Les raisons de l’effondrement économique et industriel de la France.
Jacques Léger a notamment été président de Valeo Clutches Transmissions, président des activités Food Europe de CarnaudMetalbox et directeur industriel du groupe Alstom. Il est l’auteur de quatre livres : « Homo Industrialis. Tu seras ton industrie » ; « La valeur ajustée. Tu seras ton innovation » ; « L’arche II de Noë. Tu seras ton énergie » et « Oser l’avenir. Tu seras ta politique ». Il publie également « Homo Industrialis : le blog des industriels audacieux » dans lequel il commente l’actualité économique. Son objectif est d’initier le débat pour contribuer au redressement national. Il nous explique pourquoi la situation de la France l’inquiète et quelles mesures il conviendrait de prendre pour contribuer à son redressement. Les ouvrages de Jacques Léger sont disponibles à la FNAC ou sur Amazon, ou en vente via son blog Homo Industrialis.
Kernews : Vous défendez une fiscalité plus juste et plus efficace à travers un programme libéral, comme on le retrouve partout dans le monde. Quelle est votre analyse ?
Jacques Léger : La vie, c’est toujours la même chose : il faut créer quelque chose pour pouvoir le distribuer ensuite. Il y a des pays qui ont la chance d’avoir des ressources minières, comme le pétrole et le charbon, et il y a ceux qui n’ont pas la chance d’en avoir et qui ne peuvent compter que sur leur travail. La France en fait partie. La base de notre société doit être fondée sur le travail, parce que c’est la seule façon de créer des richesses pour pouvoir ensuite les distribuer à ceux qui en ont le plus besoin.
Le culte du non-travail a-t-il commencé par les 35 heures ?
Même avant les 35 heures, il y a eu une conjonction malheureuse avec un Occident, à partir de 1968, qui en a eu un peu assez des efforts de reconstruction après la guerre et qui voulait profiter de la vie. Cela a pris un peu de temps et tout cela s’est mis en œuvre vers 1980. Je ne fais pas trop de références politiques, même si cela correspond à des périodes relativement précises. Le malheur, pour nous, c’est qu’à l’époque où nous avions envie de moins travailler et de profiter de plus de loisirs, avec des plus hauts salaires et des vacances, il y a un pays d’un milliard et demi d’habitants, où il y avait quasiment 100 % de chômage, qui a décidé de tout faire pour redonner à manger à sa population après 140 ans de malheur : c’est la Chine… On ne le voit pas tous les jours, mais les choses se sont passées de cette manière, avec une conjonction entre des gens qui voulaient moins travailler et, de l’autre côté de la planète, ces gens qui voulaient beaucoup plus travailler. Ainsi, les Chinois se donnent les moyens d’avoir du travail, avec des salaires 26 fois inférieurs aux nôtres et, comme nous n’avons pas trop envie de travailler, on se dit que c’est simple et qu’au lieu de produire chez nous, on va produire chez eux parce que cela sera moins cher. Tant que c’est marginal, on invente ce que l’on appelle le traitement social du chômage, parce que l’on pense que c’est provisoire. Mais, pour donner du travail à un milliard de Chinois, il faut en perdre beaucoup de l’autre côté… La France a perdu son travail, l’Amérique aussi, et, en rajoutant l’effet des 35 heures vers l’an 2000, avec une couche supplémentaire de prix de revient, cela justifie encore plus de délocalisations ailleurs et encore plus de chômage.
On peut comprendre qu’il y ait eu un moment de gueule de bois lorsque le séisme s’est produit, mais maintenant on peut se dire collectivement que l’on s’est endormi et qu’il est grand temps de se retrousser les manches. En réalité, on entend dans les rues, via les médias, qu’il faut plus de taxes et d’impôts et qu’il est facile de faire payer les riches…
Il y a quand même l’expression d’un sentiment d’injustice. Est-ce que tous les gens qui font état d’injustice sont des victimes de l’injustice ? Je n’en suis pas certain. Je ne veux pas justifier l’expression des uns ou des autres, je veux rester sur des principes. La première injustice en France, c’est que nous sommes le pays du monde qui a le moins de travailleurs marchands. On sait ce que signifient les actifs par rapport aux inactifs : les actifs ce sont les travailleurs marchands, les fonctionnaires et même les chômeurs. Mais, si vous enlevez les chômeurs des travailleurs actifs, et si vous enlevez les fonctionnaires qui contribuent à la qualité du fonctionnement du pays, c’est autre chose. Les fonctionnaires ne génèrent pas de richesses à proprement parler, ils aident les travailleurs marchands, par l’éducation, l’enseignement et un bon service public à mieux travailler et être plus productifs, mais ils ne génèrent pas des richesses que l’on peut vendre ou exporter. J’ai fait le calcul des travailleurs marchands pour sept pays, c’est-à-dire ceux qui créent les richesses, par rapport à la population totale, et voici le résultat. Je commence par les meilleurs : en Chine, il y a 55% de gens qui financent par le travail, non seulement leur propre vie, mais la vie des 45% autres. Vous avez les Japonais et les Coréens qui sont à 45%. L’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis sont à 40%. Et vous avez la France qui est à 28% ! C’est un chiffre incroyable. Cela ne veut pas dire que les 72% ne servent à rien, mais ils ne créent pas de la richesse productive. Ils aident à l’organisation. Nous avons 18 millions de personnes en France qui génèrent les richesses nécessaires à 100% de la population. Évidemment, la charge est absolument considérable. Imaginez un sac à dos que doit porter chaque travailleur marchand : le Chinois porte 0,9 Chinois sur son dos, le Coréen et le Japonais portent 1,2 personne, l’Allemand, l’Américain et l’Anglais portent 1,5 personne, le Français doit porter 2,6 autres Français sur son dos et l’on s’étonne qu’il trouve la charge lourde et qu’il coure moins vite que les autres… C’est désastreux, parce que cette charge se retrouve dans le coût du travail. Le travailleur marchand porte non seulement son salaire, dans son prix de revient, mais il porte le financement des 2,6 autres Français. Donc, il coûte une fortune et, comme il coûte une fortune, on le délocalise. Après, ils ne sont plus que 27%. C’est un cercle vicieux. Le problème, ce n’est pas de mettre plus de gens au travail à faire n’importe quoi : il faut mettre plus de gens au travail pour devenir des travailleurs marchands. Et quand on aura retrouvé le pourcentage de 40% de travailleurs marchands en France, ce sera formidable. Il manque à peu près 8 millions de personnes. Le jour où nous aurons 8 millions de personnes en plus qui cotiseront dans la soupière commune et 8 millions de moins qui prendront dans la soupière commune, cela changera tout. On pourrait réduire de 45% les cotisations des travailleurs marchands et le prix de revient baisserait énormément. On pourrait ainsi rapatrier en France un tas de travaux qui ont été donnés à droite et à gauche, et recréer des emplois. Encore faut-il que les gens aient envie de travailler !
Pour bien comprendre cette situation, imaginons une colocation avec dix copains dans un appartement. Dans les dix, il y en a à peu près six ou sept qui ne contribuent pas au loyer, à l’électricité ou à l’achat de la nourriture, mais qui aident en faisant le ménage, en surveillant les lieux ou en faisant la cuisine…
C’est à peu près cela, avec un peu d’humour… Et puis, un jour, parmi les trois qui paient, il y en a un qui en a marre de payer autant, puisque toute sa paie passe dans le loyer de l’appartement. Il s’en va, ils ne sont plus que deux à payer pour neuf et cela devient encore pire…
En plus, on va traiter de salaud celui qui s’en va !
C’est ce que nous devons expliquer aux Français. On parle du chômage, mais maintenant on s’y habitue… Cela fait partie du paysage, mais on ne parle pas du fait qu’un pays comme la France doit avoir du travail marchand pour s’en sortir. Il faut que tout le monde contribue à la soupière commune. La matérialisation financière de tout cela passe par les impôts car, pour financer les 72%, il faut mettre beaucoup d’impôts sur les 28%.
Donc, si plus de gens travaillent, ils consommeront davantage. Cette théorie du ruissellement est-elle valable ?
Avant même le ruissellement, il faut bien comprendre que, quand un fonctionnaire paie des impôts, ce n’est pas péjoratif parce qu’il faut des fonctionnaires dans un pays. On lui a donné un salaire pour qu’il puisse vivre et aussi payer ses impôts. Son salaire n’a pas été généré sur l’économie marchande, puisque l’État lui a donné un salaire pour qu’il couvre ce dont il a besoin pour vivre et pour payer ses taxes et ses impôts. C’est un circuit fermé. Les seuls impôts d’origine, avec les taxes évidemment, ce sont les impôts payés par les travailleurs marchands. Chaque fois que l’on veut payer un fonctionnaire, payer une retraite ou indemniser un chômeur, ce sont des charges que l’État va devoir payer. Et, pour les payer, il va être obligé d’alourdir les cotisations sur les travailleurs marchands. En résumé, chaque fois que vous avez un fonctionnaire qui n’est pas forcément utile – on pourrait occuper dix millions de fonctionnaires, mais ils ne seraient pas forcément tous utiles à l’avenir de la nation – chaque fois que l’on paie une retraite à quelqu’un de trop jeune et en bonne santé, chaque fois que l’on paie un chômeur qui n’est pas vraiment un chômeur, c’est un impôt supplémentaire que l’on ajoute et c’est une charge supplémentaire sur le travailleur marchand. On contribue à le délocaliser, et l’on crée un vrai chômeur de plus. On ne peut pas parler de justice quand on distribue de l’argent qui n’est pas forcément nécessaire, sur la charge de travailleurs marchands, dont la seule conséquence est qu’ils deviendront trop chers. C’est pour cette raison qu’il faut moins d’impôts. Car l’impôt, c’est le chômage au bout d’un certain niveau, parce que l’on est obligé de charger comme des bêtes les travailleurs marchands. Il faut réduire les impôts, pas pour une question de libéralisme, mais pour une question de justice. Il ne faut pas oublier que le fonctionnement de notre pays a été conçu à une époque où tout le monde était paysan. Or, aujourd’hui, le monde est industriel et mondialisé, et comprendre comment tout cela marche n’est pas si évident. Ma pédagogie, c’est une goutte d’eau dans l’Océan Pacifique, mais peut-être que plusieurs gouttes d’eau arriveront à faire quelque chose.