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Le romancier nantais et la présidente de l’Association pour la Sauvegarde du patrimoine de La Baule-Escoublac racontent l’histoire de la presqu’île sous l’Occupation

Antoine George : « La Baule a offert à l’occupant le rêve de ce qu’il pouvait imaginer. »

Antoine George, qui habite à Pornichet, vient de publier un roman historique passionnant qui se déroule à La Baule sous l’Occupation. Ses héros fictifs évoluent entre juin 1940 et mai 1945 dans un environnement que l’auteur a voulu conforme aux faits historiques : « En 1940, après deux décennies étourdissantes, La Baule vit dans le luxe et la fête. Fin de partie lorsque le casino est transformé en hôpital et que les deux plus grands hôtels sont réquisitionnés pour l’état-major anglais. Puis, à partir du 15 juin 1940, la guerre est perdue, la moitié du pays est occupée par l’ennemi et le destin heureux de La Baule est percuté par les événements ». Ainsi, « les Allemands pénètrent dans La Baule. Partout, ce ne sont qu’hôtels de luxe et villas cossues, c’est un cadeau pour l’occupant. Ils les réquisitionnent pour y loger l’état-major et les troupes ».

Yannick Urrien a réuni Antoine George et Caroline Glon dans le studio de Kernews pour évoquer cette période. Caroline Glon est avocate de profession, conseillère municipale à La Baule en charge de l’urbanisme, de l’habitat, des travaux et du patrimoine, et présidente de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine de La Baule-Escoublac.

Antoine George dédicacera son livre le vendredi 23 avril, entre 16h et 17h30, à la Librairie Lajarrige, 2 avenue Lajarrige à La Baule.

« Contre Courants » d’Antoine George est publié aux Éditions Art 3.

Extraits de l’entretien

Kernews : Quelles raisons vous ont amené à vous intéresser à la Seconde guerre mondiale à La Baule ?

Antoine George : C’est d’abord en lisant le livre de Luc Braeuer, qui dirige le musée du Grand blockhaus à Batz-sur-Mer, qui a une iconographie exceptionnelle. J’ai appris cette anecdote : un officier de sous-marin allemand attrape la syphilis et il choisit de se suicider car dans l’armée allemande à cette époque, quand on attrapait la syphilis, on était considéré comme un déserteur. Pour éviter d’être fusillé, il a choisi de se suicider. Je me suis demandé ce qui s’est passé à La Baule pendant la guerre et comment cette infrastructure luxueuse s’est parfaitement adaptée à un occupant qui cherchait les conditions de séjour les plus agréables. Donc, il y a eu un très grand nombre de soldats allemands mais, finalement, il n’y a eu que deux bombes qui sont tombées sur L’Hermitage, sans exploser, alors que Saint-Nazaire a été détruite à plus de 50 %.

Vous insistez aussi sur le contraste entre cette ville de fêtes avant la guerre et l’arrivée brutale des Allemands…

A.G : La Baule était un lieu de fêtes exceptionnel pour les personnes d’un certain standing. L’héroïne du livre, étudiante aux beaux-arts, est venue s’installer pendant la guerre, parce qu’une école de beaux-arts s’était établie à La Baule.

Caroline Glon : C’était un endroit très chic, avec Ker Causette notamment. Charlie Chaplin était venu. Il y avait les concours du plus beau mollet, du plus beau pyjama ou du plus beau bébé… On était dans la fête et dans l’insouciance. Les frères Braeuer ont fait énormément de livres sur la vie à La Baule pendant la guerre, avec de nombreuses anecdotes sur la vie des Baulois.

Peut-on vraiment parler d’une période de guerre, puisque vous décrivez une vie normale au cours de la première partie de l’Occupation, une ville qui est toujours dans l’amusement et vous employez même le terme de guerre d’opérette…

A.G : C’est sévère ! Les conditions de vie étaient quand même difficiles. Il y avait beaucoup de privations, notamment au moment de la poche de Saint-Nazaire. Mais on peut dire que La Baule a offert à l’occupant le rêve de ce qu’il pouvait imaginer, avec des hôtels de luxe dans lesquels il pouvait s’installer sans vergogne, ou des magnifiques villas. Les militaires de l’armée de terre étaient dans la logistique et il y avait aussi les sous-mariniers. C’était une caste assez particulière et tous ces gens étaient heureux de se retrouver à La Baule. Je cite aussi la demande d’une Nantaise, acceptée par la mairie de La Baule, qui voulait créer un bordel au début de la guerre en prévision de l’arrivée des soldats allemands, ce qui permettrait de faire monter les affaires…

C.G : La maison dans laquelle je suis a été réquisitionnée par les Allemands, L’Hermitage était un hôpital et l’on peut voir de nombreuses photos de soldats allemands qui faisaient leur gymnastique sur la plage, avec beaucoup de gens qui continuaient de se promener sur le remblai, comme si de rien n’était. C’est un paradoxe avec la guerre qui se passait derrière. On est dans l’image encore extraordinaire de la fête. Il y avait aussi des maisons un peu plus légères, notamment sur le remblai et en dessous de La Coupole, où il y avait une partie de la Kommandantur. Il y avait même un dancing.

Pour vous, La Baule est une femme, une belle esclave qui a séduit l’envahisseur, sans pudeur… Dans ce contexte, il ne fallait pas attendre une grande histoire de résistance à La Baule…

A.G : C’est ce que je pense. La Baule a séduit les Allemands qui sont arrivés en guerriers, le couteau entre les dents. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient dans un lieu privilégié qui était finalement hors du temps et en dehors de la guerre. Il était plus question de se battre, mais de prendre du bon temps. Quand les Baulois ont comparé leur sort à celui de leurs voisins nazairiens, ils ont considéré qu’ils avaient de la chance et que les choses se passaient finalement assez bien, malgré les contraintes liées à l’Occupation.

C.G : Beaucoup de maisons étaient des résidences secondaires. Les gens habitaient loin et ils ont laissé faire sans se poser trop de questions. C’est pour cette raison qu’à la fin de la guerre, lorsque les gens ont pu récupérer leur maison, ils y étaient moins attachés et c’est ce qui a fait que les ventes de maisons se sont développées. C’est en partie ce qui a contribué à la création des immeubles sur le remblai. Il devait y avoir une partie du mur de l’Atlantique aussi et, quand il est tombé, des pans de maisons sont tombés et elles n’étaient plus du tout habitables.

Vous précisez dans votre livre qu’il est important de ne pas juger cette époque, car nous ne pouvons pas la comprendre et nous n’étions pas là…

A.G : Oui. La difficulté des Baulois était identique à la difficulté des Français et elle s’est amplifiée à la fin de la guerre avec la poche. Je fais cette précision par rapport à la position des maires. Dans les années 80, on a rapidement assimilé les maires à des collaborationnistes. Or, en réalité, à La Baule, le maire venait d’être élu et il a pris les choses comme il pouvait. Il était pris, d’un côté, entre le maréchal Pétain qui fixait des règles et, de l’autre, les Allemands qui en fixaient d’autres… On a un peu trop rapidement assimilé la position des maires à une position de collaborationnistes, notamment le maire de Saint-Nazaire qui a été reçu par le maréchal Pétain. Mais le maréchal recevait le maire parce que sa ville avait été détruite à plus de la moitié, et non pas parce que l’élu local voulait lui rendre un hommage particulier. Il y avait une nécessité de gestion des villes.

Votre livre est une fiction, mais vous précisez bien que toutes les bases sont réelles. Et vous décrivez des restaurants pleins tous les soirs…

A.G : La Baule était pleine de soldats allemands qui étaient très bien payés. En plus, c’était de l’argent français, puisque c’était aux Français de financer l’Occupation. Le mark allemand était surévalué et les soldats allemands avaient beaucoup d’argent qu’ils pouvaient dépenser. Ils avaient envie de faire la fête et les Baulois en ont profité aussi. Cependant, comme partout, il y avait des tickets de rationnement et des difficultés quotidiennes, il y avait évidemment deux mondes différents entre le monde de la fête et celui du quotidien. Au début de la guerre, la baignade était autorisée et il y avait beaucoup de monde sur les plages. C’est au milieu de la guerre que la baignade a été interdite. Quand on a commencé à mettre les asperges de Rommel pour empêcher le débarquement, les gens ont continué à essayer de profiter de la plage jusqu’au dernier moment.

C.G : Une partie des troupes était aussi à Escoublac, au manoir de Ker Allan, et toutes les armes étaient entreposées dans le pigeonnier. Si vous allez visiter ce manoir, vous avez encore sur la porte des inscriptions en allemand, à la craie, puisque c’est resté en l’état.

Pour autant, il ne faut pas penser que toute la ville ait été dans l’insouciance et dans la collaboration. Il y avait quand même un esprit de résistance, car tous les Baulois avaient une radio cachée pour écouter la BBC…

A.G : Oui, les contraintes étaient fortes. Il fallait afficher sur la porte de sa maison le nom des personnes qui y étaient, de façon que les troupes allemandes soient en mesure de vérifier qui était là et pour quelles raisons. Il y avait effectivement une résistance, mais elle était moins orientée vers des faits d’armes, elle faisait plutôt du renseignement. Quand un vieux destroyer est venu percuter la porte de la cale de Saint-Nazaire, le renseignement français a pu expliquer très exactement qui était présent et les points où il y avait des soldats allemands. D’ailleurs, ce double jeu a quand même été assez drôle parce que le colonel Félix – de son vrai nom Jacques Chombart de Lauwe – qui est devenu le patron des FFI, habitait à Herbignac, dans une propriété magnifique qui a été réquisitionnée par les troupes allemandes. Au rez-de-chaussée et au premier étage, il y avait les Allemands et, au deuxième étage, il y avait la famille du colonel Félix qui faisait de la résistance… C’était assez cocasse…

En 1942, tout change. La baignade est interdite, les plages sont fermées, les lois antisémites sont promulguées…

A.G : Effectivement. Il y avait un commissaire de police qui était très humain. Il est allé prévenir les quelques familles juives qu’il allait y avoir une rafle et qu’elles devaient partir. Malheureusement, un certain nombre d’entre elles n’ont pas voulu s’en aller car, quand on a une cinquantaine d’années, avec tous ses biens à La Baule, il est très difficile de partir à l’aventure tout d’un coup. Ces gens n’ont pas voulu partir et ils ont été raflés un peu plus tard. 1942 a marqué un tournant dans la guerre, parce que les Allemands ont vu que les choses étaient compliquées en Russie et toute l’armée a senti que cette guerre n’était pas aussi évidente. C’était vrai aussi dans les sous-marins, car Hitler pensait que les sous-marins seraient un élément clé pour gagner la guerre, en détruisant les cargos qui apporteraient des armes et des équipements depuis les États-Unis. Mais on a vu que les États-Unis se sont organisés et les sous-mariniers ont compris que la guerre était en train de basculer. À ce moment-là, ils ont compris qu’ils pourraient perdre la guerre. J’évoque la vie de ce jeune Français, interprète à la mairie, qui travaille avec les militaires en charge des réquisitions, et une jeune femme étudiante des beaux-arts qui a envie de vivre sa vie et de s’éclater… Son envie de vivre dépasse la pulsion citoyenne consistant à prendre du recul par rapport aux Allemands. J’ai voulu mettre cela en parallèle avec la vie de ce sous-marinier qui pense être le maître du monde au début de la guerre et qui se rend compte de la réalité au fur et à mesure de la guerre.

C.G : On connaît moins cette période. On a beaucoup entendu parler de la première époque fastueuse, avec de nombreuses images, mais il y a moins d’informations sur cette seconde période et il n’y a plus beaucoup de personnes qui peuvent vraiment nous raconter cela. Il y a énormément de choses au musée de Batz-sur-Mer et l’on voit souvent des soldats allemands d’un certain âge venir en vacances ici pour retrouver l’endroit où ils ont vécu pendant des années. Je crois qu’il y avait une maison à La Baule où les femmes qui étaient enceintes des Allemands accouchaient et ce sont des personnes qui sont nées dans cette maison qui me l’on dit.

A.G : Les Allemands étaient plutôt jeunes et en bonne forme physique, ils avaient envie de vivre. Il y avait en face des jeunes femmes dont les maris étaient prisonniers ou partis et elles étaient ouvertes à l’envie de vivre…

Pourquoi La Baule a-t-elle été épargnée par les bombardements ?

A.G : C’est un mystère. D’abord, il n’y avait rien de purement stratégique à La Baule et il y avait une obsession qui s’est faite sur la flottille de sous-marins. Malheureusement, l’arsenal était extrêmement bien défendu et aucune bombe n’a jamais réussi à le détruire. Il était aussi important de détruire l’activité industrielle de Saint-Nazaire pour les alliés. De l’autre côté, il y avait La Baule, mais il y avait quand même près de 30 000 Allemands, avec beaucoup d’officiers supérieurs, et l’on aurait pu imaginer que les alliés décident de détruire partiellement La Baule. Les Allemands craignaient d’ailleurs que les Français débarquent par les plages et, dans la baie, un mur a été érigé pour empêcher le débarquement des chars ennemis.

C.G : De nombreux décombres du mur de l’Atlantique sont encore sous le remblai, avec beaucoup de fer, notamment, ce qui posera d’ailleurs des problèmes pour la nouvelle réalisation de la promenade, parce qu’il va d’abord falloir faire des sondages et étudier de près ce qu’il y a en dessous.

Il y a quand même eu quelques nuits d’angoisses à La Baule…

A.G : Les avions qui allaient à Saint-Nazaire passaient au-dessus de La Baule et personne ne savait si une bombe allait tomber sur La Baule. Cette peur était liée à la présence d’avions en escadrille, avec parfois plusieurs centaines d’avions. Il y a eu un bombardement à Nantes dans des conditions très difficiles, puisque les Nantais n’ont jamais cru que les avions pourraient aller jusqu’au-dessus de chez eux. Il y a quand même eu des bombes qui sont tombées sur L’Hermitage, mais qui n’ont pas explosé. Il y a même eu des blessés qui ont dû être évacués. Après cela, L’Hermitage a très bien joué son rôle d’hôpital, en accueillant des blessés anglais et allemands, y compris les blessés de l’opération Campbeltown. D’ailleurs, les Allemands traitaient avec beaucoup de dureté les gens qui désobéissaient, en particulier les civils, mais ils avaient un respect des militaires. Les 80 morts anglais du Campbeltown ont été salués par une escorte militaire, avec une gerbe de fleurs. C’est assez étonnant de voir que ces gens qui se faisaient la guerre pouvaient être au garde-à-vous l’un devant l’autre en se saluant le lendemain.

Enfin, il y a le débarquement en Normandie, mais nos communes de la presqu’île sont oubliées…

A.G : En réalité, il y a un accord qui se fait. Pour les Anglais et les Américains, il est très pratique d’avoir 30 000 militaires allemands qui sont maintenus dans cette poche, alors que l’on a libéré tout le reste, car ces gars ne peuvent pas aller se battre. Pour les Allemands, il est beaucoup plus agréable de rester dans cette poche, sans risquer leur vie, plutôt que de se retrouver sur le front. Les Allemands avaient des consignes d’Hitler qui leur avait promis des armes merveilleuses, les Wunderwaffen, qui allaient permettre de retourner le cours de la guerre. Les Américains, en arrivant à Brest, ont vu qu’il était extrêmement difficile de déloger les Allemands car, même battus, ils restaient des militaires compétents. Et les Américains se sont dit qu’il valait mieux laisser Lorient et Saint-Nazaire…

Mais pendant cette période, les habitants ont connu l’enfer, avec la famine et les tickets de rationnement…

A.G : C’était très loin d’être le paradis. La fin de la guerre a été très difficile, d’autant plus que le reste de la France avait été libéré. En plus, il a fait très froid, puisqu’il a même gelé en mai 1944…

C.G : Il est important de savoir ce qui s’est passé à ce moment-là. Le plus vieil immeuble de La Baule, le Bellevue, devait être un hôtel et il a été réquisitionné pour les réfugiés de Saint-Nazaire, comme beaucoup de maisons de La Baule, d’ailleurs. C’était la troisième réquisition, puisque ces maisons ont été réquisitionnées la première fois par les Allemands, ensuite par les Anglais, et enfin pour les réfugiés de Saint-Nazaire.

Écrit par Rédaction

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