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Jean-Louis Harouel : « L’écologisme détruit la richesse en présentant cela comme une chose heureuse et désirable. »

Jean-Louis Harouel est agrégé de droit, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II) et auteur d’une vingtaine de livres. Dans son dernier ouvrage, le juriste s’intéresse au concept d’égalité : « Imposées par l’écologisme subversif ou l’ultragauche anarchiste, notre période contemporaine voit revenir la séduction des théories égalitaires les plus radicales, de l’impôt de captation à la décroissance forcée. » Or, « ce n’est pas l’égalisation, mais la croissance économique, ou la hausse des exigences, qui permet l’amélioration du niveau de vie et, paradoxalement, la réduction des inégalités. »

« Les Mensonges de l’égalité : ce mal qui ronge la France et l’Occident » de Jean-Louis Harouel est publié chez L’Artilleur.

Kernews : Prenons l’exemple du Code du travail qui impose de traiter à égalité tous les salariés. Lorsque le chef d’entreprise veut donner une prime, il doit accorder la même à tous ses salariés, sans distinguer ceux qui arrivent à l’heure tous les jours et ceux qui sont en retard. À la fin, celui qui arrive systématiquement à l’heure sera forcément tenté de faire moins d’efforts… Est-ce cet égalitarisme que vous dénoncez ?

Jean-Louis Harouel : C’est l’égalité arithmétique, ce n’est pas la justice, alors que, dans l’exemple que vous citez, il devrait s’appliquer ce qu’Aristote appelle l’égalité géométrique, c’est-à-dire la proportionnalité. Aristote explique très bien que l’égalité arithmétique n’est juste que dans un cadre très particulier, qui est celui de la justice commutative, c’est-à-dire la vente, l’échange, ou la réparation d’un dommage causé. Dans ce contexte, l’égalité arithmétique est juste. Mais, dans tous les autres cas de figure, c’est l’égalité géométrique qui est juste. Cette égalité arithmétique est effectivement dissuasive et décourageante.

Votre livre permet de comprendre que l’excès d’égalité a pour effet de générer d’autres inégalités…

On constate tout le temps, dans tous les cas de figure, que lorsque l’on veut faire disparaître une certaine forme d’inégalité, on en crée une autre. C’est indiscutable. À l’école, on s’est aperçu que les enfants des différents milieux sociaux n’étaient pas également formés pour réussir. Du coup, au nom de l’égalité, on a progressivement détruit le contenu de l’enseignement pour que tout le monde ait le même résultat. La conséquence, c’est que nous avons une école beaucoup plus inégalitaire, au nom de l’égalité! Dans l’école d’il y a cinquante ans, comme elle était extrêmement exigeante, les enfants très doués issus des milieux populaires réussissaient. Donc il y avait une mobilité sociale ascendante forte. Il y avait aussi une mobilité sociale descendante, puisqu’il y avait des jeunes issus de milieux aisés qui rataient leurs examens. Dans les années 60, il y avait énormément de gens issus de familles bourgeoises qui n’ont pas eu le baccalauréat et qui ont subi un déclassement. Inversement, on a vu, parmi les bacheliers, une proportion non négligeable d’enfants issus de milieux modestes qui pouvaient ensuite avoir des carrières fulgurantes. La nouvelle inégalité est finalement plus terrible que la précédente.

Quelles raisons vous ont conduit à travailler sur ce sujet ? Comment expliquez-vous cette mentalité très occidentale qui consiste à toujours combattre les inégalités ?

C’est une maladie terriblement française. C’est plus généralement une maladie occidentale. Je rattache cela à des déformations de la morale chrétienne. Sans rentrer dans les détails, la morale chrétienne crée un esprit de bienveillance pour son prochain, puisqu’il faut aimer son prochain comme soi-même. Mais la morale chrétienne ne réclame pas l’égalité sur Terre, puisque le salut est au ciel. Il y a le monde du ciel et le monde de la Terre et il n’y a jamais eu aucune exigence d’égalité terrestre dans la morale chrétienne. En revanche, pour des hérésies comme l’exigence d’un paradis égalitaire sur Terre, cette tentation a toujours existé dans la chrétienté depuis le Moyen Âge. Cela a donné l’idéologie communiste : on veut sur Terre un paradis égalitaire qui consiste à créer un enfer pour beaucoup de gens.

Vous êtes justement l’auteur d’un livre qui s’appelle « Le génie du christianisme ». Faisons un parallèle avec les pays bouddhistes ou les pays musulmans qui acceptent les inégalités, puisque l’on y considère qu’à un autre moment on recevra une récompense de Dieu. Quand on voit une personne riche, on estime que Dieu l’a gratifiée pour de belles actions accomplies dans d’autres vies…

C’est précisément cette frénésie égalitariste qui veut, non pas l’égalité à un autre jour, mais ce que les disciples de Babeuf, au moment de la Révolution française, voulaient à travers l’égalité réelle. Cela correspondait à une passion pour l’égalité des résultats. Il ne s’agissait pas seulement d’avoir l’égalité des droits, mais il fallait une égalité des résultats qui exigeait que tout le monde ait exactement les mêmes conditions de vie. C’est l’obsession égalitaire. Les babouvistes savaient très bien que ce rêve allait sacrifier la civilisation et ils avaient une formule terrible : « Périssent s’il le faut tous les arts, pourvu que nous ayons l’égalité réelle. » Il y a donc un aveu d’incompatibilité entre l’égalitarisme et la civilisation. Cette jalousie sociale qui fait rayer les voitures des riches correspond précisément à cette obsession de l’égalité réelle. Ce n’est pas l’esprit du christianisme : c’est l’esprit d’une déformation du christianisme, puisque le christianisme considère que la jalousie et l’envie sont de monstrueux péchés destructeurs de la civilisation.

Prenons un autre exemple : les études indiquent que lorsqu’un malheur s’abat, il sera moins difficile de le supporter s’il est partagé par d’autres. Dans une zone pavillonnaire, quand il y a une inondation par une crue, si vous êtes le seul à avoir tout perdu, vous êtes plus triste que si toute votre rue a vu sa cave inondée…

Ce que vous décrivez est laid, c’est vrai, mais cela manque de générosité et c’est une vision du monde étroite. Pendant la guerre, ma mère me racontait qu’elle avait dû partir et, pendant leur absence, leur maison a été pillée et brûlée par d’autres Français. Quand ma mère est revenue, elle a traversé Paris et elle était vraiment heureuse de constater que le Louvre et les grands monuments étaient encore là : « On a perdu notre maison, mais j’étais vraiment heureuse de voir que toute la beauté de Paris était encore là. »

Oui, parce qu’une partie d’elle-même était dans la Nation…

Vous avez raison. Aujourd’hui, on est dans un individualisme égalitariste totalement suicidaire. On est dans la destruction de la continuité démographique d’un peuple et de tout ce qui fait vivre une Nation.

Pourtant, l’inégalité est aussi une source de richesse. Regardez les relations amoureuses : on voit parfois de très belles femmes avec des hommes qui ne leur ressemblent pas, mais qui peuvent être drôles ou cultivés, à l’inverse de femmes qui correspondent moins aux canons de la beauté et qui sont avec des hommes beaux et intelligents…

C’est exact. Il ne s’agit pas de diaboliser l’égalité et de diviniser l’inégalité, mais à notre époque on a trop divisé l’inégalité pour diaboliser l’inégalité. Il faudrait reconnaître les avantages et les inconvénients des deux en regardant les choses de manière objective. Il faut un regard serein, pour chercher la réalité des choses et voir ce qui est positif dans l’égalité et dans l’inégalité. Cela nous amène évidemment à remettre en cause la sacralisation de l’égalité, qui fait qu’à partir du moment où c’est devenu quelque chose de sacré, elle n’est jamais assez grande et assez complète. C’est comme cela que la Révolution française déclare que l’égalité est quelque chose de sacré et, quelques années plus tard, cela donne le babouvisme, le communisme, ou le marxisme… Il faudrait retrouver le sens de la réalité et, pour cela, il faut essayer d’interrompre cette sacralisation de l’égalité qui nous aveugle et qui transforme l’égalité en religion. C’est le drame de notre époque.

Dans le domaine de la justice, le terme d’égalité a tous ses droits, puisqu’il s’agit d’avoir un jugement en fonction de l’acte commis et non pas en fonction de son auteur, qu’il soit riche ou pauvre…

Par exemple, un tribunal a sa jurisprudence et, face à la même situation, il doit appliquer la même décision. Rechercher l’égalité sur un mode obsessionnel, c’est forcément mauvais. Il y a un socle d’égalité qui est indispensable pour le bien commun, c’est la sécurité pour tous et cela a pour corollaire l’exigence de la liberté civile pour tous. À partir de ce moment, quand on veut obtenir davantage d’égalité par des mesures actives, cela devient négatif. Il ne faut pas confondre l’égalité et le bien commun. Un peuple a besoin de sécurité, de liberté, de prospérité, de bien-être intellectuel et matériel, de continuité démographique…

L’écologie n’est-elle pas une marche forcée vers davantage d’égalitarisme ? Il y a des campagnes de publicité nous invitant à acheter des produits d’occasion, à moins prendre l’avion, à ne pas acheter de vêtements neufs… L’écologie est-elle un cheval de Troie de tout cela ?

J’en suis tout à fait convaincu et c’est pour cette raison que l’écologie, de manière sournoise, reprend finalement les objectifs du communisme. Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement, propose un quota annuel d’émissions de CO2 identique pour tous : donc la précarité dans l’égalité extrême ! On vivra vertueusement et pauvrement. On est dans un rêve communiste régressif qui se concrétise dans certaines formes de l’écologisme.

Pourtant, aujourd’hui, il y a un travail intellectuel pour inciter les gens à être fiers de vivre pauvrement et à ne plus consommer…

C’est un grand piège. Le communisme a toujours créé de la pauvreté en espérant créer de la richesse. L’échec du communisme, qui s’est concrétisé par l’implosion de l’Union soviétique, a laissé tout un militantisme orphelin. Ce militantisme s’est recyclé dans le droit de l’hommisme et dans l’écologisme : c’est assez génial, puisque c’est l’écologisme qui mène le combat contre le capitalisme, la libre entreprise, la société de prospérité… Tout cela est remis en cause avec l’objectif d’arriver au même résultat que le communisme. L’écologisme détruit la richesse en présentant cela comme une chose heureuse et désirable. Mais ce sont des maladies occidentales. La Chine a connu de terribles exemples avec le communisme et elle a plongé dans cet enfer sous l’influence de doctrines importées d’Occident. Même si elle se prétend encore communiste, elle a en pratique répudié le contenu du communisme pour reprendre goût à la prospérité et à la richesse.

Même en Europe, nous avons les pays de l’Est qui acceptent ce discours de manière verbale sans prendre pour autant les mesures restrictives que nous subissons, comme l’interdiction prochaine de la maison individuelle …

Par rapport à nous, ces pays ont la chance d’avoir été vaccinés contre le communisme. Ils savent très bien ce que c’est que la dictature morale et politique qui, au nom du bien, vous soumet à un contrôle constant d’inspecteurs et de commissaires politiques. Ils savent très bien que l’écologisme est de la même nature et peut se traduire pour eux par le même enfer. Ils prennent ce qui est raisonnable et ils laissent le reste.

Progressivement, on limite les libertés. Je vais reprendre l’illustration de ce que vous qualifiez de laid : si votre voisin a une piscine, plutôt que d’entretenir de bonnes relations avec lui pour vous faire inviter quand il fait beau, vous réclamerez l’interdiction des piscines dans votre quartier au nom de l’écologie…

L’égalitarisme est laid, parce qu’il adore interdire. C’est l’envie sociale finalement. Spinoza appelait cela les passions tristes, car demander des interdictions, c’est toujours une passion triste. Il y a quarante ans, dans mon premier essai sur l’inégalité, j’écrivais : « Je sais que je n’aurai jamais de château, mais je suis heureux qu’il y ait des gens qui aient des châteaux. »

Écrit par Rédaction

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