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Les raisons de la colonisation de l’Algérie

Thierry Nélias : « La France était dans l’esprit de faire cesser cette piraterie qui empêchait une libre circulation des marchandises et des hommes. »

Juillet 2022 : soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Le sujet de la colonisation revient fréquemment dans l’actualité et les politiques abordent souvent ce thème de façon caricaturale pour ne pas déplaire aux tenants de la pensée unique. L’historien Thierry Nélias, qui est notamment l’auteur de « L’Humiliante Défaite », un ouvrage d’histoire narrative sur la guerre de 1870, raconte les débuts de la colonisation de l’Algérie en 1830, en rappelant des faits qui viennent contredire certaines idées reçues.

« Algérie, la conquête : 1830 – 1870. Comment tout a commencé. » de Thierry Nélias est publié aux Éditions Vuibert.

Kernews : La colonisation de l’Algérie continue d’occuper de nombreux débats. Certains vont dire que ce sont les méchants Français qui ont colonisé un État souverain, tandis que d’autres vont alléguer que c’était un repaire de pirates détenus par les Turcs et que la France avait été missionnée pour mettre de l’ordre en Méditerranée. Quelles sont les motivations de la colonisation ?

Thierry Nélias : Ce sont effectivement les deux thèses qui cohabitent. La deuxième thèse est la plus proche de la réalité, puisqu’il y avait bien un problème de piraterie en Méditerranée du Sud, même sur les côtes italiennes et espagnoles. Les Américains ont aussi participé à des opérations en Méditerranée. La France était dans l’esprit de faire cesser cette piraterie qui empêchait une libre circulation des marchandises et des hommes en Méditerranée. Charles X voulait aussi redonner à la France une aura qu’elle avait déjà bien perdue en 1815 lors de la défaite de Napoléon. Charles X voulait étendre l’influence de la France en Méditerranée. Il y a aussi le coup d’éventail du dey d’Alger à l’ambassadeur français d’Alger, qui met le feu aux poudres trois ans avant la conquête. Il y a le siège d’Alger pendant trois ans et Charles X met vraiment les moyens en 1830 pour lancer une opération sérieuse.

Certains estiment que la colonisation a été brutale à l’égard des Arabes, mais, déjà à cette époque, les Occidentaux manifestaient leur volonté de respecter l’identité de l’Algérie, notamment la propriété arabe…

Deux mois après cette intervention de Charles X sur ce sujet, on se retrouve dans le régime de Louis-Philippe et l’administration française commence à s’intéresser à la propriété indigène. Les règlements du droit privé vont être modifiés par la France jusqu’à ce que Napoléon III décide de protéger davantage la propriété traditionnelle autochtone dans le cas de sa nouvelle politique arabe.

Napoléon explique qu’il veut travailler sur le statut des Arabes afin de leur garantir « respect et dignité » : donc, on est loin de la caricature colonialiste…

Il voulait proposer aux populations autochtones un partenariat avec les Français au sein d’une entité qu’il appelait le royaume arabe. Il laissait une autonomie assez grande aux populations autochtones, notamment pour l’agriculture et l’élevage, alors que la côte était davantage réservée aux populations d’origine occidentale. Tout cela dans un royaume assez autonome, mais qui devait quand même servir les intérêts français, notamment en fournissant des soldats en cas de guerre, sur le continent ou ailleurs.

Napoléon fait même une comparaison avec le Far West, en disant que c’est ce qu’il ne veut pas…

Dans la littérature, on retrouve souvent ce parallèle avec la conquête de l’Ouest aux États-Unis. Effectivement, Napoléon lui-même fait des comparaisons sur ce thème. Justement, il ne veut pas arriver au même résultat, car il constate que les populations indiennes sont abâtardies et n’ont plus la possibilité d’exister dignement. Face à cela, il veut absolument que chaque individu arabe ait son droit d’existence au sein d’une espèce de fusion entre les deux peuples.

Tout commence au cours de l’été 1830…

Cela débute en juin 1830 dans la baie d’Alger, qui se trouve à peu près à 25 kilomètres d’Alger, parce que les défenses de la ville d’Alger étaient trop puissantes. Les Occidentaux ont eu beaucoup de difficultés à pénétrer dans Alger. Alors, la France a décidé d’attaquer par l’est. Les combats ont duré un mois et Alger est tombée. Les Français ont découvert avec stupeur la guerre dans ces terres exotiques, avec ces soldats autochtones qui coupaient les têtes de leurs victimes pour ensuite aller les vendre dans Alger. Le dey d’Alger est en quelque sorte le roi d’Alger qui doit rendre des comptes à l’État ottoman. Mais, à cette époque, les califats de Constantine et d’Oran avaient déjà pris beaucoup d’autonomie par rapport à l’État central turc.

D’ailleurs, après la chute du dey, tous les chefs arabes se sont soumis à l’État français…

Pas tous, mais c’est exact, beaucoup ont rallié les Français parce qu’ils avaient l’impression d’être libérés de l’oppresseur ottoman. D’ailleurs, la version officielle des Français était de dire qu’ils venaient les libérer des Turcs. Beaucoup de tribus ont rallié la France au cours des deux premières années, jusqu’à l’intervention du fameux Abdelkader qui est entré en conflit ouvert avec la France. Au début, il n’était pas dans l’action guerrière, c’était plutôt un maître spirituel, puisque c’est un descendant de Mahomet. Il a combattu les Français, il est devenu sultan de sa région vers 1832 et, à partir de ce moment-là, il a commencé à fédérer les tribus. Il a obtenu une paix avec la France grâce à l’intervention de Bugeaud, Abdelkader a eu tout le pays oranais, et la France la mainmise sur la côte.

Abdelkader reconnaît donc à la France le droit d’occuper les côtes…

On donne un État à Abdelkader, avec une représentation diplomatique, le tout va s’installer à Mascara. C’est une première depuis des siècles dans cette région. C’est le premier État arabe dans la région, à l’exception du Maroc qui est un cas à part. Mais Abdelkader a des arrière-pensées, il adopte la taqîya, l’art de la dissimulation. Il attend le moment opportun pour chasser les Français, il se renforce et il rallie les tribus qui ne sont pas encore dans son giron, par la persuasion ou la force. Il va même jusqu’à brûler une ville en chassant tous les habitants, parce que le marabout qui commandait cette ville ne voulait pas rentrer sous sa coupe. C’est une personnalité très complexe et assez honnête, car, quand il donnait sa parole, il la tenait.

Quelle était la vie quotidienne à cette époque ? Vivait-on déjà comme en France ?

Ce n’est pas le point central de mon livre, mais la population occidentale qui part s’installer en Algérie est française, italienne, espagnole et maltaise. Il y a même des Suisses et des Allemands. La vie quotidienne se passe sous l’égide des militaires. L’autorité n’était pas encore civile et cela donne naissance à pas mal de revendications des populations, qui demandent une gestion civile de la colonie pour être gérées de la même façon qu’en métropole. Il y a un affrontement entre les militaires et les civils. Il faudra attendre l’avènement de la IIIe République pour commencer à voir un régime civil s’installer un peu partout.

Ce conflit a aussi été alimenté en raison de nos divergences avec la Grande-Bretagne…

Dès le début, au moment de la conquête d’Alger, les Anglais sont présents, en observateurs, avec des corvettes au loin, mais aussi pour aider à la signature du traité de paix. Les Anglais font pression et, vers 1835, certains disent même qu’il faut se débarrasser de l’Algérie parce que c’est un boulet, tout simplement pour faire plaisir aux Anglais. Les Anglais entretiennent l’inquiétude en Europe en évoquant la puissance française qui risque de devenir hégémonique. Mais, dès 1850, la colonie française est bien implantée en Algérie. Abdelkader tombe en 1847, il y a le coup d’État de Napoléon III et, à partir de ce moment-là la colonie est vivace.

Le général Bugeaud est vraiment un personnage central dans votre livre…

Oui. C’était le marquis de La Piconnerie, c’était son titre. Il était aussi député de Dordogne. C’est un militaire qui a combattu en Espagne, donc il sait ce que c’est que la guérilla et il s’adapte au terrain. Il est vraiment la cheville ouvrière de la conquête de l’Algérie et il s’associe au duc d’Aumale, le fils de Louis-Philippe, qui devient gouverneur de l’Algérie. Cette association a vraiment contribué à la conquête de l’Algérie. Bugeaud arrive en 1836 et il obtient déjà une victoire contre Abdelkader. Il comprend que les méthodes des batailles rangées ne seront pas efficaces très longtemps et qu’il faut s’adapter au terrain. Il morcelle en différentes lignes le territoire, en créant des colonnes très légères pour intervenir assez rapidement et aussi pouvoir se replier très rapidement. Il sait s’adapter à son ennemi.

L’erreur de Bugeaud, c’est d’avoir pénétré en territoire marocain : cela énerve les Marocains et les Français découvrent que ces derniers sont beaucoup plus forts qu’ils ne l’imaginaient…

Parce que le Maroc est dirigé par un empereur. C’est un État constitué plusieurs fois centenaire. Ils font tout ce qu’il faut pour inquiéter la France et ils essayent d’étendre leur domination à l’ouest de l’Algérie. Le conflit éclate parce qu’Abdelkader, quelques années avant sa reddition, avant la chute de son camp mobile, trouve refuge au Maroc pour demander de l’aide à l’empereur du Maroc. Il réussit à exacerber les tensions jusqu’à la bataille d’Isly entre la France et les troupes marocaines. Bugeaud est magistral parce que, à un contre cinq, il arrive à défaire son ennemi avec des techniques bien à lui. Officiellement, beaucoup d’historiens datent la fin de la conquête de l’Algérie à 1847, en raison de la réédition d’Abdelkader, mais il y a quand même la question de la Kabylie qui est sans cesse source de révoltes. Les Kabyles sont des guerriers formidables, c’est un peuple électrique, le moindre problème déclenche des révoltes. D’ailleurs, avant de partir, Bugeaud avait dit qu’il fallait absolument régler le problème kabyle, ainsi que le problème touareg.

Écrit par Rédaction

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