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Nicolas Saudray : « L’histoire n’est pas une œuvre de fiction, elle est une réalité vécue dans le passé. »

Nicolas Saudray a eu une carrière impressionnante : inspecteur des finances, directeur des Monnaies et Médailles, délégué général de l’Association française des banques, conseiller à la Cour de cassation, président de la Bibliothèque nationale de France. C’est aussi un romancier plusieurs fois récompensé (prix Méditerranée, prix Maurice Genevoix).

Son dernier livre est important car il invite chaque Français à réfléchir sur ses actions, qui auront un sens demain. Les découvertes, la création, la volonté, l’ambition, l’intention (bonne ou mauvaise), le hasard, les circonstances, l’amour même, façonnent ce monde. Libre à chacun d’agir ou de subir. Nicolas Saudray nous amène à prendre conscience du fait que notre quotidien sera, demain, l’Histoire.

« L’Histoire de France vécue par 12 familles : comment la petite histoire se marie à la grande » de Nicolas Saudray est publié chez Edisens.

Kernews : Vous êtes inspecteur général des finances, vous avez dirigé la Bibliothèque nationale, vous avez été directeur des Monnaies et Médailles, puis de la législation fiscale et vous avez été conseiller à la Cour de cassation. Quelles raisons vous ont orienté vers l’histoire ?

Nicolas Saudray : L’histoire, c’est presque ma première vocation, le reste est venu après. Donc, c’est un retour à mon premier destin. J’ai commencé par écrire mes réflexions sur le destin des civilisations et je me suis dit que je devais aller à l’autre bout de la lorgnette, c’est-à-dire étudier les familles qui fabriquent l’histoire. J’ai choisi de raconter l’histoire de 12 familles dont je descends. C’était pratique pour moi, puisque j’avais des sources et des documents. Ces familles sont extrêmement diverses sur le plan social, géographique et religieux, puisqu’il y a une branche protestante, et elles sont presque opposées au départ. Elles finissent par se réunir pour fabriquer un tissu social français. C’est ce qui m’a intéressé.

C’est aussi un message politique…

Oui, dans un sens extrêmement large. Il s’agit de faire en sorte que les Français d’aujourd’hui comprennent comment ils ont été façonnés par leurs ancêtres.

Cela signifie-t-il également qu’il soit possible de rassembler des familles issues de branches très différentes ?

Oui, mais il y avait quand même une vieille éducation chrétienne, c’est le ciment qui leur a permis de s’unir. Il y a de nombreux paysans, des meuniers, un tisserand et de la petite noblesse. Je descends d’un pasteur protestant du XVIe siècle, qui était l’un des fers de lance du calvinisme français à l’époque, et je descends aussi d’un prêtre catholique massacré en septembre 1792, avec quelques autres, et qui a été béatifié pour cette raison. Vous voyez la diversité…

Qu’est-ce qui fait la France ?

C’est d’abord l’union de toutes ces familles venues d’endroits divers. Paris a été le facteur de rassemblement de tout cela. Paris, c’est à la fois un bienfait et un grave défaut. Paris a aspiré les jeunes ambitieux venant de toutes les provinces et les a amenés à travailler ensemble. C’est un peu cela la France.

La France n’aurait jamais été la France sans Paris…

Paris a joué un rôle très important, pour le meilleur comme pour le pire. Alain Peyrefitte a écrit « Le Mal français », en soulignant que c’était Paris. Mais, en même temps, Paris a aidé la France à se doter d’une culture. Si l’on compare notre situation avec celle de l’Allemagne ou de l’Italie, ce sont des pays encore très divers et très éclatés. Il y a vraiment des différences de mentalité, ce qui n’est pas le cas en France.

Dans quelques générations, d’autres vont se retourner vers ce que nous faisons en ce moment. Peut-on avoir une approche différente en sachant que l’on écrit l’histoire de demain ?

Je crains que nos bons Français d’aujourd’hui n’aient pas tellement conscience de façonner l’histoire de demain. Ils votent en fonction de leurs intérêts ou de ce qu’ils croient être leurs intérêts. Malheureusement, cela a toujours été un peu comme cela. Jusqu’à présent, la France s’en est sortie, plus ou moins facilement, il y a eu une remarquable résistance des générations qui nous ont précédés, malgré les guerres et les épidémies. Mon livre est rempli de veuves et d’orphelins qui réussissent quand même à s’en sortir. Les femmes ont été particulièrement courageuses. Notre génération sera-t-elle capable d’en faire autant ? Surtout celle qui la suit ? La question se pose. Si nous sommes confrontés à de graves périls, manifesterons-nous la même résilience que nos ancêtres ? Ce n’est pas sûr.

Pour certains, la France n’est qu’une terre et, si cela va mal, on peut toujours se réfugier à Hong Kong ou à Dubaï…

Il y a une perte de solidarité qui est effrayante. Les Français d’autrefois étaient très débrouillards. Malgré toutes les règles qui les enserraient, ils arrivaient à vivre et à s’en sortir.

Comment expliquez-vous cette perte de sens et de débrouillardise ? Il y a une théorie visant à dire que l’on a sacrifié en 1870, en 1914 et en 1940 tous nos meilleurs gaillards… C’est à partir de là que l’on aurait tout perdu. Qu’en pensez-vous ?

C’est une explication partielle, mais véridique, car ce sont les meilleurs qui se font tuer pendant les guerres. Je donne quelques exemples avec la guerre 14-18. On y a perdu une grande partie de notre élite. Il y a aussi la question de la natalité, qui s’est effondrée très rapidement avant de remonter en 1946. Tout ceci explique le fait que la France n’est plus aussi brillante qu’elle ne l’était autrefois. Espérons que l’on pourra rattraper cela.

Dans votre famille, il y a eu un peu de tout, du prêtre au boulanger entrepreneur…

Oui, il y a des boulangers, des maçons ou des meuniers, en province comme à Paris. Le plus remarquable, c’était un protestant, fils d’un tisseur à Nîmes, qui est monté à Paris pour lancer une manufacture de cachemire. C’était l’un des pionniers du cachemire, à l’époque de Louis-Philippe, lorsque le cachemire était très à la mode. Malheureusement, après 1870, le cachemire a cessé d’être à la mode et la manufacture a dû être liquidée. Dans mon livre, il y a souvent des ascensions sociales, mais il y a aussi des descentes. Il ne faut pas oublier cela.

On parvient à retrouver beaucoup d’écrits sur la noblesse. Mais que sait-on des classes moyennes ou des classes populaires de l’époque ?

Il est plus difficile de trouver des traces. On a souvent des documents d’état civil, mais il y a aussi des traditions populaires et familiales. J’ai étudié de près toute une dynastie de boulangers, les Pharoux. Ils avaient une grande partie des boulangeries de l’ouest parisien, notamment à Auteuil, Chaillot et Passy. Parmi eux, certains étaient prospères, d’autres moins. L’un de mes ancêtres s’est installé comme boulanger sous le règne de Louis XVI, à la porte d’Auteuil. Il a trois enfants. Il meurt alors que les enfants sont encore très jeunes et son épouse se remarie avec l’ouvrier boulanger. Il lui donne quatre enfants et il meurt à son tour. La veuve, avec ses sept enfants, réussit à sauver tout cela en créant une hôtellerie et en la gérant de main de maître. Cela montre l’extraordinaire vivacité et résilience de ces gens qui avaient affaire à une adversité bien plus marquée que la nôtre.

Plusieurs théories peuvent s’affronter. Certains estiment que la naissance relève d’un hasard et que si l’on adopte un orphelin du fond de l’Afrique ou de l’Inde, il se comportera de la même façon que la famille adoptante. D’autres sont convaincus qu’il existe quelque chose dans notre ADN qui nous dépasse… Quelle est votre théorie ?

L’éternel problème est de savoir quelle est la part de l’hérédité et la part du milieu social, ou de la coutume. Bien sûr, il y a une part d’hérédité, mais les coutumes de l’ancienne France étaient très importantes. La coutume a discipliné et façonné tous nos ancêtres, notamment la vieille morale chrétienne. J’avais un arrière-grand-oncle, Paul Saudray, un jeune homme moderne avant 1900. Il aidait son père à faire fonctionner une entreprise d’exportation et il faisait son courrier lui-même avec sa machine à écrire. Il a été mobilisé en 1914. Il était fiancé, il a pressenti sa mort, il a laissé à sa fiancée une petite lettre pour ses parents et il a été tué. J’ai hérité de cette lettre et elle est très significative. Dans cette lettre, il écrit : « Mes chers parents, je vous remercie de l’excellente éducation que vous m’avez donnée. Je pars en état de grâce et je mourrai chrétiennement. » C’est magnifique et cela rend compte de toute une époque, de toute une éducation qui est en train de s’effriter, voire de s’écrouler.

À travers cette histoire de 12 familles françaises, vous nous permettez de comprendre que par nos actions nous faisons quotidiennement l’histoire et que nous avons en nous une partie de France. Donc, nous avons une responsabilité… 

Vous avez fort bien résumé ma démarche. L’histoire n’est pas une œuvre de fiction, elle est une réalité vécue dans le passé.

Une question hors sujet : vous avez beaucoup travaillé sur la question des éoliennes, que vous qualifiez de peste éolienne. Que pensez-vous de celles qui sont installées au large de notre presqu’île ?

J’ai vu ces éoliennes. Du côté de la Normandie c’est pareil. C’est terrifiant. Les élus locaux ont une énorme responsabilité, parce qu’ils n’ont pas compris et ils ont soutenu ces projets. C’est lamentable. Je fais partie d’un cercle d’études de haut niveau qui fait des études sur ce sujet et nous avons prouvé que la France pouvait se passer d’un supplément d’éoliennes en recourant de manière raisonnable au nucléaire, en prenant d’autres énergies renouvelables, comme la géothermie et le solaire. On arrive à répondre aux besoins de notre pays jusqu’en 2050. Donc, l’éolienne n’est pas un mal nécessaire.

Écrit par Rédaction

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