Le livre de Jacques Baud est numéro un des ventes depuis plusieurs semaines. Jacques Baud est colonel, ex-agent des services secrets suisses et expert en armes chimiques et nucléaires. Il a été, entre autres, chef de la doctrine des opérations de maintien de la paix des Nations Unies à New York. Il estime que si Israël gagne cette guerre sur le plan tactique, ce pays la perd politiquement.
Cependant, il explique surtout les origines de ce conflit en se basant sur le droit international : « J’ai passé plusieurs années au service des Nations unies. J’ai l’habitude de lire les résolutions des Nations unies et c’est le point de départ de ma réflexion sur ce conflit palestinien. Dès que l’on entre dans la question de savoir qui a tort ou qui a raison, on est dans une discussion qui ne se finit jamais. Mais dès que l’on aborde le droit international, on est obligé de constater qu’il y a des règles avec des résolutions qui sont très clairement adressées aux protagonistes. On arrive donc à avoir un regard beaucoup plus objectif sur ce conflit alors que, dans les médias traditionnels, il est souvent traité de manière émotionnelle. On essaye toujours de faire blanc ou noir, un gentil et un méchant, avec le risque d’avoir une mauvaise appréciation de la nature du conflit. Donc, on finit par entériner des injustices, et c’est ce que l’on fait depuis 75 ans avec les Palestiniens. Donc, au lieu d’avoir un conflit qui aurait dû être résolu par les innombrables résolutions des Nations unies, cela empire, et le 7 octobre a été la pointe de l’iceberg. Donc, il faut prendre le problème à bras-le-corps en essayant de mettre en vigueur ce que le Conseil de sécurité des Nations unies a déjà décidé. »
Pourtant, c’est quand même une organisation terroriste, avec des combattants habillés en civil qui ont attaqué d’autres civils le 7 octobre dernier. Jacques Baud, de son point de vue, entend d’abord rappeler la signification du terrorisme : « En France, la notion de terrorisme est particulièrement politique. Comme en Israël, c’est un terme que l’on utilise à des fins strictement politiques. On n’essaye pas de comprendre ce qu’est le terrorisme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France est victime du terrorisme, parce que l’on n’a jamais vraiment défini le problème. Objectivement, même si les Palestiniens ont utilisé le terrorisme comme méthode, il n’en demeure pas moins que leur mouvement est un mouvement de résistance, c’est défini dans le droit international à travers plusieurs résolutions des Nations unies, qui légitiment le droit des Palestiniens à résister à l’occupation israélienne. C’est un élément parfaitement objectif. La question des uniformes a déjà été largement débattue dans les années 70, lors du conflit vietnamien notamment, et il y a eu dans les conventions de Genève des amendements pour donner une légitimité à une organisation de résistance qui fonctionne sans uniformes. Donc, ce n’est pas une armée. Je rappelle que les résistants français n’avaient pas d’uniformes, donc on peut retourner le problème dans ce sens. Depuis les années 70, avec les protocoles additionnels des conventions de Genève, il est légitime qu’un mouvement de résistance soit au cœur d’une population. La résistance indique une finalité, alors que le terrorisme définit une méthode d’action. Par conséquent, vous pouvez être résistant et terroriste en même temps. Ensuite, les Américains, qui étaient l’objet d’attentats à la bombe régulier en Irak, n’ont pas considéré ces attentats comme terroristes. Les méthodes peuvent s’apparenter au terrorisme, mais dès que c’est dirigé contre une puissance d’occupation, ce n’est plus du terrorisme. D’ailleurs, les Américains n’ont pas déclaré les talibans comme terroristes. Aussi, en ne déclarant pas une organisation comme terroriste, vous ouvrez une porte de négociations. Les Israéliens désignent la résistance palestinienne comme terroriste, en ne faisant aucune distinction entre les mouvements, pour éviter de négocier avec eux. C’est exactement le dilemme dans lequel nous nous trouvons. Or, le Hamas a été un mouvement terroriste, mais, depuis les années 2000, depuis qu’il est au pouvoir à Gaza, il a décidé de s’orienter vers une voie politique. Sur la question des tirs de roquettes, c’est une réponse systématique aux frappes israéliennes dans la bande de Gaza, contre la population civile. »
Il ajoute : « Nous avons pris les frontières d’Israël comme des frontières données, alors que la résolution 181 des Nations unies avait proposé de partager la Palestine entre un État juif et un État arabe, ce sont les termes de la résolution, avec un territoire sous gouvernance internationale qui était Jérusalem. Dans cette résolution, il aurait dû y avoir un référendum populaire en Palestine, puisque l’État de Palestine existait depuis 1921. Il aurait fallu abolir cet État de Palestine pour créer ensuite trois États, avec Jérusalem comme entité indépendante, et c’est en vertu du droit à l’autodétermination des peuples que les populations juives et arabes auraient dû se prononcer. En 1947, les juifs ont très bien compris, alors qu’ils représentaient 30 % de la population de Palestine, que la vision arabe aurait pris le dessus. C’est la raison pour laquelle a commencé cette guerre dès le début de l’indépendance d’Israël en 1948. Donc, le droit n’a pas été respecté et, même les frontières que nous acceptons aujourd’hui de facto sont simplement constatées. Donc, quand les Palestiniens estiment que toute leur terre est occupée, on n’a jamais essayé de mettre de l’ordre dans tout cela et on a finalement admis qu’Israël était la terre que l’on peut voir sur toutes les cartes. Il ne s’agit pas d’être pro israélien, ou pro palestinien, pour l’un ou contre l’autre, il suffit simplement de se déterminer en fonction du droit international. Toutes les avancées d’Israël ont été condamnées à l’ONU. La résolution 242 dit bien que ces territoires ont été acquis illégalement. »
Pourtant, de nombreuses frontières se sont forgées, notamment après des guerres, à l’époque où le droit international n’existait pas : « Cette vision remettrait en cause toutes les frontières en Afrique. On tombe dans une discussion interminable. Les frontières rectilignes en Afrique ne respectent pas l’histoire des pays. C’est d’ailleurs ce qui a déclenché toutes les guerres. Quand on a fait tomber Kadhafi, on a ouvert le robinet pour que les tribus commencent à avoir des prétentions sur leurs territoires traditionnels. Aujourd’hui, on a des États qui coupent des peuples en deux. Israël n’a pas été créé par les mouvements de l’histoire, comme en Europe, puisque ce sont les Nations unies qui ont décrété qu’il pouvait y avoir un État juif. Les Nations unies ont ouvert la porte au fait que l’on puisse prendre une terre à quelqu’un pour la donner à quelqu’un d’autre. »
« Opération déluge d’Al-Aqsa : la défaite du vainqueur » de Jacques Baud est publié chez Max Milo.