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Jean-Pierre Albertini : « Je ne suis ni dans la haine, ni dans le pardon. »

L’enquête du père d’une victime du Bataclan.

Jean-Pierre Albertini est le père de Stéphane Albertini, qui était le directeur du restaurant Livio, à Neuilly-sur-Seine et qui fut assassiné au Bataclan avec son ami d’enfance Pierre Innocenti, le gérant de l’établissement. Dans un livre poignant, Jean-Pierre Albertini relate la perte de son fils, la véritable enquête qu’il a dû mener pour comprendre les circonstances exactes de son décès et la déflagration que cette tragédie a constitué pour toute sa famille. À la recherche de la vérité, il dresse une ode à la vie et à la nécessité d’aller de l’avant pour les personnes ayant été touchées par ce drame national, sans omettre de souligner les questions et les enjeux que cela soulève pour nous tous.

Jean-Pierre Albertini était l’invité de Yannick Urrien sur Kernews. Nous publions une synthèse de cet entretien, que vous pouvez écouter intégralement via le site de Kernews.

« Mourir au Bataclan », de Jean-Pierre Albertini, est publié chez Mareuil Éditions.

Kernews : Après la tragédie du Bataclan, certains ont pardonné, d’autres sont restés dans la haine. Mais vous avez d’abord voulu comprendre ce qui s’était passé et comment les filières islamistes se sont développées en France. Est-ce votre démarche ?

Jean-Pierre Albertini : Je ne suis ni dans la haine, ni dans le pardon. Je ne suis pas dans la haine, parce que je pense qu’elle n’est pas productive et qu’elle ne permet pas d’avancer. Et j’ai du mal à être dans le pardon, donc je ne suis pas prêt à offrir ma deuxième joue. Mon fils Stéphane était d’origine corse par moi-même et bretonne par sa mère.

Justement, vous soulignez la différence de traitement par les quotidiens régionaux respectifs : Le Télégramme de Brest a accepté d’utiliser le terme « assassinat » dans le faire-part de décès de votre fils, tandis que Corse Matin a carrément refusé ce mot…

C’est aussi l’un des éléments de ma colère. Dans le faire-part, la plupart des supports médias (Le Figaro, La Provence et Le Télégramme) ont accepté la vérité, c’est-à-dire le terme « assassiné », alors que Corse Matin nous a dit, par l’intermédiaire des pompes funèbres, qu’il refusait le terme « assassiné », qui a été remplacé par « décédé ». Cela m’a mis en colère et j’ai cherché l’origine du terme assassin. J’ai découvert que cela venait de la langue arabe avec la secte des Assassins : c’étaient des consommateurs de haschisch, cela leur permettait d’entrer dans l’antichambre du paradis d’Allah et cela leur permettait également de massacrer… L’origine arabe du mot « assassin » n’est pas contestée.

Il y a des messages prémonitoires. Après de tels événements, on se dit que c’était peut-être un signe. Ainsi, votre fils travaillait beaucoup dans son restaurant à Neuilly et il n’était pas très disponible. Or, pour la première fois, il y avait organisé une fête de famille, quelque temps avant le 13 novembre 2015…

L’anniversaire de Stéphane correspondait à l’arrêt de mon activité professionnelle. J’étais davantage disponible, mais Stéphane, de manière vraiment très exceptionnelle, avait tout organisé à mon insu. J’ai trouvé cela étrange après… Il m’avait dit que ce serait un déjeuner rapide, à la bonne franquette, alors qu’il avait tout organisé en faisant venir toute la famille. Il avait préparé le repas et des cadeaux. Je décris cela comme un signe prémonitoire du 13 novembre. C’était peut-être une simple coïncidence mais, plus tard, j’ai décelé des coïncidences qui me paraissent annonciatrices de ce drame.

Vous ne jugez pas les positions des autres parents qui ont parfois tenu des positions contradictoires, en estimant que personne n’est en mesure de porter un jugement s’il n’a pas traversé ce genre d’épreuve…

Déjà, pour être en mesure d’estimer une situation – c’est vrai dans tous les cas de figure – on ne peut le faire que si c’est quelque chose que l’on a vécu. Il y a une hiérarchie dans le malheur. Je suis effondré par la mort de mon fils, mais je suis encore plus triste pour les parents dont les enfants disparaissent et dont on n’a aucune trace. Le Monde a titré « Un père sur le chemin de la haine », en évoquant Patrick Jardin. C’était en opposition à « Vous n’aurez pas ma haine… » Or, l’auteur de « Vous n’aurez pas ma haine », contrairement à Patrick Jardin, a perdu son épouse : pardonnez-moi, une épouse peut se remplacer, alors que l’on ne remplace pas un fils…

Vous avez mené une enquête très documentée sur les filières syriennes. La situation aurait été différente si l’Irak n’était pas tombé…

A posteriori, il est toujours facile de refaire l’histoire et on a le même problème avec la Libye. Mais ce qui m’a mis en colère, c’est que pendant 48 heures nous ne savions pas ce qu’était devenu notre fils ! C’est uniquement par nos propres moyens que nous avons appris qu’il était à l’Institut médico-légal. Quand nous sommes arrivés, on nous a dit que nous n’avions que 15 minutes pour lui dire adieu, sans savoir dans quelles circonstances il était décédé. Ils étaient débordés, la désorganisation était totale, l’attitude ambiante était dans le déni. On accepte cette désorganisation quand on vous dit que le maximum a été fait, mais lorsque l’on vous dit qu’il faut circuler et qu’il n’y a pas de djihadistes qui passent par la route des Balkans, alors que nous apprenons par la suite que le seul survivant des commandos a fait dix fois l’aller-retour en Syrie et qu’il revenait à chaque fois avec un nouveau djihadiste, on ne pouvait être que dans la colère ! Nous avons enterré mon fils sans savoir de quoi il était mort…On supposait qu’il avait eu des balles dans le corps, mais on ne le savait pas précisément, puisque le linceul montait jusqu’au cou. En plus, au départ, il n’était sur aucune liste. Donc, j’ai été obligé de chercher moi-même. J’ai appris qu’il n’était pas dans la salle de spectacle, mais dans le bureau administratif. On l’a retrouvé mort, seul, dans ce local. Ma fille est médecin et elle me dit que c’est incroyable, car on a laissé son corps dans ce bureau jusqu’au samedi après-midi…

Vous reprochez aussi aux autorités de ne pas avoir pris la mesure de la menace et, surtout, de vouloir récupérer l’événement à leur avantage. Vous êtes surpris que la popularité de François Hollande remonte dans les sondages pendant quelques semaines…

Votre question est d’actualité aujourd’hui ! Il y a quand même un dysfonctionnement majeur, regardez ce qui vient de se passer… Je ne vais pas reprendre le curriculum vitae de l’assassin, de son entourage, des échanges sur Internet et des déclarations à la police qui n’ont pas été suivies d’effets…

Au cours de vos investigations, vous apprenez qu’il y avait des soldats postés à proximité, qui ont refusé d’intervenir pendant la tuerie. Suivant les ordres de leur hiérarchie, ils n’ont pas prêté leurs fusils aux policiers et la préfecture n’a pas voulu solliciter les militaires. Vous rendez hommage aux pompiers et aux soignants. Vous dénoncez par ailleurs les dysfonctionnements au sein des services de renseignements…

C’est l’organisation qui est mauvaise, elle est trop confuse. Il n’y avait pas de responsables au plus haut niveau, ce qui ajoute à la confusion. Effectivement, les pompiers et le personnel soignant ont été exceptionnels. Mais je souligne que la BAC a aussi fait preuve de courage en rentrant dans le Bataclan. Sinon, la tuerie aurait été de plus grande envergure.

Votre enquête vous permet de remonter les filières, jusque dans les prisons, et vous découvrez qu’une partie du personnel pénitentiaire est fichée S…

Je ne savais rien de tout cela avant la mort de Stéphane. J’étais un simple citoyen et j’aurais qualifié d’extrémiste politique celui qui m’aurait dit cela ! J’ai recueilli de nombreux témoignages, j’ai lu les entretiens du rapport parlementaire de la commission d’enquête sur le Bataclan et l’on voit bien que la chaîne est défaillante.

Le destin vous poursuit, puisque vous vous retrouvez à Nice le 14 juillet 2016, le jour même de l’attentat…

C’est incroyable ! Ce jour-là, je déjeune avec la famille de mon frère. J’avais un appartement à côté de la promenade et ma nièce me dit qu’elle va dîner avec des amis avant d’aller voir le feu d’artifice. J’étais persuadé que le feu d’artifice commençait à 23 heures. Je sors un peu plus tôt et j’aperçois au loin le début du feu d’artifice. Je reste au bout pendant une demi-heure. Je voyais les gens traverser sur la chaussée et j’apprends ce qui s’est passé. Ma nièce m’a dit qu’elle avait finalement décidé de ne pas aller sur la promenade des Anglais, mais de se promener dans le vieux Nice. Tous les deux, nous avons échappé à cette horrible chose !

Il y a un point qui serait risible, si ce n’était pas dramatique : c’est la concurrence des mémoires dans toutes ces associations…

Il y a la concurrence des ego, il y a probablement des sensibilités politiques et il y a aussi la question des ressources financières. Les associations font un travail exceptionnel. Il y a énormément de gens qui s’investissent. Je ne peux que les remercier, mais j’ai été quand même déçu par l’association Génération Bataclan lancée par quelqu’un qui avait assisté une semaine auparavant à un spectacle de Nina Hagen au Bataclan. L’artiste avait dit : « Imaginez qu’un terroriste rentre avec une grenade dans la salle » et le public avait entonné un chant en hébreu. La semaine suivante, le fondateur de Génération Bataclan voit ce qui est arrivé à la télévision. Au sein de l’association, ils ont voulu faire un concours d’architecture qui était vraiment extraordinaire. Ils ont un site formidable et, malheureusement, ils ont fait l’objet d’une cabale au prétexte qu’ils n’étaient pas légitimes. À cette époque, on a même vu arriver de fausses victimes avec des gens qui affirmaient être présents sur le site, alors qu’ils n’y étaient pas…

Vous en avez gros sur le cœur en écrivant : « Le Bataclan, fermé aux cris d’Allahou Akbar, a rouvert un an tout juste après les attentats, avec un concert au rythme d’Inshallah, chanté par Sting ».

Écoutez, c’est comme s’il y avait un orchestre nazi qui allait faire un concert à Dachau ! Pas d’autre commentaire.

Enfin, je cite cette réflexion qui résonne avec l’actualité : « La nouvelle vague dédiée à la déesse Écologie et soucieuse de sauver la planète aura-t-elle une force de persuasion suffisante pour satisfaire le besoin d’idéal d’une jeunesse en mal de spiritualité́ renouvelée ? » Vous évoquez Louis XIV, Napoléon ou Charles De Gaulle en déplorant l’absence d’un dirigeant d’envergure…

On parle toujours des 30 Glorieuses, mais j’ai pris conscience que ces années merveilleuses étaient dues au sang de nos parents et de nos grands-parents. C’était à cause de ces guerres successives que le pays était à reconstruire et, en même temps, il y avait une ferveur de la patrie. Nous avons eu ensuite 40 années de paix, de prospérité économique et de bonheur. Mais on a bradé tout cela. On ne s’est pas rendu compte que c’était à cause du malheur qui avait frappé les générations précédentes. Mes deux grands-pères, qui avaient fait la guerre et qui avaient été blessés, ne parlaient pas de cette période. C’était très étrange. Forcément, je vais avoir envie d’en parler à mes petits-enfants un jour ou l’autre.

Écrit par Rédaction

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