la baule+ 8 // Juin 2022 La Baule + : On entend à longueur de temps dans les médias les mêmes mots autour du climat, comme l’empreinte carbone ou le réchauffement climatique. Pourtant, vous estimez nécessaire de refaire de la pédagogie sur certains termes. Pour quelles raisons ? Christian de Perthuis : J’ai toujours essayé, dans ma carrière professionnelle, de traduire en langage commun ce que le monde académique se réserve pour lui-même avec des mots compliqués. J’ai été un peu plus loin en m’arrêtant sur le sens des mots. Cet arrêt sur image est aussi extrêmement utile pour moi-même, parce que je me rends compte, après 20 ans d’enseignement à l’université Paris Dauphine - dont 17 uniquement consacrés à l’économie du changement climatique - que, à force d’utiliser les mots, on finit par oublier combien ils peuvent être impactants. Ce n’est pas du tout un dictionnaire. J’ai pu actualiser les bases scientifiques à partir du dernier rapport du GIEC. J’évoque aussi l’action au niveau local et international, j’aborde la question des choix techniques, notamment l’hydrogène et l’agroécologie, et je reviens évidemment sur mon métier de base puisque je suis économiste. Donc, j’évoque les implications économiques. Vous êtes l’inventeur de la taxe carbone, c’est-àdire l’écologie punitive. Avec le recul que vous avez, pensez-vous que c’était la bonne solution? Ne faudrait-il pas être à présent plus pédagogue et moins rigide ? Le mot taxe carbone, je le place dans la catégorie des gros mots ! C’est un terme que l’on n’ose plus utiliser, parce qu’effectivement il fait mal. Lorsque j’étais le président du Comité pour la fiscalité écologique, j’avais proposé au gouvernement de mettre en place une taxation du carbone, mais de rétrocéder le tiers du produit de cette taxe sur les bas revenus. Donc, c’était une taxe redistributive, parce qu’elle distribuait plus de pouvoir d’achat pour les bas revenus. Ce qui est important, c’est d’avoir une vision totale. Il faut tarifer le carbone d’origine fossile si l’on veut accélérer la transition écologique, parce que nous prenons tous nos décisions en fonction des prix et, tant que les prix n’incorporent pas le coût du changement climatique, on aura toujours un conflit entre la rentabilité, l’efficacité et la lutte contre le changement climatique. Il faut bien intégrer le coût du changement climatique dans les prix, mais on ne peut le faire qu’en redistribuant le produit de cette taxe en ciblant d’abord les personnes les plus vulnérables, c’est-à-dire les familles avec de bas revenus ou les familles qui sont éloignées des centres urbains. Ce qui est le plus difficile pour les économistes, ce sont les inégalités spatiales Votre seconde proposition semble plus importante, puisqu’une famille de province qui a un revenu moyen et qui doit utiliser sa voiture tous les jours sera plus pénalisée que celle de Paris qui a un bas revenu, mais qui peut prendre le métro… Celle qui a un bas revenu à Paris doit quand même payer son loyer, qui est assez massif par rapport à ceux que l’on peut trouver en province. Effectivement, ce qui est le plus difficile pour les économistes, ce sont les inégalités spatiales, c’està-dire liées aux distances. Le mouvement des Gilets jaunes est aussi un mouvement des ronds-points et, derrière cette figure, il y a la vulnérabilité à la hausse des prix de l’énergie qui dépend de la distance par rapport au centre-ville. Il faut quand même économiser l’argent public. On a eu l’illusion, ces derniers temps, avec la baisse des taux d’intérêt, que la manne publique pouvait indéfiniment résoudre tous les problèmes. Maintenant, on retrouve des considérations un peu plus basiques, avec la remontée des taux d’intérêt. Donc, il faut utiliser judicieusement l’argent public, y compris pour l’action climatique. Il faut cibler, pour les dépenses de transport et les dépenses liées au bâtiment, les personnes les plus vulnérables. Celles qui sont éloignées des centres urbains font partie de ces cibles. Par exemple, si vous achetez une voiture électrique, vous avez une subvention, peu importe votre niveau de revenu, mais je pense qu’il faut cibler les politiques d’aide au développement de la mobilité bas carbone. L’objectif d’une taxe carbone, ce n’est pas de renchérir le coût de l’énergie, c’est de renchérir le coût de l’énergie fossile par rapport aux énergies décarbonées. Il y a une dynamique très importante à conduire du côté de l’offre, c’est-à-dire du côté Christian de Perthuis : « Il faut faire en sorte que, rapidement, le coût de l’énergie fossile soit suffisamment élevé par rapport aux énergies décarbonées. » Écologie ► L’économiste du climat, inventeur de la taxe carbone, plaide pour une accélération de la transition énergétique L’économiste Christian de Perthuis a dirigé la Mission climat de la Caisse des Dépôts et il est le fondateur de la Chaire Climat à l’université Paris Dauphine-PSL. Il est à l’origine de la taxe carbone en 2014, lorsqu’il avait été nommé à la tête du groupe d’experts sur le climat par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Dans son nouvel ouvrage, il présente avec une grande pédagogie 30 mots incontournables - mais parfois mal compris - dans le contexte de la lutte contre le changement climatique : actif échoué, adaptation et atténuation, justice climatique, Convention climat, etc. Ce livre très utile, construit en quatre grandes parties (Les bases scientifiques, L’action climatique, Les options techniques, Les implications économiques), n’a pas vocation à constituer « un mini-dictionnaire », mais invite « à parler climat, pour mieux comprendre et agir face au réchauffement global ». « Climat : 30 mots pour comprendre et agir », de Christian de Perthuis, est publié aux Éditions De Boeck Supérieur.
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