Maiwenn Raynaudon-Kerzerho, rédactrice en chef adjointe du magazine Bretons, revient sur les nombreux préjugés que l’on peut avoir sur la Bretagne et les Bretons. Elle décortique ces clichés visant à faire passer les Bretons pour des « ploucs » en expliquant pourquoi la plupart de ces stéréotypes sont franchement idiots et ne sont pas toujours fondés…
« Ploucs ? Clichés agaçants et idées reçues sur la Bretagne et les Bretons » de Maiwenn Raynaudon-Kerzerho est publié aux Éditions Blanc & Noir.
Kernews : Est-ce sur la Bretagne et la Corse qu’il existe le plus de clichés et d’idées préconçues ?
Maiwenn Raynaudon-Kerzerho : C’est forcément sur les régions qui ont une forte identité, puisqu’il faut bien s’accrocher à des traits saillants pour produire des clichés. Ce sont des régions qui ont été plus en retard en matière de développement que les autres et qui ont aussi été victimes de mépris de la part des élites parisiennes. La Bretagne est très bien placée dans les régions qui sont le plus victimes de clichés.
Comment avez-vous eu l’idée de travailler sur ce sujet ?
Cela fait déjà plus de dix ans que je travaille au magazine Bretons et nous observons un grand changement dans l’image de la Bretagne. Quand je suis arrivée, il y avait encore cette image de la Bretagne un peu ringarde et désuète, cette image de ploucs, et j’ai l’impression que nous sommes définitivement en train d’en sortir. J’ai trouvé bien de faire un livre pour clore tout cela et combattre toutes ces idées reçues qui nous agacent, pour dire que c’est fini, en invitant les lecteurs à regarder ce qu’est la Bretagne aujourd’hui.
La plupart de ces clichés sont-ils nés au début du siècle dernier ?
Effectivement, l’image de Bécassine, c’est-à-dire la Bretonne un peu plouc, est née à la fin du XIXe siècle, quand il y a eu un mouvement d’immigration de masse des Bretons vers les grandes villes. Plus de 30 % des Bretons ont quitté la région, c’est énorme, pour aller vers Nantes ou Paris. Ils arrivent, ils sont plus pauvres que les autres, ils parlent mal le français et ils occupent les positions sociales les moins valorisées. C’est à ce moment-là que le mot plouc se diffuse. Après, c’est revenu par vagues et c’est même resté très vivace au cours des années 50 ou 60. Le rattrapage s’est fait dans les années 70, avec le développement économique et le développement de l’agriculture, et l’on découvre le dessin de Bécassine qui ouvre la bouche et qui lève le poing.
N’est-ce pas simplement lié au phénomène d’immigration car, par définition, ce sont toujours les plus pauvres d’un territoire qui vont chercher du travail ailleurs ? Ainsi, on a caricaturé les immigrés italiens, mais il y a toujours eu une noblesse italienne. On peut faire ce même parallèle avec les Marocains : les immigrés sont souvent les moins instruits, alors que le Maroc a toujours eu une grande bourgeoisie…
C’est vrai, on se moque d’abord de ce que l’on considère être comme inférieur et différent. On s’est moqué des Bretons à partir du moment où ils sont venus quémander du travail à Paris. À Nantes, on avait tendance à dire que les Bretons étaient les pauvres du quartier Chantenay, donc il y avait quand même du mépris. Sur la question de la réunification, il y avait aussi dans l’esprit de certaines élites nantaises l’idée de ne pas être trop assimilées à la Bretagne, parce que cela reste un peu plouc. Les élues bretonnes ont même voulu effacer leur côté bretonnant qui a souvent été méprisé. Même en Bretagne, on s’est considéré comme des ploucs…
Tout cela n’a-t-il pas été aussi caricaturé par le cinéma, par exemple lorsque Jean-Pierre Marielle multiplie les aventures avec des jeunes soubrettes dans des hôtels ?
La Bretagne a été assez mal servie par le cinéma. Je ne comprends pas très bien pourquoi il n’y a pas eu davantage de grands films sur la Bretagne et les Bretons. Par exemple, récemment, il y a eu le film « Plancha » qui est une succession de clichés sur la Bretagne, entre la pluie, les cirés jaunes, les bols et quelques blagues sur les Bretons et l’alcoolisme. Donc, même en 2022, le cinéma multiplie les clichés. J’ai cherché des films en breton et il n’y en a pas eu non plus.
Pourtant, à l’inverse, depuis longtemps, la Bretagne est considérée comme une destination élégante de vacances et, même dans les années 70 ou 80, les familles bourgeoises parisiennes considéraient la Côte d’Azur comme une destination de ploucs…
La Bretagne est une destination pittoresque et authentique. Quand on recherche de l’authenticité et des traditions, on se tourne vers la Bretagne. On aime bien la Bretagne parce que c’est pittoresque, mais simplement pour les vacances. Toutefois, on observe un changement des mentalités et les gens se disent que c’est agréable de venir dans une région qui est plutôt préservée et qui a su conserver son identité. Ce côté pittoresque, qui a sans doute été négatif, est devenu un élément très positif et toutes les projections démographiques indiquent que la Bretagne va devenir de plus en plus attractive au cours des prochaines années. Ce qui était négatif autrefois est devenu une force aujourd’hui.
La Bretagne est aussi le berceau de grands entrepreneurs, notamment Vincent Bolloré ou François Pinault…
Oui, mais ce n’est pas en Bretagne qu’ils ont bâti leur empire : ils sont partis ailleurs. C’est un peu le drame de la Bretagne… Les élites sont parties et c’est toujours un peu la même histoire. Pour réussir, les Bretons ont dû s’expatrier.
Vous passez en revue de nombreux clichés, notamment sur l’alcoolisme…
C’est une idée reçue qui vient très fréquemment : les Bretons picolent… Cela ne vient pas de nulle part, il y a toujours un fond de vérité historique et, c’est vrai, il y a un rapport particulier à l’alcool en Bretagne. On a un rapport assez festif à l’alcool, les gens peuvent boire beaucoup lors d’une soirée et ils peuvent le dire sans honte. Au XIXe siècle, quand il y avait des fêtes, les hommes buvaient beaucoup. Aujourd’hui, quand on regarde la consommation quotidienne d’alcool, les Bretons sont loin d’être les premiers. C’est en Occitanie que l’on consomme le plus d’alcool. Maintenant, les Bretons ont sans doute un alcool festif plus marqué qu’ailleurs. Les enquêtes de santé publique sont souvent déclaratives et il faut savoir qu’en Bretagne il n’y a pas de honte par rapport à cette question. Donc, les gens vont répondre la vérité, ce qui n’est sans doute pas le cas ailleurs. Si vous posez la question à Paris, les gens vont répondre qu’ils ne boivent pas beaucoup, même si c’est faux. En Bretagne, le rapport à l’alcool est plus libre et plus décomplexé. C’est comme la question du suicide : on dit souvent que la Bretagne est en tête des régions où l’on se suicide le plus, ce qui est particulièrement dramatique. Quand on analyse les données, on s’aperçoit que c’est faux, parce que, quand quelqu’un décède, on doit établir la cause du décès sur le certificat. En Bretagne, on est toujours discipliné et consciencieux, et les médecins remplissent les certificats à la perfection alors que dans d’autres régions, notamment en Île-de-France, les certificats de décès sont remplis n’importent comment. Donc, en Île-de-France, on s’aperçoit qu’il n’y a quasiment pas de suicides et quasiment pas non plus de morts par overdose. Donc, il faut se méfier des chiffres et voir comment ils sont construits. En réalité, en Bretagne, le taux de suicides est sans doute moins élevé qu’ailleurs.
Le principal cliché concerne évidemment la météo…
La Bretagne a des climats très différents et, quand on donne la météo nationale, on donne celle de Brest pour la Bretagne. En plus, dans une même journée, on peut avoir les quatre saisons en Bretagne et cela n’apparaît pas dans les bulletins météo. Il pleut moins à Nantes, Vannes ou Lorient qu’en Normandie ou dans le Nord… Il pleut évidemment un peu plus qu’à Toulouse, mais il pleut plus à Bordeaux ou à Biarritz qu’en Bretagne… Il fait moins froid en hiver et moins chaud en été, or c’est en train de devenir un avantage. Le changement climatique est aussi attractif pour la Bretagne, puisque nous allons accueillir de plus en plus de gens à la recherche d’étés plus cléments.
On dit souvent que les routes sont gratuites en Bretagne grâce à Anne de Bretagne…
Il est vrai que la Bretagne a eu des privilèges fiscaux pendant longtemps, parce qu’il ne faut jamais oublier que la Bretagne a été un État indépendant qui a été annexé difficilement au Royaume de France. Cela s’est fait au terme d’une guerre et trois mariages. Donc, même après l’annexion, on n’a pas été trop embêter les Bretons, qui ont pu garder un certain nombre de privilèges fiscaux jusqu’à la Révolution. Sur la question des autoroutes gratuites en Bretagne, cela remonte aux années 60 : la Bretagne est une région largement sous-développée par rapport au reste de la France et un mouvement se crée, le CELIB, avec des universitaires notamment, de gauche comme de droite. Ces gens ont imaginé un plan de développement pour la Bretagne. Dans ce plan, il y avait l’idée d’avoir des quatre voies gratuites qui correspondraient à la géographie bretonne, avec des sorties régulières, puisque l’habitat est dispersé en Bretagne, avec un réseau important de petites et de moyennes villes. Ce plan a été accordé à la Bretagne grâce à la mobilisation de ce CELIB et cela correspondait aussi à une époque où l’agitation politique était forte en Bretagne. Donc, le pouvoir a cédé là-dessus. Les Bretons sont très attachés à cela : souvenez-vous des Bonnets rouges, il y a quelques années, lorsque l’on a évoqué la simple idée de faire payer ces routes aux camions. Je pense que le pouvoir n’est pas près de remettre cette idée sur le tapis…
Quel cliché avez-vous envie de nous faire partager ?
J’ai la chance d’avoir été élevée en breton et je parle breton couramment. Ce qui m’agace, c’est l’idée que la langue bretonne serait un patois et que ce ne serait pas une vraie langue. La langue bretonne mérite d’être mieux connue pour que les gens se rendent compte que c’est une langue très riche, qui a une histoire très ancienne, cousine du gallois et du gaélique, et qui est une langue écrite depuis son origine, avec une riche histoire littéraire, avec sa propre grammaire et sa syntaxe. Elle apporte une vision du monde très différente et, quand on parle breton, je vous assure que les noms de lieux résonnent différemment. La langue bretonne est aussi prestigieuse que les autres. Elle a juste été plus méprisée que les autres et c’est pour cette raison qu’elle est mal en point.
Vous avez évoqué le sous-développement économique de la Bretagne au siècle dernier : n’est-ce pas une volonté de l’État français afin de contrer toute nouvelle idée d’autonomie ?
L’ancien ministre Brice Lalonde dit que la Bretagne est un Portugal qui a foiré… En tout cas, la Bretagne a toujours fait peur à l’État central, parce que c’est une province qui a été rattachée tardivement au Royaume de France et qui a toujours gardé une âme un peu rebelle. Le pouvoir central a toujours regardé la Bretagne avec méfiance, parce qu’elle a cette image de rebelle. Elle a été surveillée comme l’huile sur le feu. Pendant longtemps, pas grand-chose n’a été fait pour la valoriser. Dans certaines élites, il y a toujours une peur très forte des identités régionales, et cela ne concerne pas que la Bretagne.
Vous qualifiez la Bretagne de rebelle. Pourtant, vous rappelez que c’est la région qui a toujours voté dans le sens du pouvoir : quand la France est mitterrandienne, la Bretagne est mitterrandienne ; quand la France est chiraquienne, la Bretagne est chiraquienne ; quand la France est macroniste, la Bretagne est macroniste…
Les Bretons sont assez légalistes. Tant qu’ils estiment que le pouvoir est plutôt juste, ils obéissent aux lois. Ce sont des gens qui ont un sens aigu de la justice et ce sont effectivement de bons citoyens. Ce sont aussi ceux qui votent le plus aux élections, puisque les taux de participation sont toujours plus élevés en Bretagne qu’ailleurs. Il y a un côté bon élève qui est un peu décalé. Ce sont aussi ceux qui écoutent le plus la radio ou qui lisent le plus de journaux. Les Bretons sont en tête dans le tri des déchets ou dans le don du sang… Il y a de nombreux indices qui indiquent que ce sont des gens qui ont une certaine idée du bien commun et qui ne font pas de vagues, sauf si l’on tape trop fort sur eux,. C’est ce qui s’est passé pendant la Révolution. Effectivement, la Bretagne a un côté bon élève.