Le destin romanesque et authentique d’une Guadeloupéenne née esclave et devenue une grande dame
Michèle Dassas a une résidence secondaire à Pornichet. Auteure de plus d’une quinzaine d’ouvrages, dont neuf romans, elle s’est vu décerner en 2021 la Médaille d’or du mérite littéraire de l’Association Arts et Lettres de France pour l’ensemble de son œuvre. Dans son nouveau roman historique, elle nous livre un récit véridique, celui d’une Guadeloupéenne née esclave qui devint une grande dame invitée par le Tout-Paris. Une histoire qu’elle connaît bien, puisque c’est aussi celle de sa famille…
« Le Dîner de l’Exposition » de Michèle Dassas est publié chez Ramsay.
Kernews : Vous racontez le destin romanesque de cette femme née esclave. Or il s’agit d’une histoire authentique…
Michèle Dassas : C’est effectivement une histoire vraie. J’aime bien ressusciter des personnages qui ont eu une histoire fabuleuse, mais que l’on ne connaît pas. Le Dîner de l’Exposition concerne un restaurant à prix unique qui a été créé pour l’Exposition universelle de 1855. Aurélia était une très belle Guadeloupéenne, originaire de Basse-Terre. Son père, vice-consul des États-Unis en Guadeloupe, vivait avec sa mère qui était une mulâtresse affranchie. La mère d’Aurélia était née esclave et elle avait été prise au service de Charlemagne Saint-Auril Lacour qui est tombé éperdument amoureux d’elle et l’a épousée à la fin de sa vie. Très rapidement, ils ont eu cette petite fille, Aurélia, qu’il va élever.
Quelle était la situation des Guadeloupéens à cette époque ?
L’esclavage n’avait pas encore été aboli à cette époque. À la naissance d’Aurélia, le statut des esclaves avait déjà évolué, mais, comme elle est sous la protection de son père, elle a eu une vie très privilégiée. D’ailleurs, sa mère a bénéficié de l’éducation des sœurs et c’est pour cette raison qu’elle sait lire et écrire. Aurélia imagine qu’elle peut avoir un destin en France, puisqu’à l’époque c’était encore une colonie et son père rêve de lui trouver un mari en France.
Lorsque l’on pense à l’esclavage, on imagine des pauvres noirs qui devaient travailler durement en recevant des coups de fouet… Quel était le statut de l’esclave à cette époque ?
Tout cela était fini depuis longtemps. Cela dépendait des familles. Il y a évidemment eu des abus, avec de la maltraitance, mais il y avait aussi beaucoup de planteurs qui traitaient bien leurs esclaves. Dans ce cas précis, Charlemagne considère même la mère d’Aurélia, Geneviève, comme son épouse. Aurélia naît en 1826 et elle finira ses jours à la fin du XIXe siècle. Elle va connaître une vie hors normes que j’ai voulu raconter. Quand son père l’amène à Paris, elle est très belle, elle a reçu une très bonne éducation, elle est cultivée. Elle fait sensation dans les salons parisiens. Elle n’a que 20 ans et elle va séduire un jeune aristocrate parisien, Édouard Eugène Ventre dit d’Auriol, c’est un coup de foudre réciproque. Cependant, cet homme s’appelait Ventre et il ajoute le nom de sa mère, d’Auriol, ce qui était déjà un peu malhonnête à l’époque… C’était un jeune avocat qui brillait dans les salons parisiens. Tout va très bien, jusqu’à ce grand scandale du Dîner de l’Exposition…
Rappelons que ce restaurant a été ouvert au cours de l’Exposition universelle de 1855…
À cette époque, tous les gens croient dans le progrès. L’exposition présente tout ce qui se fait de nouveau et il veut créer un restaurant à prix fixe. Cela existait déjà à Paris, mais il veut créer le plus grand restaurant d’Europe, sur un site extrêmement luxueux. Il doit trouver des actionnaires et il lance la Société Générale de Gastronomie. Il y a beaucoup de publicité dans les journaux de l’époque. Il achète deux immeubles près de l’Opéra, c’est magnifique. Le restaurant est équipé du premier tapis roulant au monde qui apporte les plats directement aux clients. C’était quelque chose de très moderne. Mais il y a eu quelques ennuis au départ. Ils sont obligés de recapitaliser, les actions baissent, le montage financier s’écroule et le restaurant fait faillite.
Auparavant, Aurélia était une grande dame…
Elle s’apprêtait à accoucher de son troisième enfant et elle ne comprenait pas très bien pourquoi elle était beaucoup moins invitée dans les salons. Elle n’était pas au courant du scandale financier et elle s’en aperçoit à la dernière minute, quand cela fait la une de tous les journaux. Elle pensait être arrivée au sommet, en réalisant son rêve de petite fille, mais tout s’écroule et son mari fuit en Angleterre. Officiellement, il était parti aux Amériques, mais en réalité il était parti en Angleterre.
La pauvre Aurélia subit les conséquences de cette faillite…
On l’inculpe, on la soupçonne d’être complice de cette faillite, ce qui n’était pas le cas. D’ailleurs, l’avocat réussit à prouver son innocence. Mais il y a l’opprobre général. Elle ne peut plus rester vivre à Paris. Elle a peu d’économies, heureusement son père, Charlemagne, vient à son secours.
Était-elle regardée différemment parce qu’elle était guadeloupéenne ?
Elle était quarteronne, cela se voyait très peu. Elle était simplement un peu basanée et elle pouvait passer pour une fille du Sud. Mais son passé est ressorti au moment de son jugement et on lui a dit que son père ne l’avait jamais reconnue. Effectivement, son père ne l’avait jamais officiellement reconnue, puisqu’elle sera reconnue beaucoup plus tard. C’est un coup de poignard qui lui rappelle ses origines et elle est désemparée. Heureusement, elle a toujours le soutien de ses parents et son père organise son départ pour Londres. Elle arrive à Londres au moment de la grande puanteur. C’est un événement que l’on a oublié. Londres était un cloaque à l’époque. La Tamise ne charriait que des cadavres et des immondices en plein été, cela sentait très mauvais. Les actionnaires qui ont tout perdu à cause de son mari lui en veulent énormément et ils vont lui en vouloir jusqu’à pourchasser son mari, qui meurt dans des conditions étranges. On suppose qu’il a été assassiné.
Après la mort de son mari, elle retourne en Guadeloupe…
Elle se retrouve veuve et son père ne peut plus venir la voir, parce qu’il est trop affaibli. Alors, elle retourne en Guadeloupe. Elle va y retrouver les souvenirs de son enfance heureuse et elle assiste au mariage de sa maman. Donc, elle sera reconnue juste avant la mort de Charlemagne.
À ce moment-là, Aurélia veut découvrir la vérité sur sa mère : que savait-elle sur elle ?
Elle savait peu de choses, parce que sa mère avait toujours occulté son enfance qui était douloureuse. Sa mère était vraiment esclave. C’était une gouvernante dans une famille blanche et elle avait été séparée de sa propre mère très jeune. Pour la mère d’Aurélia, c’était aussi une façon de tirer un trait sur cette période douloureuse, en transmettant la mémoire de cette famille. Elle voulait aussi dire à sa fille combien elle avait aimé son mari.
Que retenez-vous de cette histoire ?
D’abord, le courage d’une femme, parce que c’est une histoire vraie. Je me suis intéressée à cette histoire, qui me concerne, puisque cette fameuse Aurélia a épousé un peu plus tard mon arrière-grand-père. Je ne descends pas d’elle, mais un ami guadeloupéen, qui vit toujours là-bas, descendant de l’historien Auguste Lacour, a pu retracer toute cette vie. Pendant le confinement, je me suis dit qu’il fallait ressusciter Aurélia. J’ai fait des recherches, notamment sur ce scandale du Dîner de l’Exposition. Je retiens aussi cette notion de résilience à travers le désir d’améliorer la vie de nos descendants, en faisant mieux, tout en conservant nos racines.