Claude Rodhain : « Même si l’on a tiré un billet noir à sa naissance, tout est possible si l’on croit en soi et si l’on croit en la vie. »
Claude Rodhain est l’auteur de plusieurs romans historiques et il a été finaliste du prix des lectrices du magazine Elle. Dans son dernier livre, il raconte l’histoire de Charles, abandonné au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il subit le cycle infernal des orphelinats, foyers, familles d’accueil, maisons de correction, des humiliations, punitions, sévices, ruptures, déracinements… Recherché par les gendarmes, il vit dans la forêt, s’alimente d’œufs, de fruits, de légumes volés, boit le lait au pis des vaches… Devenu adulte, il gravit les échelons de l’échelle sociale, devient ingénieur, avocat, plaide pour les plus grandes multinationales, enseigne à HEC… Or, cette histoire de Charles est en réalité la sienne.
Notons que Claude Rodhain connaît bien La Baule, puisqu’il a longtemps travaillé avec Yves Métaireau, en tant qu’avocat, pour l’ACMAT à Saint-Nazaire.
« Le temps des orphelins » de Claude Rodhain est publié chez City Éditions.
Kernews : L’éditeur Robert Laffont vous a dit il y a quelques années qu’il n’avait jamais vu une vie comme la vôtre et Rachida Dati a eu cette formule : « L’homme est né pour trahir son destin… » Votre livre n’est pas totalement une fiction, puisqu’en réalité vous racontez votre enfance. Pourquoi avoir choisi la forme du roman, et non d’une celle d’une autobiographie ? Est-ce par pudeur ?
Claude Rodhain : J’avais déjà publié chez Robert Laffont un récit autobiographique, « Le Destin bousculé », et il avait été totalement estomaqué par cette aventure humaine. Il m’avait dit que dans sa vie d’éditeur, il avait rencontré de nombreux auteurs, des politiques en mal de publicité, des malfrats repentis, mais il n’avait jamais eu connaissance d’une vie comme la mienne. Je n’ai pas voulu recommencer ce récit autobiographique, parce qu’il s’est passé 36 ans depuis. Donc, j’ai préféré écrire un roman. Mais c’est ma vie à 90 % !
Vous racontez l’histoire de Charles, un enfant de sept ans, abandonné au cours de la Seconde Guerre mondiale. Seul au monde, il est convaincu qu’il va finir comme un chat crevé dans un caniveau. Il vit le cycle infernal des orphelinats, des familles d’accueil, des maisons de correction et des humiliations permanentes. Ce garçon est recherché par les gendarmes, il se cache dans la forêt, il mange des légumes volés et il boit le lait au pis des vaches. Quelques décennies plus tard, on retrouve un homme qui est devenu ingénieur, avocat, et qui enseigne à HEC…
Vous donnez une image très forte du livre. C’est vrai, cet enfant abandonné, qui a l’impression de finir comme un chat crevé dans un caniveau, c’est une image qui souligne cette solitude. Or, si cet enfant a voulu se réaliser, en devenant l’avocat de grandes multinationales, ce n’est pas par ambition personnelle, mais notre héros avait une arme puissante : sa mère qu’il n’a jamais vue. Tout au long de son parcours, sa mère a été son âme et sa force, et il a fait de sa faiblesse une force. Tout cela pour séduire sa mère…
Pour la séduire ou pour lui donner des regrets ?
Il y a un peu les deux raisons : regarde, Maman, le fils que tu aurais pu avoir, mais en même temps tu m’as abandonné… On est dans la séduction et le regret.
Est-ce la rage de vivre qui vous a permis de réussir ? Est-ce la bonne étoile ? Est-ce votre ADN qui porte en lui l’origine d’un grand milieu social passé, avec des combattants ?
C’est une question que je me suis posée. Je suis croyant, je crois au ciel, et je crois à la bonne étoile. J’ai une bonne étoile. Ce qui me vient à l’esprit c’est de dire que Dieu m’a fait vivre des galères épouvantables pendant 20 ans, entre les flagellations et les maisons de correction. Ensuite, il a voulu compenser en me donnant 20 ans de bonheur. Mais il s’est trompé dans son calcul, puisqu’il m’en a donné beaucoup plus… Est-ce l’ADN ? Suis-je plus fort que les autres ? Je ne suis pas plus fort que les autres, mais j’avais ma mère imaginaire dans ma tête qui m’a toujours guidé et j’ai toujours eu l’impression qu’elle était à mes côtés. Ce livre est un message d’espoir, ce n’est pas un livre pour faire pleurer dans les chaumières sur les enfants abandonnés, pas du tout. Je veux montrer que, peu importent les conditions dans lesquelles on se retrouve, même si l’on a tiré un billet noir à sa naissance, tout est possible si l’on croit en soi et si l’on croit en la vie. La vie n’aime que les gens qui l’aiment.
Vous avez vécu dans les caniveaux pendant la guerre, tout est sombre, puis vous devenez un grand avocat international. À l’inverse, un enfant arrive dans une famille privilégiée, celle d’un grand industriel à la tête d’un groupe puissant dans le secteur de la défense et des médias, son père est un homme intelligent, or le fils dilapide son empire… Comment expliquez-vous cette différence ?
C’est une question bien difficile à résoudre. Je fais partie des gens mal nés et je ne sais pas si c’est plus méritoire d’avoir commencé au bas de l’échelle pour arriver en haut, ou si c’est l’inverse. Je dirai qu’il faut être simple dans la vie. La question n’est pas de savoir dans quel milieu on est né, cela a évidemment une incidence, mais l’essentiel est de croire en la vie et d’avoir foi en soi. Il est certain que l’individu, lorsqu’il est combatif, a toutes les chances de s’en sortir. Je me suis occupé d’une association d’aide à l’enfance pendant 25 ans, donc je connais bien le problème des enfants cabossés par la vie, et je me suis rendu compte qu’il y en a qui s’en sortent très bien. Ce qui change, c’est l’éclat dans l’œil, c’est la lumière qui donne envie de se surpasser.
Votre analyse remet en cause 99 % des plaidoiries dans les tribunaux puisque, lorsque quelqu’un a fait une bêtise, l’avocat allègue toujours que c’est lié à son enfance difficile…
Je partage votre point de vue. C’est vrai, lorsque l’on plaide au pénal, on est appelé à exposer au juge les conditions dans lesquelles l’enfant a évolué. Ce sont des égratignures qu’il a reçues au cours de sa jeunesse. Mais cela n’explique pas tout. Ce n’est pas parce que l’on a vécu une jeunesse difficile, que l’on doit engendrer des difficultés partout au sein de la société. Il y a des gens qui sont profondément méchants et profondément désagréables. Pour eux, il n’y a pas de circonstances atténuantes. En tant qu’avocat, je considère qu’il ne faut pas le moindre passe-droit, car, lorsque quelqu’un a commis un délit ou un crime, il doit être jugé pour ce délit ou ce crime sans que l’on puisse remettre en cause la décision des magistrats sous prétexte que l’enfant a subi des malveillances dans sa jeunesse. Tous les enfants ont plus ou moins été confrontés à des difficultés dans la vie, or ce n’est pas pour autant qu’ils deviennent tous des malfrats. Il y a qu’un moment où le crime peut être absous, c’est lorsque l’individu a agi sans aucun discernement et qu’il ne pouvait pas savoir ce qu’il faisait. Cela peut se concevoir. Pour le reste, l’individu est totalement responsable.
L’absence de père peut-elle être compensée par des rencontres importantes ?
J’ai rencontré des garçons de mon âge qui m’ont souvent dit : « J’ai des parents, mais ma situation n’est pas meilleure, parce que mon père est violent… » Il y a un mot essentiel, c’est l’affection et, si le père est parfois violent, il y a quand même une relation affective inconsciente entre le père et le fils. J’ai entendu des enfants dire : « Même si mon père me bat, ce n’est pas grave, c’est parce qu’il m’aime… » Lorsque l’on n’a pas de parents, c’est la nudité la plus totale, on est suspendu dans le vide. La présence d’un père est importante, parce que c’est aussi un guide. Sans père, on peut aller dans tous les sens.
Il y a certainement des rencontres qui vous ont façonné intellectuellement ou moralement ?
Il y a dans la vie des aiguillages favorables. On est souvent au carrefour entre différents choix, parfois on prend la bonne direction, parfois la mauvaise. Mais j’ai eu le bonheur de rencontrer des gens merveilleux. Il n’y a pas que des salauds sur Terre, il y a aussi des gens très bons. D’abord, un professeur bénévole qui m’avait pris en pitié. Ensuite, il y a eu mon mentor qui m’a formé dans mon cabinet de propriété industrielle. C’était un monsieur remarquable, il avait un costume trois-pièces avec la rosette…C’était un personnage et il me disait toujours : « Tu transformes tout ce que tu touches en or ». Pendant 11 ans, il m’a apporté sa connaissance, sa science et ses relations. Nous avions le contrat moral : il a acheté ma jeunesse, j’ai acheté son expérience.
Le fait de ne pas avoir la limite d’un milieu social est-il aussi un atout pour aller jusqu’au sommet ? Si vous naissez dans un milieu de notables de province, vous raisonnerez comme un notable de province… Plus vous monterez haut dans l’échelle sociale, plus les gens seront sympathiques et ouverts. Mais plus vous resterez cloisonné dans un milieu, plus les gens seront fermés… Qu’en pensez-vous ?
Vous avez raison, mais cela procède d’un autre sentiment. Ceux que l’on appelle les puissants sont souvent issus d’une caste sociale élevée et ils ont pour sorte de principe humanitaire de porter aide aux plus démunis. C’est souvent le cas. Les plus grands sont souvent très généreux avec les plus démunis. Dans leur ADN, ils ont sans doute ce besoin de caste qui est d’aider le plus faible.
Le message de votre livre est de dire qu’il faut avoir confiance en soi et que le monde est l’univers de tous les possibles…
Il faut croire en soi et avoir une forte volonté de réussir. Les raisons sont souvent différentes. Personnellement, je voulais séduire cette femme que je n’ai pas connue, en l’occurrence ma mère, pour lui donner des regrets… Pour d’autres, cela peut être l’ambition personnelle.