… Simplement, l’histoire nous dit une chose très simple : la censure et l’inquisition se retournent toujours contre les inquisiteurs et les censeurs ! Je crois que le pouvoir actuel devrait faire très attention : il est très tentant de tenir les ciseaux de la censure, mais rien n’est plus dangereux que de les garder…

Sur le plan économique, lorsque l’on analyse votre positionnement, vous êtes libéral au sens où vous êtes favorable à la liberté économique mais avec un certain protectionnisme. Or, c’est assez peu identifiable sur l’échiquier politique français…

Tout simplement parce que l’économie est en train de changer de nature. L’économie est en train de changer de nature pour une raison bien simple, qui a d’ailleurs beaucoup compté dans l’élection de Donald Trump : on est en train de se rendre compte que la globalisation fait une poignée de milliardaires chez des gens qui ont ruiné leur ville et leur région, en mettant tous leurs voisins au chômage et en détruisant toutes les activités autour d’eux, tout simplement parce qu’ils ont fait fabriquer en Chine ou dans des pays où la main-d’œuvre est presque gratuite, en inondant les populations à fort pouvoir d’achat ! C’est la plaisanterie de la Start-up Nation. Plus personne ne croit en la Start-up Nation, sauf quelques attardés de ce côté-ci de l’Atlantique… On sait bien que la Start-up Nation, cela consiste à mettre énormément de capital dans des activités non rentables, qui ne deviendront rentables qu’en acquérant des positions de monopole que seules des grandes puissances, ou des réseaux particulièrement bien organisés, sont capables de leur assurer. Je pense notamment au phénomène des GAFA et l’histoire dira à quel point c’est toute la puissance américaine qui s’est investie pour faire des GAFA les géants qu’ils sont devenus. Donc, Start-up Nation, globalisation heureuse, libre-échange qui bénéficie à tous, ne me faites pas rire, plus personne n’y croit ! La nouvelle économie sera beaucoup plus locale. On essaiera de fabriquer localement beaucoup plus que ce que l’on fait aujourd’hui. La nouvelle économie tiendra beaucoup plus compte des coûts environnementaux et des coûts sociaux, on n’évitera pas le sujet des taxes environnementales et sociales. La nouvelle économie sera beaucoup plus respectueuse des appellations territoriales et des marques d’origine que des marques commerciales que l’on veut nous imposer et qui veulent totalement les détruire. Je crois que la nouvelle économie sera territoriale, elle sera davantage communautaire ou nationale et elle sera beaucoup plus intégratrice, parce qu’elle rompra avec la comptabilité actuelle. Entre une entreprise qui paie ses impôts en France, qui investit en France et qui embauche des Français, et une entreprise qui garde ses activités de siège, qui continue d’avoir une partie de sa gestion financière et de son management en France mais qui ne produit que dans des pays où le travail est presque gratuit, on voit bien que le résultat économique peut être le même, mais que le résultat social et politique est totalement différent. Aujourd’hui, ces entreprises sont imposées de la même manière, ce qui revient à dire que l’une d’entre elles est considérablement avantagée : celle qui a délocalisé, par rapport à celle qui garde sa production en France. Je ne pense pas que ce soit durable. Je pense que la nouvelle économie va être extraordinairement différente de ce que nous connaissons. Voilà pourquoi j’évoque beaucoup la coopération, l’association de tous les Français au capital des entreprises et des grands services collectifs. Ce sera une économie profondément différente de ce que nous connaissons, ce qui fait que je récuse volontiers les étiquettes de socialisme ou de libéralisme. Ne me faites pas rire, nous ne sommes pas dans une économie ultralibérale quand, en France, les prélèvements obligatoires vont finir par représenter 60 % de la richesse ! Très clairement, nous sommes dans une économie en voie d’étatisation ou de socialisation avancée mais, très clairement aussi, dans la branche compétitive de la France, nous sommes sur l’une des économies les plus dures du monde et les plus libérales du monde, car les grands groupes imposent des règles de concurrence et quelquefois des règles de monopole absolument impitoyables à leurs petits concurrents. Il faut rééquilibrer cela. Donc, il faudrait mettre un peu plus de libéralisme et d’esprit d’entreprise dans la partie de la France la plus protégée, et il faudrait probablement un peu plus de protection, un peu plus de coopération et un peu plus de participation territoriale dans la partie de la France qui vit sous l’égide de la concurrence mondiale.

Vous décrivez l’inverse de la politique économique menée actuellement par Emmanuel Macron… Pourtant, les Français vous diront : « Au moins, Macron, pour l’économie, il est bon ! »

Il bénéficie du prestige du banquier d’affaires… N’oublions pas que le banquier d’affaires n’est pas celui qui développe une entreprise, c’est celui qui achète et qui vend des entreprises…. Je ne sais pas ce que cela donnera pour conduire la France. Je crains, pour ma part, qu’une grande partie des orientations politiques prises en matière économique n’aboutissent, d’abord au pillage de nos territoires et de nos ressources, à une fragilisation supplémentaire de ces classes moyennes qui ont déjà tellement de mal à garder leur rang. J’ai peur qu’elles n’aboutissent à pire, en faisant du travail des hommes, comme de la Terre, comme de la vie, une marchandise comme les autres que l’on achète et que l’on vend sur le marché mondial. J’ai très peur que l’on ne soit en train de vendre la France au mieux-disant.

Enfin, vous connaissez parfaitement la presqu’île guérandaise puisque vous y avez même vécu…

Je suis né dans le Morbihan et, pendant plus de 20 ans, j’ai passé toutes mes vacances, mais aussi beaucoup de moments dans l’année, à Pornichet. Donc, je suis quelque part un enfant du pays, un Baulois ou un enfant des marais salants.

 

Écrit par Rédaction

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