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Karim Lounici : « Ma conviction de sauver les gens est plus forte que la crainte de mourir. »

Un défi humanitaire à vélo pour récolter des fonds pour l’Ukraine

Dès le mois où il a pris sa retraite, au moment du début de la guerre, le médecin pornichétin Karim Lounici s’est engagé en faveur de la cause ukrainienne pour aller soigner des blessés, notamment dans la ville de Boucha. Le docteur Lounici fait partie de ceux qui ne peuvent concevoir la vie sans être utile aux autres, avec le besoin d’apporter son soutien à des causes nobles. Ainsi, le 5 juin dernier, il a quitté Pornichet pour rejoindre Kiev à vélo : soit 4 500 kilomètres et sept pays à traverser afin de récolter des fonds qui serviront à acheter des médicaments pour le peuple ukrainien. Avant le départ officiel du médecin, depuis le perron de l’Hôtel de Ville, Jean-Claude Pelleteur, maire de Pornichet, a tenu à rendre hommage à ce « Pornichétin au grand cœur » : « Par-delà les frontières, dites aux Ukrainiens que nous ne les oublions pas. D’ailleurs, le drapeau de l’Ukraine flotte toujours fièrement devant notre Mairie », a-t-il conclu. Karim Lounici est venu dans le studio de Kernews quelques heures avant le lancement de son expédition pour répondre aux questions de Yannick Urrien.

Kernews : On entend dire que c’est de la folie de partir pour Kiev à vélo : comment avez-vous pris cette décision ?

Karim Lounici : En ce qui me concerne, ce n’est pas la folie : c’est l’envie de parcourir toutes les villes européennes afin de recueillir des fonds pour mon association qui agit en faveur des Ukrainiens. Mon tracé est entièrement calqué sur celui des pistes cyclables européennes, ce qui rallonge un peu le nombre de kilomètres que je vais devoir parcourir. En ligne droite, Kiev est à 3 900 kilomètres de Pornichet, mais à vélo je vais en faire 4 500 en raison des nombreux détours. Avant de prendre ma retraite, je me suis beaucoup interrogé sur ce que j’allais faire ensuite. J’avais déjà l’esprit associatif et je me suis posé la question de créer des associations médicales ou caritatives. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, j’ai eu un déclic. J’ai entendu l’appel du président Zelensky qui demandait aux populations européennes de venir combattre et je me suis dit que ce serait ma façon de commencer ma retraite. Ma retraite a officiellement débuté le 1er avril 2022, alors que j’étais déjà parti le 17 mars. Je me suis rapproché du consulat d’Ukraine en France. J’ai eu les documents administratifs et j’ai été admis dans la Légion étrangère ukrainienne comme médecin avec le grade de sergent. J’ai ensuite reçu un document de présentation au centre de recrutement en Ukraine.

La France n’est officiellement pas en guerre contre la Russie. Comment pouvez-vous être engagé dans une armée étrangère en conflit avec un pays avec lequel nous entretenons des relations diplomatiques ?

Vous avez raison d’évoquer cet aspect juridique. Dans les documents que j’ai reçus de la part des autorités ukrainiennes, elles expliquaient le contraire en me disant que j’avais le droit de m’engager à titre individuel. L’ambassade de France à Kiev m’a dit l’inverse. J’ai tenu compte de l’avis de la France, évidemment, car on m’a expliqué qu’une fois engagé dans l’armée ukrainienne, je n’étais plus protégé par mon passeport français. Je suis français, mais en m’engageant, le cœur a parlé avant la raison. Attention, je n’étais pas engagé comme militaire dans la Légion étrangère, mais comme médecin et non comme combattant.

Certains Français ont entrepris la même démarche que vous, mais pour combattre du côté russe contre les Ukrainiens. Or les Russes ont refusé leur candidature, en expliquant qu’ils ne prenaient pas de citoyens membres de l’Union européenne ou de pays de l’OTAN… Les Ukrainiens n’ont donc pas la même approche…

Il y a des problèmes juridiques, effectivement, mais j’ai été très touché par l’appel du président Zelensky, à la suite de cette invasion de l’Ukraine par les Russes, alors que c’était un pays libre, proche du nôtre. D’un seul coup, on a interdit à ces gens d’aspirer à des principes de liberté. Je suis conscient du risque et je l’accepte, car ma conviction de sauver les gens est plus forte que la crainte de mourir. Quand on prend le risque d’aller participer à une bataille dans un pays étranger, on prend effectivement le risque d’y laisser sa peau.

Porterez-vous un uniforme de l’armée ukrainienne ?

Non, car finalement je n’ai pas été intégré dans l’armée ukrainienne, afin d’être protégé. Au regard du droit international, je considère que je suis un humanitaire et non un combattant. En plus, comme je ne parle pas anglais, je n’ai pas pu être recruté dans l’armée ukrainienne.

Un soldat ukrainien capturé par les Russes bénéficie du statut de prisonnier de guerre, tandis qu’un étranger capturé au combat est considéré comme un terroriste : donc, il n’est pas protégé par la Convention de Genève et il encourt la peine de mort, alors que l’humanitaire bénéficie aussi d’un statut particulier, à condition qu’il ne participe pas aux hostilités…

Exactement. C’est ce que l’on m’a expliqué, même si je pense que les Russes n’ont pas vraiment un esprit humanitaire.

Comment vos proches ont-ils réagi ?

Mon épouse a plutôt mal réagi, car elle n’acceptait pas du tout que je prenne autant de risques à quelques jours de ma retraite. Mais le battage médiatique était tellement fort qu’elle a très vite compris le sens de mon engagement. Elle ne refusait pas la nature de l’humanité de mon engagement, mais elle refusait le risque que j’allais prendre.

Qu’avez-vous vu à Kiev depuis le début la guerre ?

J’ai vu des villes complètement rasées. Il y a eu des crimes horribles, il y a eu des massacres. En partant de Pornichet, je ne m’imaginais pas du tout voir les choses comme je les ai vues là-bas. Un Européen ne peut pas imaginer ce que c’est. J’ai été dans un refuge qui peut accueillir 250 personnes. Il était entièrement plein, alors qu’auparavant c’étaient des familles totalement normales, avec des enfants, des papas et des mamans, des petites filles qui jouaient à la poupée… Ces gens ont tout perdu. J’ai vu des gens dormir dans des entrepôts réaménagés pour accueillir des réfugiés. J’ai rencontré une hôtesse de l’air qui faisait la ligne entre l’Ukraine et l’Afghanistan, parce que ses collègues ne voulaient pas la faire, donc elle était bien payée. Elle a pu économiser et s’acheter un appartement. Mais, malheureusement, il a été rasé par les bombes. Je me suis retrouvé face à cette femme qui, du jour au lendemain, a dû dormir dans un matelas posé par terre.

Quel message avez-vous envie de lancer ?

J’ai constaté à mon retour que la cause ukrainienne perdait un peu en popularité. Au départ, on parlait beaucoup de l’Ukraine et je crois que cela s’amenuise avec le temps. On banalise de plus en plus ce conflit et je crains que l’on finisse par les oublier. C’est pour cette raison que je fais ce périple à vélo. Je voudrais rappeler aux jeunes qu’il y a une guerre sur notre continent, qu’il faut aider nos gouvernants à construire la paix et surtout entretenir ce sentiment favorable à l’égard de l’Ukraine.

Certains Français sont pro-ukrainiens, d’autres sont pro-russes, beaucoup sont partagés. Ce qui importe, c’est d’être en solidarité avec les civils qui souffrent : est-ce aussi votre message ?

Oui. Quand je discute avec des personnes qui se disent pro-russes, notamment à Pornichet, je leur demande s’ils connaissent l’Ukraine. Mais personne ne sait exactement où se trouve l’Ukraine. Chacun doit faire l’effort de comprendre les enjeux de ce pays et son histoire. Il est vrai que le peuple souffre aussi de la politique. Les politiques ont ce devoir d’explication. Beaucoup de gens ne font pas l’effort de comprendre l’histoire de ce pays.

Écrit par Rédaction

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