Avec les attentats terroristes perpétrés contre Israël, on entend beaucoup parler du Hamas et du Hezbollah, sans vraiment savoir quelles sont les différences entre ces deux organisations terroristes. Par ailleurs, outre la situation à Gaza, les regards se portent aussi vers le Liban qui affronte une grave crise économique. Léo Nicolian est journaliste, reporter de guerre, spécialisé dans les pays de l’Est, le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Ce Français d’origine libanaise et arménienne parle 9 langues, dont l’arabe. Il vient de passer quelques jours avec le Hezbollah au Liban.
Photo : Léo Nicolian avec les cadres de Hezbollah au Liban
L’invité de Yannick Urrien : lundi 17 octobre 2023
Extraits de l’entretien
Kernews : Le Liban est en ruine. Avec la multiplication des tensions dans la région, peut-on craindre la fin du Liban ?
Léo Nicolian : Nous n’en sommes pas encore là, mais je voudrais rappeler que le Liban est une civilisation qui a plusieurs milliers d’années et que c’est l’un des berceaux de la démocratie, puisque les Grecs ont découvert ce concept au Liban. Il y a eu le partage de la région au moment des accords Sykes-Picot, il fallait diviser pour mieux régner, tout cela pour s’accaparer les richesses. Donc, on a mis la Palestine sous mandat britannique et on a créé le grand Liban sous mandat français. C’était le troisième pays le plus riche au monde, avec le dollar qui était à trois livres libanaises. C’était la Suisse du Moyen-Orient, entre le secret bancaire, le tourisme et la gastronomie. Charles de Gaulle avait dit que tant qu’il serait aux affaires, il ne permettrait pas que l’on s’en prenne aux intérêts du Liban. Ensuite, il y a eu le problème palestinien, les hommes armés de l’OLP de Yasser Arafat, les accords du Caire, et ils sont arrivés au Liban. Il fallait bien que les Palestiniens soient quelque part et on les a mis au Liban. Il y a eu un changement brutal. Cela a tenu tant bien que mal et la guerre civile a démarré en 1975, jusqu’en 1991. Le Liban a eu sa phase phénicienne, sa phase chrétienne maronite, puisque le président doit être chrétien maronite, c’est une tradition. Mais les chrétiens sont minoritaires aujourd’hui, puisque la plupart sont en Europe. Ce pays était aussi le centre de la francophonie au Moyen-Orient. Mais c’est terminé.
Il y a quand même des quotidiens français comme L’Orient – Le Jour ?
Oui, mais c’est très peu lu. C’est un journal qui a été financé par le Quai d’Orsay. Le Réveil n’existe plus et La Revue du Liban n’existe plus… Même les chaînes de télévision ne sont plus francophones. Je voudrais reprendre ma chronologie, pour bien comprendre, avec la fin de la guerre civile en 1975 qui était une résistance libanaise face au problème palestinien. Les chiites du Sud Liban ont accueilli à bras ouverts l’armée israélienne en 1981, en leur jetant des fleurs et du riz, et il y a eu la création du Hezbollah.
Justement, on a pu constater que beaucoup de dirigeants du Hezbollah étaient francophones…
Effectivement, tous les cadres du Hezbollah parlent français, parce que la majorité des chiites libanais sont installés en Afrique. Leila Mazboudi, la rédactrice en chef de la chaîne du Hezbollah, Al-Manar, parle un français impeccable, comme Molière ! Les liens entre la France et le Hezbollah se sont renforcés à partir de l’élection de Nicolas Sarkozy et, depuis, cela ne fait que s’améliorer. Il y a des intérêts avec Peugeot, Total et des grandes entreprises sur tout le croissant chiite. Béchir Gemayel, assassiné trois semaines après son élection, avait dit que si la France abandonnait le Liban, les problèmes du Liban arriveraient en France. Or on le voit aujourd’hui dans une infime partie de la population d’origine immigrée, je dis bien une infime partie. C’est une petite minorité, très proche de Monsieur Mélenchon, qui fait du bruit.
Vous venez de passer une semaine avec le Hezbollah à la frontière israélienne. Beaucoup de nos concitoyens se font des fausses idées sur ce que peut être le Hezbollah, en pensant que ce sont des gens qui vivent dans la clandestinité, alors qu’il s’agit d’une réelle organisation politique et militaire…
Oui. Malheureusement, j’étais avec des confrères ciblés par un bombardement israélien, dont un journaliste de Reuters qui a été tué. Je suis maintenant à Beyrouth, qui est scindée en plusieurs parties, avec la banlieue sud chiite, qui est tenue par le Hezbollah. Les chiites Libanais étaient minoritaires et on leur a donné la présidence du Parlement, mais aujourd’hui ils sont majoritaires. Ils contrôlent quasiment tout. Le Hezbollah est un parti politique qui a une branche armée, avec des armes beaucoup plus puissantes que l’armée libanaise elle-même. C’est un État dans l’État. Ils ont des hôpitaux, des médias… C’est devenu un véritable État. Pour revenir à la création du Hezbollah, malheureusement nous avons notre part de responsabilité, car le général de Gaulle voulait faire de la France la troisième puissance mondiale et nucléaire, sans en avoir les moyens. C’est l’Iran, à l’époque du Shah d’Iran, qui a prêté des milliards à la France pour son programme nucléaire. Quarante ans plus tard, il a fallu rembourser. François Mitterrand n’a pas voulu rembourser l’Iran qui était en guerre avec Saddam Hussein et la France soutenait l’Irak. Cette guerre a rapporté des milliards en ventes d’armes. Tout le monde se souvient d’un groupe clandestin qui est apparu tout d’un coup, le Djihad islamique, qui a pris des otages français, notamment des journalistes de France 2. Il y avait Roger Auque, qui était à la fois un agent de la DGSE et du Mossad, le père naturel de Marion Maréchal Le Pen. Il y a aussi eu des attentats à Paris. Finalement, la France a cédé en remboursant ce qu’elle devait à l’Iran. Ensuite, il y a eu la création du Hezbollah, une émanation de l’Iran, qui a commencé militairement, mais qui s’est maintenant blanchie en créant un parti politique avec des députés. Aujourd’hui, le Liban vit un blocage parce qu’il y a eu une coalition contre le Hezbollah, ce qui a entraîné une crise politique.
Quelle est la différence entre le Hezbollah chiite et le Hamas sunnite ? Le Hamas ne s’occupe que des affaires palestiniennes…
Au départ, le Hamas est un parti politique issu des religieux. Lorsque Yasser Arafat quitte le Liban, après les attentats contre les marines américains et nos soldats français, il part en Tunisie. Il se retrouve chassé. Il y a les accords d’Oslo et Yasser Arafat revient dans sa terre natale. Pour les Israéliens, c’était terrible, il y a eu l’assassinat d’un premier ministre israélien, un homme de paix, et il était inconcevable qu’il y ait un État Israélien et un État palestinien sur la même terre. Il fallait affaiblir Arafat, mais personne n’y est arrivé car, au Liban pendant la guerre, il ne dormait jamais deux jours de suite au même endroit. Pour affaiblir Arafat, l’État israélien lui-même a créé le Hamas. Les anciens du Mossad et du Shabak reconnaissent cela. Il y a suffisamment de films et de documentaires qui racontent la création du Hamas pour affaiblir l’OLP.
Ainsi, la créature s’est retournée contre son créateur…
De la même manière que Ben Laden, une création de la CIA et des Saoudiens, s’est retourné contre l’Occident. Le Hamas est sunnite, mais ils sont aidés par l’Iran qui est chiite, car le Hamas a besoin d’exister contre l’ennemi juré de l’Iran et du Hezbollah. Il est aidé secrètement par Erdogan et la Turquie, mais aussi par le Qatar, qui joue un jeu trouble. Il y a également des liens avec les Frères musulmans égyptiens. Tant que les gens viennent pour aider, le Hamas ouvre ses portes, que ce soit d’ordre financier, humanitaire ou militaire. Le Hamas est tellement fort qu’ils ont réussi à faire ce que personne n’imaginait. C’est une préparation de plusieurs mois. Les Israéliens étaient capables de détecter un cafard… Donc, il y a eu des défaillances. Il faut attendre le résultat des commissions d’enquête. Maintenant, œil pour œil, dent pour dent, on voit le carnage qui se produit. Il va y avoir un grand nettoyage à Gaza et, pendant ce temps, le Hezbollah bombe le torse. J’ai vu les missiles et ils sont capables de raser la ville israélienne d’Haïfa. Mais cela se fera sur ordre de Téhéran. L’aéroport de Beyrouth sera la première cible des Israéliens, puis le Liban entier, avec toutes les infrastructures.
Certains observateurs évoquent des échanges entre le Hezbollah et les chrétiens. Quelles sont les relations ?
Cela dépend, car le camp chrétien est divisé, c’est un sac de nœuds, c’est incompréhensible. II y a une division au sein des Maronites. Le général Aoun a tout cédé au Hezbollah qui tient tout. Maintenant, le camp chrétien est divisé, Samir Geagea a une coalition de 28 députés, ce qui bloque tout. Donc, ce n’est pas rien. C’est un imbroglio et le Liban est dans une situation terrible. Aujourd’hui, le dollar est à 100 000 livres libanaises, contre 1 500 livres il y a trois ans. Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas d’électricité… Le Hezbollah a été créé par un Arménien issu du parti révolutionnaire arménien, qui a créé une branche militaire, une branche politique et des services secrets. Aujourd’hui, le Hezbollah est la plus grande puissance militaire au Liban face à Israël. L’aéroport de Damas a été bombardé. Donc, il est certain que nous allons vers un embrasement général du Moyen-Orient et les prix du pétrole vont exploser. Pendant ce temps, il y en a qui font des millions, Emmanuel Macron est venu, mais les Libanais ne veulent plus en entendre parler car ils ont compris que sa seule préoccupation était les intérêts de Total et du port de Beyrouth que la France a pris en concession pour trente ans. La France joue une comédie merveilleuse : on condamne ce qui s’est passé avec le Hamas en Israël mais, en même temps, on pense à l’avenir… Et les intérêts sont considérables. Le Liban est un terrain de football où tout le monde s’enrichit. Le plus drôle, c’est que l’Ukraine n’est plus dans nos préoccupations. C’est du pain béni pour la Russie, l’amie de l’Iran. Mais n’oublions pas un pays qui n’a pas tiré une cartouche, qui n’a pas un mort, pas un blessé, et qui gagne à tous les niveaux : c’est, bien sûr, la Chine.
Quelle est la vie à Beyrouth aujourd’hui ?
Le Liban est un paradoxe. Vous avez 4 millions de réfugiés syriens, les Libanais n’en peuvent plus, on les appelle les envahisseurs : c’est comme si en France, pour un pays de 70 millions d’habitants, vous aviez 90 millions d’Afghans qui débarquaient du jour au lendemain… Les Syriens sont aidés parce que le monde n’en veut pas, donc on les aide à outrance. La plupart des Libanais vivent moins bien que les réfugiés qui cultivent de la drogue. Les panneaux solaires envoyés par les Nations unies servent à fabriquer de la drogue. Les Libanais sont des gens qui aiment vivre, donc ils continuent d’aller au restaurant et d’aller faire la fête. Je suis devant le Starbucks de Beyrouth et il y a du monde… Mais au Liban, il n’y a plus rien. Les services de l’État sont défaillants. Je reviens de la caserne de pompiers de Beyrouth, ils n’ont pas d’électricité, pas de Wifi, et pas d’essence. Un officier des pompiers gagnait l’équivalent de 3 000 euros il y a quelques années et, aujourd’hui, il touche 280 euros. C’est pareil dans tous les rouages de l’État. Il n’y a que le secteur privé qui continue. Je quitte le Liban, sans doute pour longtemps, car les compagnies aériennes ne desserviront plus Beyrouth à cause des bombardements probables, au cas où le Hezbollah attaquerait Israël depuis le Sud Liban.