C’est à croire qu’ils n’ont toujours rien compris ! Michel Barnier réfléchirait sur des hausses d’impôts pour certaines catégories de Français ou d’entreprises. Dans l’esprit du Premier ministre, cette majoration serait concentrée sur les hauts revenus et les grandes entreprises. En réalité, les hauts revenus sont de plus en plus nombreux à quitter la France et l’on se doute que cette hausse va progressivement retomber sur le portefeuille des classes moyennes. Par ailleurs, Michel Barnier est très tenté d’aller chercher des pistes d’économies du côté de l’impôt sur les sociétés. Certaines voix à droite plaideraient également pour le retour de l’ISF, alléguant que la mesure serait plébiscitée par les Français. Nous évoquons ce sujet avec Jean-Baptiste Léon, directeur des publications de Contribuables Associés.
Kernews : Tout le monde semble découvrir en ce moment la question de la dette publique, tandis que vous travaillez sur ce sujet depuis de nombreuses années. Quelles sont les pistes d’économies ?
Jean-Baptiste Léon : Il y en a beaucoup, un peu partout. C’est ce qui est rassurant quelque part. Quand on se plonge sur la gabegie des deniers publics en France, on voit qu’il y a une marge de manœuvre extraordinaire. On peut faire des économies au plus haut niveau de l’État, dans les collectivités locales et dans les administrations de sécurité sociale. La plus marquante, mais pas la plus facile, serait de travailler sur la masse salariale de la fonction publique, car on voit que la fonction publique a beaucoup trop grossi. L’augmentation du nombre de fonctionnaires a été supérieure, au cours de ces 25 dernières années, à l’augmentation de la population française et à l’augmentation de la population active dans le privé. Cela ne peut pas durer. Le PIB marchand diminue face au PIB non marchand. Les créateurs de valeur et de richesse ont de plus en plus de mal à en créer, face à un État taxateur et à des administrations aux effectifs pléthoriques qui dévorent l’argent public, l’argent de nos impôts. C’est la fameuse formule de Xavier Fontanet qui dit que la France est un pur-sang, mais que sur son dos le jockey est obèse. C’est une très bonne image. Le but n’est pas de sacrifier cette administration, parce qu’elle fait aussi du bon boulot, sur certains aspects, mais elle est obèse et il faut lui rendre du muscle. Il faut faire maigrir le mammouth étatique pour avoir une France plus performante dans le concert des nations, qui pompe moins de richesse pour l’administratif mais plus pour la création de services et d’emplois.
Il faudra plusieurs années avant de voir les résultats de tout cela, alors que nous sommes dans une situation d’urgence. Vers quoi faut-il se concentrer en priorité afin d’éviter que la maison s’effondre dans les mois qui viennent ?
On peut ne pas reconduire un certain nombre de postes de fonctionnaires qui partent à la retraite et les économies viendront rapidement. Ensuite, sur les urgences extrêmes, il faut se mettre en tête qu’il faut baisser les dépenses publiques et non pas augmenter les impôts. On entend une petite musique sur les intentions de notre Premier ministre, Michel Barnier, qui ne s’interdirait pas d’augmenter les impôts pour « les plus aisés ». Il est toujours très difficile de savoir qui sont les plus aisés…
En France, c’est le voisin lorsqu’il a une plus belle piscine que la vôtre…
C’est exactement cela. Michel Barnier veut aussi taxer les entreprises les plus rentables. C’est assez terrible car on va encore une fois casser la machine productive. La mère des batailles, c’est de baisser les dépenses publiques et on peut le faire partout. Je rappelle que les agences de notation nous ont retoqués, le FMI nous a retoqués, la Cour des comptes retoque le gouvernement et Bruxelles nous menace d’une amende de 2,5 milliards d’euros si l’on ne fait rien dans les mois qui viennent pour réduire nos déficits. Donc, il faut baisser les dépenses publiques de 20 à 25 milliards, 110 milliards jusqu’en 2027, et on peut le faire aussi dans la sphère sociale en commençant réellement à faire la chasse aux fraudeurs. Il y a aussi tout un mécanisme de subventionnement, à travers les associations diverses, la politique de la ville et diverses politiques publiques mal conduites, comme celle de l’apprentissage qui coûte 20 à 25 milliards d’euros par an aux contribuables.
Il y a également la culture et l’audiovisuel public qui représentent plusieurs milliards…
L’audiovisuel public, c’est un budget de plus de 4 milliards d’euros. Nous sommes assez favorables à la privatisation d’une partie de l’audiovisuel public. Par exemple, je ne vois pas vraiment en quoi France 2 se distingue de TF1. Radio France possède plusieurs radios, dont Le Mouv’ qui n’est écouté que par les animateurs et leurs familles. Les résultats d’audience sont pitoyables. Parmi les collectivités territoriales, il y a énormément de subventions clientélistes qui sont versées aux copains et aux coquins, dans lesquelles on peut trancher sans problèmes. Mais, encore une fois, c’est une question de volonté politique. Il faut avoir le courage de ses idées pour engager de réelles réformes et pour que les choses aillent mieux.
Est-il possible de tenir un tel discours lorsque l’on vous répond en permanence dans les médias que vous voulez moins de médecins, moins d’infirmiers, moins d’instituteurs et moins de policiers ?
C’est une caricature, car on dit le contraire. Encore une fois, on veut un État plus musclé, avec une bonne administration et des fonctionnaires mieux payés, mais au mérite. Il faut aussi pouvoir les sanctionner et les sortir de la fonction publique comme cela se fait dans le privé lorsqu’ils ne sont pas bons. En 2022, sur 2,5 millions de fonctionnaires d’Etat, il y a eu 235 licenciements : 13 pour insuffisance professionnelle et 222 pour faute disciplinaire. Pour la même année dans le secteur privé, l’administration estime ce chiffre à 1,07 million… Nous voulons plus d’infirmières. Le problème de l’hôpital en France, c’est qu’une grande partie de la masse salariale est consacrée à l’administratif. Dans notre pays, 35 % des agents hospitaliers ne relèvent pas du personnel soignant, alors que c’est 25 % notamment en Allemagne et en Angleterre. Il faut diminuer cette sur-administration pour donner davantage de moyens aux forces vives que sont les infirmiers, les enseignants et les policiers.
On sait que le nouveau gouvernement ne pourra tenir que s’il n’y a pas une motion de censure votée par le Rassemblement national. Vous avez travaillé avec tous les partis : qu’est-ce qui vous semble être acceptable par le RN, les LR, Horizons et Renaissance ?
Il y a un sujet important : celui des normes administratives qui nuisent à notre compétitivité, aux entreprises et aux services publics. On a vu les agriculteurs qui ont manifesté au début de l’année 2024 et je constate que cette thématique de la norme revient beaucoup. Cela commence à faire l’unanimité. C’est une bonne chose, parce que nous sommes dans un véritable carcan normatif qui nous étouffe. Cela se chiffre en milliards d’euros par an et c’est un gros boulet en termes de compétitivité et d’efficacité de nos services publics. C’est un point sur lequel beaucoup de partis politiques peuvent se retrouver.
La chasse aux normes permet de générer davantage de recettes, puisque les entreprises sont plus compétitives. Toutefois, cela ne permet pas de baisser la dépense publique…
Certes, mais moins de normes, c’est aussi moins de fonctionnaires pour en créer. On a trop de Cerfa et de certificateurs. Dans certains pays, chaque fois que l’on crée une nouvelle norme, on en supprime deux ou trois… Diminuer les normes permettra de dégager plus de croissance pour les entreprises et cela nous coûtera moins cher, parce qu’il y aura moins de bureaucrates pour nous étouffer. Il y a aussi la question du millefeuille administratif. L’enchevêtrement des compétences entre État et collectivités territoriales coûte de plus en plus cher aux contribuables. La facture a été évaluée à 7,5 milliards d’euros par an par Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, dans un rapport remis au gouvernement : « Notre pays doit en finir avec la facilité, celle qui a conduit à permettre à tout le monde de s’occuper de tout, sans ordre ni coordination, sans responsabilité claire et, trop souvent, sans souci d’efficacité », peut-on lire dans ce document. Il y a trop d’empilements, entre les services de l’État, les opérateurs, les agences, quatre niveaux de collectivités, et parfois des syndicats, des sociétés d’économie mixte, etc. Le gisement d’économies est énorme si l’on clarifie les compétences.
Bruno Le Maire a été le ministre de l’Économie qui a le plus endetté la France. Que pensez-vous de son pot de départ, avec des gens qui buvaient du champagne dans une atmosphère de totale insouciance ?
Je me souviens de son intervention sur le plateau de TF1, en 2017, alors qu’il venait d’être nommé à Bercy. Il avait déclaré que la France était droguée à l’argent public et qu’il fallait désintoxiquer les Français. Ensuite, sept ans plus tard, il explique au personnel de Bercy que ce n’est pas une bonne chose que de gaspiller l’argent public. Mais, pendant ce temps, il a produit plus de 1 000 milliards de dettes ! Tous les indicateurs financiers et économiques sont au rouge. Cela fait 50 ans que nos budgets sont en déficit et l’on ne peut pas dire que la barre a été redressée au cours de ces sept dernières années.
Enfin, Michel Barnier vous semble-t-il être conscient de la situation ?
Il paraît en être conscient, mais dans les dernières déclarations qui viennent de fuiter, on s’orienterait vers une augmentation des impôts. En privé, il se dit qu’il a des mots assez durs sur la gestion de Bruno Le Maire et qu’il faut cesser cette politique des déficits. Michel Barnier doit comprendre que les Français en ont ras le bol du matraquage fiscal et que c’est à l’État de prendre les choses en main pour se réformer. Nous sommes le pays le plus taxé au monde et pourtant nos services publics partent à vau-l’eau… L’État doit entamer sa cure minceur et laisser respirer les Français.