L’invité de Yannick Urrien du mercredi 3 mai 2023 à 8h20 : Yves Battard
Yves Batard s’intéresse depuis plusieurs années à la question des retraites. Il avait publié un premier livre quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022, afin d’expliquer la complexité de ce système et, maintenant, il évoque l’histoire du régime des retraites. En retrouvant plus de 80 textes qui trouvent leur origine dans 350 ans d’histoire, l’auteur a vite constaté que l’histoire de la retraite en France relève d’une superposition de législations qui se sont chevauchées et entrecroisées. Souvent catégorielles, les réformes n’ont jamais été globales, laissant s’exprimer les particularismes qui nuisent à la recherche d’une véritable mutation conduisant à une retraite universelle. L’avenir des retraites dépend de données démographiques, économiques, financières et politiques très évolutives.
Cet ouvrage permet de comprendre qu’il s’agit d’un thème assez facile à maîtriser, puisqu’il relève du bon sens, mais qui n’est pas toujours compris par la plupart des Français. Cet ancien professeur déplore d’ailleurs une certaine inculture sur ce sujet : « J’ai voulu faire de la pédagogie et expliquer l’histoire de la protection sociale. J’en avais ras le bol d’entendre les gens dire qu’ils n’auront pas de retraite. Le temps est passé, le livre a fait sa vie, et je me suis aperçu que c’est un sujet tellement complexe qu’il fallait revenir sur l’histoire de la protection sociale en France, qui remonte à Colbert. J’ai recherché un certain nombre de textes qui fixaient les principales étapes de ce que l’on appelle la retraite en France et j’ai retrouvé plus de 80 textes au cours des différentes époques. J’ai travaillé sur la démographie aussi. Mon objectif était d’écrire quelque chose de simple et compréhensible par tout le monde. Ce n’est pas une écriture de technicien, mais c’est l’écriture de quelqu’un qui veut expliquer au commun des mortels des choses qui peuvent apparaître comme parfois difficiles ».
Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours travaillé pour mettre de côté de quoi assurer ses vieux jours, c’est donc une forme de retraite par capitalisation : « Je situe l’histoire de la protection sociale en France à Colbert, quand il a permis aux marins de continuer de vivre au moment de leurs vieux jours ». Pourtant, on pourrait remonter à Saint-Louis et à la protection des chevaliers : « Il y a même eu des expériences du temps de l’Empire romain » souligne Yves Batard.
L’auteur nous emmène à l’époque de Napoléon : « Il a voulu privilégier ses fonctionnaires et il a laissé se développer un système de retraite spécifique pour les fonctionnaires. Chaque corps de fonctionnaires avait son propre régime de retraite. Au milieu du XIXe siècle, il y a eu une harmonisation de tous les régimes de retraite. C’est différent de ce que l’on appelle la capitalisation et la répartition aujourd’hui. Il est difficile de remonter à la première idée de la répartition. Les réformes de 1928 portaient davantage sur la capitalisation. J’ai retrouvé des tableaux d’amortissement de 1928 qui indiquaient que la capitalisation serait pleinement efficace au bout de 50 ans, donc en 1978. Simplement, personne n’avait pensé qu’il y aurait encore une guerre en 1940 et les capitaux mis de côté pour payer les retraites ont été utilisés à autre chose. C’est à ce moment-là qu’est née, à la fin de la guerre, la retraite de base de la Sécurité sociale. Toutefois, ce n’est qu’une partie de l’iceberg, parce qu’il existait déjà des régimes particuliers pour les cadres et certaines catégories professionnelles. Chaque fois qu’il y a eu une tentative de réforme en France, il y a toujours eu des gens qui se sont dit qu’ils allaient perdre des choses. Donc, chacun a défendu ce qu’il avait de mieux par rapport au régime de base et c’est ainsi que l’on a vu apparaître les régimes complémentaires qui se sont basés sur la répartition ».
Certains estiment que les retraites sont en danger, d’autres affirment qu’il y a de l’argent dans les caisses, on est dans une confrontation de préjugés. L’auteur dénonce ces idées reçues : « Ce sont deux caricatures. Les retraites seront menacées lorsque plus personne ne travaillera, puisque ceux qui travaillent cotisent pour payer des retraites. Il y a un problème de déséquilibre, puisque l’argent que l’on rentre n’est pas suffisant pour payer les retraites. Pour autant, cela ne remet pas en cause le régime des retraites. » Yves Batard souligne qu’une réforme des retraites était nécessaire : « Il y avait certainement des choses à revoir. En 2007, Thomas Piketty avait développé ce que pouvait être une forme de retraite par points. Ce qu’il disait en 2007, c’est ce que j’ai expliqué dans mes livres : il y avait effectivement des ajustements à faire, mais cela ne veut pas dire qu’il fallait tout remettre à plat. La crise est venue sur cette focalisation de l’âge de la retraite, qui a été un marqueur, et qui a rendu très difficile un dialogue qui n’a pas abouti. Chacun a peur d’une réforme, en se disant qu’il va perdre, alors que son voisin va gagner beaucoup mieux que lui… »
Yves Batard rappelle que « la retraite s’est construite en France par l’empilement de textes qui visaient chaque fois une catégorie, tantôt l’une, tantôt l’autre, avec des textes qui n’avaient souvent aucun rapport les uns avec les autres. On est dans un empilement de textes qui font que chacun se retrouve sur une voie différente. À une époque, les retraites du monde agricole étaient à l’écart, parce que les paysans étaient nombreux en France. Lorsqu’ils sont devenus moins nombreux, ils ont commencé à se poser des questions et ils ont intégré, pour une partie, le régime général. À chaque fois, il y a des choses qui évoluent. Nous n’avons jamais eu une réforme globale pour essayer de tout remettre à plat. Il faudrait trouver une harmonisation. L’harmonie, c’est simplement trois notes fondamentales, donc il faut trouver trois points fondamentaux sur lesquels nous sommes capables de nous entendre pour construire quelque chose de nouveau. Cependant, tôt ou tard, il faudra bien intégrer que nous vivons plus vieux qu’il y a 50 ans ».
« La retraite en France : la complexité issue de 350 ans d’histoire. » d’Yves Batard est publié chez L’Harmattan.