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Nicolas Bouzou : « Quelqu’un qui ne s’informe que sur les réseaux sociaux et sur les chaînes d’information en continu risque de faire une dépression nerveuse. »

Nicolas Bouzou est l’auteur de nombreux best-sellers sur le monde contemporain. Consultant en économie, il est également essayiste et éditorialiste. Dans son dernier livre, il dénonce la civilisation de la peur : « La peur est un sentiment particulier. Elle peut, quand elle est justifiée, nous protéger. Mais, face à l’avenir, elle est souvent excessive, voire irrationnelle. Elle renferme sur soi et génère de la défiance envers les autres. Il est temps de combattre les marchands de peur. »

« La civilisation de la peur. Pourquoi et comment garder confiance dans l’avenir. » de Nicolas Bouzou est publié chez XO Éditions.

Kernews : Vous abordez le sujet de la peur. C’est surprenant, parce que ce thème est plutôt dénoncé par ceux que l’on appelle les complotistes, qui accusent les gouvernements d’effrayer les populations pour pouvoir mieux les contrôler…

Nicolas Bouzou : Mon analyse n’est pas complotiste, elle n’est pas de la même nature. Elle vient de ma fréquentation du débat public depuis vingt ans. J’ai bien remarqué, avec le temps, que les médias étaient de grands producteurs de peur, mais c’est vrai aussi de la sphère intellectuelle et des réseaux sociaux. J’essaye d’expliquer qu’avec les interactions entre les médias, les réseaux sociaux et cette spécificité française que sont les intellectuels, on propose à nos concitoyens une représentation du monde qui est plus négative que ce que le monde est réellement : en clair, quelqu’un qui ne s’informe que sur les réseaux sociaux et sur les chaînes d’information en continu risque de faire une dépression nerveuse. Il y a des problèmes en France et dans le monde, mais il n’y a pas que ça.

Toute la sphère politique n’est-elle pas tentée de surfer là-dessus, parce que cela l’arrange ?

C’est vieux comme la politique. Les gens au pouvoir ont bien intérêt à faire peur, parce que cela peut générer des mouvements conservateurs au sein de la population, ce qui peut leur permettre de consolider leur popularité. Les oppositions ont aussi intérêt à faire peur, surtout en France, où le débat politique est très clivé. Nous n’avons pas la culture du compromis. Donc, les oppositions critiquent en permanence la majorité. C’est ce que l’on voit en ce moment avec les JO. Enfin, les extrêmes savent très bien retourner la peur des gens à leur avantage, en trouvant des boucs émissaires faciles, comme la haine du riche. À l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon sait très bien utiliser les mauvais sentiments pour en faire une sorte de carburant. On trouve donc la peur à tous les niveaux. On doit s’efforcer de prendre un peu de recul pour essayer de voir les problèmes tels qu’ils sont et surtout réfléchir à la possibilité de résoudre les problèmes. C’est ce qui manque dans le débat public.

Vous avez aussi une approche économique, puisque vous démontrez à quel point la peur freine notre croissance…

On a ce débat très légitime sur la simplification, notamment depuis que nos amis agriculteurs se sont fâchés à juste titre. La simplification est devenue le grand thème à la mode. Donc, il faut essayer de supprimer des normes et moins légiférer. Je suis entièrement d’accord. Mais pourquoi avons-nous une telle inflation législative et réglementaire ? Il faut en permanence protéger.

C’est la conséquence du principe de précaution…

Je partage cette remarque. Cette peur n’est pas bonne pour la croissance, parce qu’elle génère une sur réglementation. Je suis un libéral, il faut des lois et des réglementations, mais nous en avons trop, parce que l’on veut se protéger absolument contre tout et on le paye en activité économique. C’est-à-dire en revenus et en emplois.

Il y a quelques décennies, la publicité se fondait sur le désir. Or, on voit y apparaître de plus en plus l’item de la peur…

C’est très intéressant. Il y a quelques semaines, j’étais dans le TGV et j’ai constaté que sur toutes les étiquettes des aliments, il y avait écrit « Cuit au chaudron » ou « Les recettes de Tata Monique ». Le message subliminal était de dire que l’alimentation moderne est dangereuse. Donc, la bonne alimentation, c’est forcément celle de nos grands-parents. L’idée est que nous sommes menacés dans notre monde d’aujourd’hui. Mais c’est absurde dans le domaine de l’alimentation, car c’est un domaine où il y a eu de grands progrès. Je ne parle pas de qualités gustatives, mais de sécurité alimentaire, car tout est normé.

Vous rappelez que partout, le nombre de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté n’a jamais été aussi bas et que le monde évolue positivement. Est-ce aussi cela qui nous fait peur ? J’étais récemment à l’aéroport d’Istanbul avec une personne qui est membre du conseil d’administration de Roissy-Charles-de-Gaulle. Or, mon interlocuteur a eu peur en voyant la grandeur et la modernité de l’aéroport d’Istanbul. Il a émis cette réflexion : « Ils sont en train de nous dépasser ». Est-ce aussi un sentiment de peur ?

Vous avez raison. Vous évoquez le sentiment de déclassement, c’est assez souvent justifié, mais je pourrais vous retourner l’argument. Nous n’avons plus un hub aéroportuaire ultramoderne en France, parce que l’on tape en permanence sur les avions. C’est devenu le sport des écolos radicaux. On nous explique qu’il ne faut plus de vols de nuit et votre exemple montre bien que c’est la peur qui nous empêche de continuer de croître et de tenir notre rang. Je pourrais multiplier les exemples dans notre rapport à l’innovation. Aujourd’hui, il y a une grande peur à l’égard de l’intelligence artificielle. On nous explique qu’elle n’est pas bonne pour nos emplois et pour l’environnement, et qu’elle pourrait même se retourner contre l’espèce humaine… Nous sommes à la traîne sur le sujet technologique majeur du XXIe siècle. Donc, c’est la peur qui nous fait faire des bêtises.

À force d’entretenir la peur, les discours de haine se multiplient dans tous les camps : la peur amène-t-elle la haine ?

Je partage cela. On a un débat public qui est devenu très dur, très violent, et on a l’impression que l’on ne peut plus discuter normalement dans l’espace démocratique. Il y a des idées qui deviennent interdites et des sujets qui deviennent interdits. On passe notre temps à s’insulter et à s’invectiver. Derrière, il y a la question du ressentiment. Prenez l’exemple des questions environnementales. Je ne suis pas climato-sceptique, mais j’explique que je n’en peux plus d’entendre dire que l’on ne fait rien et que l’Occident est coupable de polluer la planète. Je n’en peux plus d’entendre dire que l’on va vers l’effondrement climatique, parce que je n’y crois pas : c’est faux, nous sommes les meilleurs élèves au monde. Les émissions carbone ont baissé de 4,5 % en 2023. C’est formidable ! On devrait s’en féliciter tous les jours et avoir confiance en nous. Quand je dis cela, l’extrême gauche et les écolos radicaux déclarent que c’est une horreur et que je suis un suppôt du capitalisme… Il n’y a plus de discussion rationnelle et démocratique possible. Il faut combattre cela. Il ne faut rien céder à ce diktat.

J’étais à Moscou mi-mars : les Moscovites poussent tellement le chauffage dans leurs appartements, qu’ils ouvrent les fenêtres pour avoir de l’air quand il fait 0°…

Quand on regarde les émissions carbone des pays développés, elles sont revenues au niveau des années 70, et quand on regarde l’utilisation du charbon, nous sommes revenus au niveau de 1905. C’est formidable. Il faut s’en féliciter et ne pas céder à cet instinct révolutionnaire, un peu adolescent, qui considère qu’il faut balancer le capitalisme et la démocratie libérale. Ce qui est intéressant, c’est que mon livre trouve son public et les gens me disent qu’ils sont contents qu’on ne les engueule pas. Une dame m’a dit qu’elle a acheté une voiture électrique et maintenant elle découvre que les voitures thermiques sont plus efficaces… Il faut reprendre un peu de fierté.

Votre livre pourrait être un programme politique…

Il existe effectivement un champ politique pour des discours de confiance en l’avenir. D’ailleurs, dans le livre, je cite des discours parlementaires qui correspondent à mes idées. Je cite Tocqueville, Lamartine, Jacques Chaban-Delmas en 1969, et même l’appel du 18 juin du général de Gaulle. C’est incroyablement positif. C’est une projection de la France dans l’avenir qui est formidable.

Comment être crédible et redonner confiance aux Français, alors que notre pays est plutôt mal géré ? Regardez l’endettement public… Les mêmes ne peuvent pas nous dire que tout va très bien…

Vous avez raison. On a un énorme problème de finances publiques, on a des problèmes de services publics, que ce soit l’hôpital ou l’Éducation nationale. C’est vrai, il faut être lucide. Mais je dis que nous avons la capacité de régler ces problèmes. On peut réduire nos déficits publics, on peut réorganiser l’hôpital et on peut remettre l’éducation nationale à niveau. Ce ne sont pas des signaux définitifs de déclin. La France est un moteur à explosion et il y a les problèmes que vous évoquez. Cependant, c’est aussi un pays capable de se ressaisir très vite et qui est capable d’enchaîner les phases de déclin avec les phases de renaissance. Il ne faut jamais désespérer de la France. On est peut-être proche de quelque chose de positif. Il y a beaucoup de Français qui ont envie d’agir. Il y a beaucoup d’entreprises qui marchent bien. Il y a beaucoup de jeunes qui sont très créatifs… Je ne dis pas cela par bien-pensance, mais parce que nous avons une possibilité de rebond extraordinaire. Mais nous n’avons aucune incarnation politique pour résoudre cela.

Nous sommes aussi dans une civilisation de haine de l’autre : il suffit de se souvenir des débats sur la vaccination…

Parce que nous sommes dans le ressentiment et la jalousie. D’une certaine façon, l’antisémitisme qui progresse dans notre pays, comme dans d’autres pays dans le monde, est la pointe avancée de cette haine et de ce ressentiment. Israël suscite autant de haine parce que c’est la seule démocratie prospère du Proche-Orient. Vous savez bien que l’antisionisme est le faux-nez de l’antisémitisme.

Vous connaissez beaucoup de ministres : quels ont été leurs retours ?

Ce sont des retours toujours polis. C’est difficile à dire. Nous sommes dans une période de flottement politique. Le deuxième quinquennat n’est pas une réussite, il y a beaucoup de flottement. J’attends une reprise en main beaucoup plus forte des questions de sécurité, d’intégration et d’éducation. Les discours vont souvent dans la bonne direction, mais nous n’avons pas cette remise en main dont on aurait besoin. Le pouvoir en place est un peu usé et il y a beaucoup de fatigue. Mais, ce qui m’inquiète, c’est que l’horizon politique ne se dégage pas encore beaucoup à droite et au centre droit. C’est dommage, parce qu’il y a un boulevard politique.

Les politiques ont peur et, comme ils ont peur, ils sanctionnent, ils réglementent, ils nous infantilisent…

Ils ont peur aussi de leurs propres discours. On a de plus en plus peur d’affirmer nos idées, c’est effrayant ! C’est vrai des politiques qui prennent toujours mille précautions avant de dire quelque chose et c’est vrai aussi des entreprises. Quand j’entends des chefs d’entreprise s’exprimer dans les médias, souvent ce n’est pas intéressant, parce qu’ils ont peur de leurs salariés, ils ont peur des syndicats, ils ont peur des politiques, ils ont peur des actionnaires et des médias… Il y a beaucoup moins d’engagement sur les idées, parce que l’on a peur de choquer en permanence. Pascal Bruckner, dans son dernier livre, explique que la plaie de notre époque, c’est que tout le monde s’érige en victime, pour sa couleur de peau, sa religion ou en raison de l’oppression de tel ou tel. On est dans un discours de dénégation du droit des autres, car « comme je suis une victime, je dois avoir plus de droits. » Ce discours victimaire est un discours d’exclusion et il faut lutter contre cela.

Écrit par Rédaction

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