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Jean-Carles Grelier, député Renaissance de la Sarthe : « La démocratie, c’est la cohabitation entre une majorité et une minorité avec, entre les deux, ce que Raymond Aron appelait un nécessaire compromis. »

Vivons-nous la fin de la démocratie ?

Jean-Carles Grelier, député Renaissance de la Sarthe, vient de publier un ouvrage intitulé « La démocratie menacée, et si Polybe avait raison ? ». Il revient sur certains événements qui auraient pu remettre en cause nos institutions : « Au cœur de l’hiver 2018, comme au printemps 2023, il y eut des soirs où l’on a senti la République vaciller sur ses bases, des heures où tout aurait pu basculer, où la démocratie n’a plus tenu qu’à un fil et à la loyauté des forces de l’ordre. C’est peu de dire que, depuis des années, les fondements de notre système démocratique : la liberté, l’égalité et la souveraineté populaire subissent de nombreux assauts. Certains visibles, d’autres plus insidieux. Alors, faut-il admettre avec Polybe, penseur grec et observateur des chutes et renaissances des régimes politiques romains, que la démocratie peut aussi naître, vivre et mourir ? »

Kernews : Vous associez le philosophe grec Polybe au constat que la démocratie serait menacée dans ses fondements. Vous étiez LR et maintenant vous êtes membre de Renaissance. Cependant, on constate que l’absence de débats, avec un manque de vision sur un temps long, cela ne se retrouve dans aucun parti politique…

Jean-Carles Grelier : Sûrement. Mon évolution des LR à Renaissance est liée à mon histoire politique. J’ai eu le sentiment de n’avoir pas changé, alors que le parti politique auquel j’appartenais avait beaucoup évolué. J’appartenais à la famille libérale et sociale de l’UDF et les dernières prises de position des Républicains m’ont amené à m’interroger pour savoir si j’y avais toujours ma place. J’ai pris la décision de quitter les Républicains pour rejoindre la majorité présidentielle, qui me semblait mieux à même de défendre les idées qui sont les miennes. Nous avons des partis politiques qui ne sont plus des machines à réfléchir pour proposer des projets politiques, mais simplement des machines électorales. On le voit bien à l’occasion des débats pour les élections européennes. Les différents partis ont finalement un programme assez indigent sur l’avenir de l’Europe et ils ramènent toujours les débats à des sujets intérieurs. Je pense qu’un pays où les acteurs de la démocratie ne réfléchissent plus et où les responsables politiques ne sont plus suffisamment formés à l’histoire, à la philosophie et au débat d’idées, est un pays où la démocratie s’appauvrit. C’est le constat que je continue de faire au quotidien. Ma crainte, c’est pour cela que j’ai associé le philosophe grec Polybe à ma réflexion, c’est que la démocratie soit elle-même menacée dans ses fondements. La démocratie, c’est la cohabitation entre une majorité et une minorité avec, entre les deux, ce que Raymond Aron appelait un nécessaire compromis. Et c’est ce compromis qui ne fonctionne plus, parce que nous avons aujourd’hui des élections et des consultations électorales qui mobilisent de moins en moins. Ceux qui sont élus, sont élus par une minorité de la population, et ce sont eux qui vont exercer le pouvoir. La majorité silencieuse, celle qui ne se rend plus aux urnes, celle qui ne croit plus que son vote puisse changer la face des choses, est aujourd’hui majoritaire et elle s’inquiète de voir qu’elle est dirigée par des gens qui ont été élus par une petite minorité. Il y a depuis des années, et les politiques doivent prendre leur part de responsabilité, une désaffection extrêmement forte de nos concitoyens par rapport à la vie politique, par rapport à la foi que l’on peut avoir dans la politique et dans sa capacité à influencer le cours des choses.

Les pays qui ne sont pas démocratiques ont des débats d’idées. Certains réfléchissent sur des temps longs, alors que nous, pays démocratiques, sommes dans l’absence de vision à long terme…

Il est sans doute plus facile de réfléchir à l’avenir de son pays quand on n’est pas dans un système parfaitement démocratique et que l’on a assez peu de contingence avec l’opinion publique, ce qui n’est pas le cas d’un pays comme le nôtre. Cela étant, le poids de l’opinion publique dans les décisions politiques ne devrait pas empêcher le responsable de réfléchir et de se projeter. Je crois que la politique ne peut se faire que sur un temps long et faire de la politique entre des tweets et des messages sur les réseaux sociaux est tout à fait mortifère. Le débat fait partie de la démocratie. Une démocratie, c’est une majorité et une minorité qui débattent en permanence. La majorité doit respecter la place et le rôle de son opposition, et l’opposition doit respecter le fait que, tant qu’elle est dans l’opposition, c’est la règle majoritaire qui s’applique. Tout cela s’appelle le compromis démocratique. C’est ainsi que Raymond Aron dénommait cela et c’est ce qui fait la force et la richesse d’une démocratie. On voit quelques minorités, plus ou moins visibles, qui s’érigent comme la majorité en donneuses de leçons et c’est ce qui menace le plus notre démocratie aujourd’hui.

Est-ce ce défaut de perspective sur le long terme qui entraîne l’invective et l’insulte ?

Les réseaux sociaux génèrent une immédiateté de réaction, donc il n’y a plus de hauteur de vue, et les arguments deviennent d’une bassesse absolue. Quand c’est le cas, il suffit de peu de choses pour que cela bascule dans la vulgarité. Une classe politique qui ne réfléchit plus, c’est une classe politique qui est à court d’arguments et, quand c’est le cas, tout et son contraire viennent faire office d’arguments. Le niveau intellectuel moyen de la classe politique a sacrément changé ! Si l’on se reporte à 25 ou 40 ans, on avait une classe politique qui avait une vraie vision. On était en droit de ne pas la partager, mais il y avait une culture, une formation à l’histoire des idées politiques, et tout cela donnait un peu de hauteur de vue, ce qui n’est pas exactement le cas aujourd’hui.

Comment arrivez-vous à nager dans tout cela ?

On le fait avec une conviction forte. Je me demande si je nage, ou si je surnage, avec l’envie d’être acteur de la cité et du monde. Il est plus efficace de faire changer le système de l’intérieur, que de hurler avec les loups à l’extérieur. C’est ce qui continue de me motiver à agir dans l’action publique. On a la chance d’avoir à l’échelle locale des actions qui sont souvent proches de ce qu’attendent nos concitoyens et qui s’inscrivent dans une durée beaucoup plus longue que les actions de l’État. Tout cela rassure. La politique, ce n’est pas une carrière, c’est un temps dans sa vie. On le fait tant que l’on a des convictions à défendre et, si cela devait s’arrêter, il y a une vie après la politique.

Vous êtes élu dans la Sarthe. Dans les classes populaires, on est souvent surpris par la qualité intellectuelle des gens que l’on rencontre. Comment vos électeurs ont-ils réagi à votre livre sur Polybe ?

Je constate très souvent, depuis 25 ans d’exercice, que les Français sont beaucoup plus matures qu’on ne le croit dans leur ensemble. Ce n’est pas un peuple de veaux, pour reprendre cette expression malheureuse du général de Gaulle à l’époque. Donc, il y a une vraie réflexion. Je ressens aussi une vraie inquiétude face à l’absence d’avenir et de cap. Les gens ont le sentiment que l’on navigue à vue depuis des années et que plus personne n’a la capacité de dire aux Français où l’on va. C’est un vrai sujet de préoccupation. Tout le monde ne connaît pas Polybe, mais le raisonnement est assez facile d’accès et les gens s’interrogent beaucoup sur cette question particulière du rapport, à l’intérieur de la démocratie, entre la majorité et les minorités, en se demandant si la majorité des Français continue d’avoir une voix qui pèse, sans doute au détriment de minorités.

Peu importe l’étiquette de la personne, on respecte toujours celui qui élève le débat par le haut…

Lorsque j’étais maire de La Ferté-Bernard, dans la Sarthe, mon principal opposant était un vieux militant communiste. C’était l’époque où les communistes avaient une vraie culture politique. Nous avions des débats très animés et, en regardant le monde avec des prismes différents, nous avions souvent une définition commune de l’intérêt général. Je n’ai jamais oublié cela et c’est ce que j’aimerais retrouver aujourd’hui dans la vie politique française.

Quand on franchit une frontière à pied, il y a toujours une ligne de quelques centaines de mètres où l’on ne sait pas vraiment dans quel pays on se trouve. Puis, à un moment, on se retourne et l’on prend conscience que cela fait 10 minutes que l’on a changé de pays… A-t-on déjà passé le poste-frontière de Polybe ? La démocratie a-t-elle déjà disparu sans que l’on s’en aperçoive ? Les foules réclament plus de contraintes, on est dans le lynchage…

On est sur une route qui file droit, on n’a pas su freiner et, aujourd’hui, on a les deux roues avant qui pendent dans le vide. Si l’on n’a pas la capacité de rééquilibrer la voiture et de faire machine arrière sur un certain nombre de sujets, il est assez probable que l’on tombera dans le vide. En tout cas, c’est ma crainte et mon inquiétude. J’espère de tout cœur que l’on n’en arrivera pas là, parce que l’histoire de France montre que quand la France sombre dans le chaos, c’est un chaos profond et violent. Pour bien comprendre les choses, il faut avoir une lecture de l’histoire qui soit celle de la Bible, de l’alpha à l’oméga, et non pas, comme le marxisme l’a imposé à l’Éducation nationale, lire l’histoire sous forme de séquences qui seraient sans lien les unes avec les autres. Je crois, comme Voltaire, que l’histoire est faite de causes et de faits qui s’enchevêtrent et qui font ce que l’on est devenu aujourd’hui. Refuser cet enchevêtrement et ne pas croire que nous sommes sur quelque chose qui est parfaitement linéaire et qui va se poursuivre est une profonde erreur d’analyse.

Écrit par Rédaction

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