Le québécois Louis Létourneau travaille depuis plusieurs années sur l’origine du langage, il anime une chaîne sur le web et son nouveau livre est le fruit d’une longue réflexion sur ce sujet. L’auteur évoque sa démarche en soulignant : « Le langage est universel et, dans ce livre, il ne s’agit pas de traiter de la langue française ou anglaise, tous les humains ont un langage, c’est le langage des mathématiques, celui de la musique, il y a différents modes d’expression que les humains ont développés avec le temps. Le langage est un outil qui a favorisé le développement de l’intelligence humaine. » Au départ, on qualifiait simplement les choses, comme une fleur, un homme, une femme… Progressivement, le langage s’est affiné pour illustrer toutes les subtilités de l’être humain, du paysage ou de l’objet : « Il ne peut pas y avoir une langue unique. Il y a tellement d’humains sur Terre, que chacun a le moyen d’exprimer ce qui l’entoure. Tout le monde voit des fleurs ou des rivières, mais c’est exprimé différemment. Il y a eu une évolution dans le langage. Au départ, il y a eu un nom, ensuite un verbe, et c’est ainsi que le langage a évolué au cours des générations. »
Dans cette évolution, on observe des différences. Par exemple, en français, on dira qu’une fleur est belle, c’est donc la fleur qui nous intéresse et l’on constate qu’elle est belle… Dans d’autres langues, on évoquera d’abord la beauté, puis on précisera qu’il s’agit d’une fleur : donc, c’est la beauté qui attire d’abord le regard et le fait que ce soit une fleur est finalement secondaire. Louis Létourneau raconte : « Quand les missionnaires débarquent au Canada, ils s’aperçoivent que les indigènes vont avoir 2600 locutions. Par exemple, pour dire que la fleur est belle, c’est un mot complet. Les Européens préfèrent délimiter le nom de l’adjectif, tandis que les autres n’ont pas cette idée. Dans le cours de l’évolution de l’humanité, le langage est quelque chose de complexe et c’est avec le temps que l’on a délimité le nom, le verbe et le qualificatif. Je voulais démontrer que l’idée d’une langue unique ne peut pas tenir, parce qu’il y a partout des humains et ils ont chacun leur façon de montrer les choses qui les entourent. Parfois, entre deux clans, le langage peut changer totalement, parce qu’il n’a pas été écrit. » Au sein de cette complexité, il y a des langues, ou il y a un mot précis pour dire que la fleur est belle, et un autre mot pour préciser que la fleur est fanée…
Louis Létourneau évoque ce qu’il appelle l’arbre de la culture cumulative : « Pour mieux me faire comprendre, j’ai représenté toute la chronologie culturelle de l’épopée humaine, sous l’image simpliste d’un arbre. Grossièrement, il y a les racines, sur une période de 2,5 millions d’années, le tronc apparaîtra avec l’écriture et l’alphabétisation, le feuillage explosera avec l’apparition de l’imprimerie, la diffusion des idées plurielles et la naissance de la lecture, puis l’alphabétisation de toute la population. Toutes les racines des cultures orales convergent vers ce tronc qui est l’humanité en développement. Elles représentent toutes les langues et toutes les cultures orales. Tout cela se dirige vers la culture de l’écrit, de la réflexion et de la mémorisation. » Ainsi, « au fur et à mesure que l’humanité avance, elle accumule une culture et toutes les racines viennent se rejoindre pour former une culture globale. »
C’est un voyage très documenté sur l’histoire du langage que nous propose ainsi Louis Létourneau. En conclusion, nous lui avons demandé ce qui l’avait amené à travailler sur ce sujet : « À un moment donné, j’ai écrit un texte simpliste. J’étais assis au bord du fleuve Saint-Laurent et je m’interrogeais sur le principe des marées pendant que mes amis se baignaient. Je me suis demandé pourquoi l’eau montait et descendait, c’est une interrogation que j’ai eue. Pourquoi l’humain était-il aussi différent de l’animal, alors que nous sommes un animal à 98% ? Cette interrogation m’a amené à écrire un premier livre. Un éditeur m’a dit qu’il avait retenu mon analyse sur le langage. J’ai compris que ce qui nous différenciait était le langage et j’ai fait la démonstration que le langage était l’invention la plus importante de l’humanité. Cet ouvrage a été écrit comme une équation, c’est l’interrogation d’une vie. »
Le podcast de l’entretien avec Louis Létourneau