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Olivier Delavault : « Claude François est la tête de Turc de l’intelligentsia de gauche. C’est l’anti-Libé par excellence. »

Claude François est décédé le 11 mars 1978 et, à l’occasion du 45e anniversaire de sa mort, Olivier Delavault publie un livre dans lequel il analyse les chansons de Claude François : « En dehors de quelques énormes succès des années 60, du planétaire « Comme d’habitude », quelques chansons très connues des années 70 ont eu la particularité de donner l’image réductrice d’un chanteur « léger » à « paillettes-festives », la seule qui demeure dans les esprits. Cette caractéristique a engendré contre lui des formes de discrédit permettant à diverses intelligentsias de congédier le chanteur de toute respectabilité socio-artistique. C’est oublier un peu vite celui qui, dès 1962, dans le monde du pop-rock français, a été consacré idole aux côtés de Richard Anthony et Johnny Hallyday, avant d’aborder ensuite, avec talent et maîtrise, les rivages de la country, de la soul et du funk. »

Olivier Delavault rappelle que Claude François est aussi un symbole politique illustré par le titre de Libération « Claude François a volté ». Analyse : le lendemain de la mort du chanteur, la gauche perd les élections législatives et les journalistes de Libé se vengent en écrivant avec une forme de mépris : « L’idole de 39 ans des moins de 10 ans est mort électrocuté en changeant une ampoule ». Olivier Delavault analyse aussi le film « Podium » de Yann Moix. Le sosie de Claude François y apparait comme un beauf, cette France profonde méprisée par l’intelligentsia. Mais à la fin du film, quand il chante du Julien Clerc, symbole de la gauche bien-pensante, il retrouve grâce aux yeux de son épouse… Malgré tout cela, la marque Claude François a traversé le temps et, 45 ans après sa mort, il reste une star que toutes les générations connaissent.

« Claude François : L’intelligence populaire en chansons » d’Olivier Delavault est publié aux Éditions du Rocher.

Kernews : Claude François a commencé sa carrière dans la variété et il a très rapidement été influencé par le rock : quelles sont ses influences ?

Olivier Delavault : Il a été influencé par le rock, la pop et la country, toutes les musiques d’outre-Atlantique, puisqu’au départ il était batteur de jazz. Quand il était plus jeune, il tapait sur les darboukas dans les rues d’Ismaïlia avec ses petits copains égyptiens et cette période a été fondamentale. Ensuite, il est devenu batteur de jazz à Monte-Carlo. Il a travaillé au conservatoire, dans des orchestres très exigeants, et il a vraiment été à la bonne école. En tant que musicien, à la fin des années 60, on jouait partout et c’était vraiment une formation d’excellence. C’est ce qu’ont fait les Beatles qui ont fait de la scène partout, y compris dans des endroits pas possibles. Aujourd’hui, on fait croire aux jeunes qu’ils peuvent devenir John Lennon ou Elton John en un quart d’heure. C’est de l’escroquerie. Lorsque Claude est arrivé dans le paysage musical, en 1962, c’était la génération « Salut les copains » et il y avait deux artistes principaux, Richard Anthony et Johnny Hallyday. Le pionnier du rock en France, c’est Richard Anthony. Mais Johnny Hallyday avait un atout physique puisque Richard était appelé le Tino Rossi du twist, car il était un peu rond. Le vrai modèle de Claude François, ce n’était pas Johnny Hallyday, mais Richard Anthony, par la qualité de ses adaptations et de ses arrangements. On dit souvent que Claude François ne faisait que des adaptations de chansons américaines, mais tous faisaient cela. C’est de la désinformation. Il a eu de très grands paroliers, comme Vline Buggy, qui est à l’origine de « Belles, belles, belles ». À l’origine, cette chanson s’appelait « Rien, rien, rien » et elle était destinée à Lucky Blondeau. Claude est arrivé chez Vline en expliquant que cette chanson était un peu négative et qu’il fallait quelque chose qui sonne comme les cloches. Tout d’un coup, il a compris que cloches se disait « bells » en anglais et Claude s’est mis à fredonner « Belles, belles, belles ». Vline a tout de suite compris que ce gamin ferait une très grande carrière.

Cette carrière a connu des périodes très distinctes entre des mélodies originales et des œuvres issues des adaptations. Finalement, toutes ces chansons ont été des succès…

Le premier titre original de Claude était « Pauvre petite fille riche » en 1963. Après, beaucoup plus loin, il y a eu « Je sais » et « Combien de temps ». Il a quand même connu une période creuse entre fin 69 et début 71 avec l’arrivée de gens comme Jacques Dutronc, Michel Polnareff ou Antoine qui ont bousculé le Landerneau. Après, il y a eu l’arrivée de Michel Sardou, mais il n’est pas dans la sphère rock ‘n’roll et « Salut les copains ». C’est un artiste de variétés de haut niveau, comme Serge Lama, mais il n’a rien à voir avec la sphère de Claude François. Certaines reprises de Claude François sont passées inaperçues parce que cela venait d’artistes inconnus en France, comme l’adaptation d’un morceau du Steve Miller Band, « Going to the country », devenu « Hey ! Ho ! ». Dans le monde du rock, certains sont furieux parce que c’est Claude François qui adapte ce titre et d’autres trouvent génial que Claude François fasse connaître ce groupe. Il a un répertoire qui est traversé par des courants musicaux différents, mais l’ensemble est cohérent et, musicalement, tout cela est d’un très haut niveau sur le plan des arrangements.

 Au cours de son enfance, il a baigné dans la musique arabe classique : est-ce cela qui l’a influencé dans son obsession de perfection ?

Cela l’a beaucoup influencé. Il avait une très bonne oreille grâce à cela et il avait aussi cette rage de réussir. Son père ne voulait pas qu’il fasse ce métier. Or son père est mort sans qu’il puisse se réconcilier avec son fils. En 1955, Nasser le décore pour un championnat de course à pied, c’était presque une médaille olympique, ce qui explique d’ailleurs ses performances sur scène. Mais, un an après, l’Égypte de Nasser met les Français dehors, d’une manière extrêmement brutale. Ils se sont retrouvés dans la misère, en arrivant au port du Havre, dans le froid. Ils sont descendus dans le Midi avec l’espoir de retourner en Égypte. Mais cela n’a pas pu se faire. Claude François a fait différents métiers, comme employé de banque, standardiste dans un hôtel ou livreur. Il mangeait du pain dur trempé dans l’huile à même le sol, c’était la misère. Avec tout ce qu’il a vécu, c’était un énorme travailleur. C’est pour cela qu’il était très exigeant, c’était quelqu’un d’infernal. Mais tout cela se comprend. C’était un type très sévère, très cassant, mais très honnête. Je préfère cela au gars très aimable qui vous passe la main dans le dos et qui vous fait des crasses par-derrière.

Dans votre livre, vous expliquez qu’il avait une vraie conscience sociale, contrairement aux donneurs de leçons de gauche qui éprouvaient de l’aversion pour lui. Claude François était-il aussi un symbole politique, comme a pu l’être Michel Sardou à une certaine époque ?

Je pense que c’est plus clivant chez Claude François, contrairement à ce que l’on pourrait croire. C’est pour cela que je parle d’un rebelle astucieux. C’est quelqu’un qui a toujours voulu remettre l’église au milieu du village. Aujourd’hui, la jeune génération ne sait absolument rien, que ce soit dans le cinéma, le théâtre ou la chanson. Claude François est la tête de Turc de l’intelligentsia de gauche. C’est l’anti-Libé par excellence. Il ne faut pas oublier que le journal Libération a titré le lundi de sa mort « Claude François a volté ». Il y a derrière ce titre quelque chose de très politique qu’il faut expliquer. La gauche a perdu les élections législatives le dimanche 12 mars 1978, et les gens de Libé – comme tous ces universitaires qui savent tout et qui donnent des leçons de morale à tout le monde – ont voulu se venger d’une façon un peu minable. Un chanteur est mort, ils ne l’aiment pas, ils lancent une grosse vanne… C’est aussi une manière pour eux de se venger de la défaite des législatives. Il faut aussi savoir que dès que Claude François faisait des chansons intelligentes, cela ne passait jamais la ligne Maginot de l’ascension médiatique. C’était inacceptable pour l’intelligentsia. Regardez le film « Podium » : le sosie qui fait Claude François est réhabilité en retrouvant son statut de père et de mari, parce qu’il abandonne le monde de Claude François, selon l’écrivain et cinéaste Yann Moix, un monde de pauvres gens, celui de la France profonde que l’on méprise, et le sosie est donc réhabilité en allant vers l’univers de Julien Clerc. Il y a toute une symbolique politique derrière, car Julien Clerc est le symbole de l’ouverture, de la bien-pensance et du lien social. Cette mentalité est absolument insupportable !

Aujourd’hui, 45 ans après sa disparition, tout le monde connaît Claude François, même les jeunes d’une vingtaine d’années. Comment expliquez-vous qu’il soit ainsi entré dans la légende ?

C’est comme pour une bonne paire de chaussures : la qualité dure longtemps ! C’est la transmission d’un mythe. On le voit danser avec les Clodettes, cela le dessert dans certaines sphères encore aujourd’hui, parce que c’est le type avec des paillettes. Mais il a aussi fait de très grandes chansons qui sont souvent occultées, notamment au milieu des années 60. C’est un nom qui sonne, c’est une marque qui reste, et puis il y a aussi l’emblème de Flèche, sa maison de disques. Il y en ce moment des remix qui sortent et le sigle reste. Il a voulu être homme d’affaires, avec une maison de disques, une agence de mannequins, des parfums et des journaux, pour prouver à la société qu’il pouvait être autre chose. Il se sentait tellement mal aimé et méprisé par l’intelligentsia, qu’il a voulu prouver qu’il était capable de faire autre chose. À la fin, les collaborateurs de Claude me disaient : « Il doit faire attention, parce qu’il dépense un argent fou dans ses concerts… » Claude voulait faire plaisir à son public, ce n’était pas un homme d’affaires exceptionnel. C’était un artiste, il avait la musique dans le sang. Je crois qu’à la fin, il aurait laissé tomber les affaires et qu’il aurait sans doute confié cela à quelqu’un comme Alain Dominique Perrin qui a été le PDG de Cartier.

Écrit par Rédaction

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