Olivier Vial, ancien membre du Comité consultatif auprès du Haut Conseil de l’Éducation, est le directeur du CERU (Centre d’études et de recherches universitaire), un laboratoire d’idées indépendant. Cette structure s’appuie sur l’expertise d’universitaires pour éclairer l’actualité et proposer des solutions concrètes aux défis politiques, géopolitiques, sociétaux, scientifiques et technologiques.
Kernews : Quelle que soit l’époque, on a entendu les mêmes propos sur la jeunesse de la part des adultes, notamment sur la radicalisation. Finalement, il y a toujours eu trois blocs : un bloc de droite très militant, un bloc très à gauche – celui qui a fait Mai 68, par exemple – et un bloc que l’on pourrait situer entre les deux, souvent proche du pouvoir en place. C’étaient ceux qui soutenaient le général de Gaulle en 68 et sans doute les jeunes macronistes ou les jeunes LR aujourd’hui. Sommes-nous dans le même paysage, ou pensez-vous qu’il y ait eu une évolution ?
Olivier Vial : Ce que vous décrivez était vrai dans les années 70 et dans les années 80, mais il y a eu une évolution dans les années 90 et 2000 avec une homogénéisation. Les jeunes étaient différents, mais ils étaient de plus en plus proches politiquement de leurs parents. J’avais fait en 2007 une étude qui démontrait de vraies évolutions sur la capacité des jeunes à plébisciter l’autorité ou à croire en l’armée comme une institution forte. Depuis, on observe un nouveau mouvement qui bouleverse tout cela. Aujourd’hui, on retrouve effectivement ce que l’on a connu dans les années 70, avec un clivage très fort entre les jeunes. Il y a des choses qui ont évolué cependant, notamment sur la question de l’immigration et de la sécurité, et les jeunes sont moins à gauche que leurs parents à leur âge. Cependant, il ne faut pas conclure qu’il s’agisse d’une droitisation de la jeunesse car, malgré ces sujets qui sont plus consensuels, on observe des clivages très importants sur d’autres critères, notamment sur l’islam et la laïcité. Sur ces sujets, il y a un clivage énorme entre les plus de 50 ans et les moins de 25 ans. Sur la question du voile à l’université, 80 % des plus de 50 ans sont contre, mais 56 % des moins de 25 ans acceptent son port. C’est un clivage très fort que l’on retrouve sur d’autres sujets, comme l’écologie et les questions climatiques. Il y a donc un divorce qui se produit entre les générations. Ce n’est pas nouveau dans l’histoire, cela a déjà existé, mais c’est une rupture par rapport aux tendances des années 2000.
Il y a environ 25 % des jeunes qui sont dans une logique réellement catastrophiste, en étant convaincus qu’à très court terme la planète ne pourra plus supporter les catastrophes qui arrivent
À l’époque de SOS Racisme, puis dans les années 90, tous les jeunes étaient sur cette même ligne. Or, ils se sont droitisés au fil du temps et beaucoup d’entre eux, qui sont quadragénaires aujourd’hui, votent pour le Rassemblement national. Peut-on penser que ce sera la même chose ?
Il est très difficile de répondre à cette question, car les thématiques sont différentes. Ce que vous dites est vrai : on a une approche plus radicale, quand on est jeune, sur certaines thématiques et l’on donne souvent l’exemple de la question du poids des impôts. Pour un jeune qui ne paie pas encore des impôts, ce n’est pas une question majeure, mais cela devient une question importante avec l’âge… Malgré tout, il y a des questions culturelles. La question de l’identité était un sujet proche de la droite ou de l’extrême droite. Aujourd’hui, c’est une question qui est majoritairement de gauche et d’extrême gauche. La définition est très différente par rapport à il y a quelques années. En effet, aujourd’hui, on parle de genre, ce n’est plus simplement masculin ou féminin, il y a plein d’identités possibles liées au genre ou à la sexualité. Il est très fréquent de trouver des jeunes qui se définissent comme polyamoureux, cela fait partie du quotidien de la jeunesse. Le rapport au travail a aussi beaucoup évolué. Sur l’écologie, il y a une vraie fracture, cela ne concerne pas toute la jeunesse, mais une partie non négligeable et il y a environ 25 % des jeunes qui sont dans une logique réellement catastrophiste, en étant convaincus qu’à très court terme la planète ne pourra plus supporter les catastrophes qui arrivent. Donc, ils se radicalisent énormément en étant dans une forme de légitime défense par rapport aux générations précédentes qui seraient responsables. C’est un marqueur qui risque de durer, parce que cela change leur rapport à la consommation ou à la vie de famille. C’est une minorité, mais il y a des jeunes qui prennent l’engagement de ne pas avoir d’enfants. C’est quelque chose qui se développe en France. Il y a aussi des jeunes filles de 20 ans qui veulent se faire ligaturer les trompes – cela devient même un problème de santé publique – pour ne pas faire d’enfants dans un monde qu’elles jugent bientôt fini. Je ne vais pas parler de confrontation, mais de séparatisme, car petit à petit on risque de ne plus se comprendre avec deux mondes parallèles.
L’objectif est de rendre la langue neutre pour qu’il n’y ait plus du tout de différences entre les hommes et les femmes
Quels sont les sujets qui vous inquiètent le plus pour cette rentrée ?
Aujourd’hui, il y a la question de l’écriture inclusive, c’est un cas d’école. Nous avions alerté les Français sur ces questions en 2012 et tout le monde disait que cela n’arriverait jamais en France… Aujourd’hui, les universités utilisent massivement l’écriture inclusive et il y a de plus en plus d’entreprises qui sont bousculées, avec même des publicités qui commencent à être écrites en écriture inclusive. Il faut savoir que c’est d’abord un projet politique qui vise à bouleverser l’organisation de la société en modifiant le langage. Les Français pensent que c’est simplement une histoire de. e ou. es : en réalité, c’est beaucoup plus global et l’on voit déjà que c’est une victoire pour les militants de l’écriture inclusive, qui passent maintenant à la phase 2 qui consiste à créer des pronoms neutres. C’est une manière de s’adresser à des gens dont on n’est pas sûr de l’identité. Il y a 20 ans, il suffisait de voir physiquement quelqu’un pour déterminer son genre. Aujourd’hui, puisque le genre est d’abord déclaratif, avant de pouvoir dire Monsieur à quelqu’un que l’on a en face de soi, il faut être certain que cette personne se revendique d’abord comme un homme. Si l’on ne pose pas la question, on commet le crime de mégenrer quelqu’un en lui attribuant un genre qu’il ne revendique pas. C’est quelque chose qui se développe très vite. Une plate-forme comme LinkedIn offre la possibilité de donner son prénom et son pronom. J’ai assisté à des auditions au Sénat où certaines organisations indiquent le pronom à côté du prénom et vous avez « Albert – Il » ou « Albert – Elle ». Cela permet de savoir comment on doit s’adresser à la personne. Ce n’est que le début, car aujourd’hui, vous avez la grammaire queer qui est enseignée à la Sorbonne… Ce qui est amusant, c’est qu’au début les militants de l’écriture inclusive nous ont dit que c’était un moyen de rendre plus visibles les femmes dans la langue, car les règles passées étaient machistes, ce qui historiquement n’est pas vrai. Or, aujourd’hui, c’est le contraire qui est en train de se passer, puisque l’objectif est de rendre la langue neutre pour qu’il n’y ait plus du tout de différences entre les hommes et les femmes dans la langue. On est en train de créer des mots totalement neutres : par exemple, on ne dit plus « certains » ou « certaines », mais « certans ». Au lieu d’écrire les Français ou les Françaises on écrit Françaix. C’est ce qui est enseigné à la Sorbonne…
Il y a des mouvements jeunes, mais aussi avec de vieux militants d’extrême gauche, qui s’orientent vers des actions de sabotage
Il va y avoir un choc culturel : demandez donc dans un pays arabe ou africain à un grand gaillard en face de vous si vous devez l’appeler Monsieur ou Madame, vous allez certainement recevoir son poing dans la figure !
Effectivement, il va y avoir un choc culturel. Mais c’est quelque chose qui se développe très rapidement en France. Une circulaire a été signée il y a 2 ans par Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, pour demander aux enseignants d’appeler les enfants par le pronom et le prénom qu’ils choisissent, sans avoir besoin de passer par l’état-civil. Il faut comprendre que lorsque l’on parle de l’écriture inclusive, on parle de tout cela, et pas simplement du. e ou du. es. Dans la grammaire, à travers la règle de proximité, on peut accorder les adjectifs comme on le souhaite. Donc, le français n’est plus une langue commune. Elle devient très idéologisée et la façon dont vous parlez permet d’afficher une idéologie. Cela rend l’espace public beaucoup plus conflictuel et, même sur des choses toutes bêtes, comme saluer quelqu’un, vous politisez cet acte de civilité. On a l’impression que ce sont des choses anodines, mais cela bouleverse notre façon d’échanger au quotidien. Nous travaillons sur ce sujet depuis plus de 10 ans et l’on voit comment cela se répand, y compris dans les entreprises et dans les administrations. Ce n’est pas anodin ! La deuxième chose qui nous inquiète, c’est la montée de la radicalité et pas simplement chez les jeunes. Cela concerne une toute petite partie de la population, particulièrement sur les sujets environnementaux. Cela nous fait craindre des actions violentes et de terrorisme. On a des universitaires qui mettent de l’huile sur le feu, en légitimant le recours à la désobéissance civile ou à l’action directe pour contraindre le monde à changer. Certains évoquent des actions de sabotage ou de harcèlement. Il y a des mouvements jeunes, mais aussi avec de vieux militants d’extrême gauche, qui s’orientent vers des actions de sabotage.
Sur les campus, on observe que le niveau de violence est en train de remonter.
Certes, mais à une certaine époque, quand on parlait de la malbouffe, il y avait aussi des actions de sabotage contre des McDonald’s…
C’est vrai, cela a toujours existé. Mais on observe un changement de radicalité. Ainsi, des gens ont attaqué un train pour vider une cargaison de plusieurs centaines de tonnes de céréales, alors qu’il y a une crise alimentaire importante. Ce sont des choses qui sont coordonnées avec beaucoup de monde. Il y a quelques semaines, il y a eu des coupures de câbles de réseau Internet, sur plusieurs lieux, en même temps. Donc, ce n’est plus un petit mouvement. Tout cela s’inscrit dans un schéma qui se rapproche de l’action terroriste. Sur les campus, on observe que le niveau de violence est en train de remonter. Ce n’est pas encore le niveau de violence que l’on a connu dans les années 70, mais malgré tout il y a des mouvements antifas qui sont très violents. Sur la méthode, on voit bien aussi que nous ne sommes plus dans le même monde. Il y a toujours eu de la violence : or, aujourd’hui, cela ne se passe plus sur les campus, mais parfois à domicile, avec des militants qui suivent des personnes, qui fliquent les gens… C’est une sorte de police parallèle. On a un mouvement d’antifas qui s’appelle « La Jeune Garde » et qui revendique le fait de ficher tous leurs opposants. On est dans la préméditation et dans l’organisation de guet-apens pour faire monter le degré de violence.