Le docteur Pascal Chaine, qui habite à La Baule, est spécialisé en neurosciences. Membre de la Société française de neurologie et ancien chef de clinique et neurologue à l’hôpital Lariboisière, il a accompagné durant trente ans ses patients. Aujourd’hui jeune retraité, c’est à leur demande que Pascal Chaîne a décidé d’écrire un livre pour partager ses observations et son expérience médicale. Il a vu ses patients partir à la retraite, il a écouté leurs angoisses et leurs joies, il les a suivis après ce changement de vie. C’est une étape qui peut faire peur, qui peut générer solitude, ennui et dépression… Alors, comment se préparer à sa retraite dans de bonnes conditions ? Tel est le thème de l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la sortie de cet ouvrage.
« N’ayez plus peur de la retraite » du docteur Pascal Chaine est publié aux Éditions Privat.
Beaucoup de gens savent qu’il faut continuer d’avoir des occupations lorsque l’on prend sa retraite. Ils se fixent des règles, mais on s’aperçoit qu’ils ne les respectent pas toujours. On voit aussi des personnes vieillir très vite dès qu’elles abandonnent toute activité… L’image du couple de retraités heureux qui va au golf et qui fait des voyages, c’est vraiment une minorité…
Pascal Chaine : Justement, c’est ce qui m’a poussé à écrire ce livre. J’ai été confronté à beaucoup de patients qui venaient de prendre leur retraite et ces gens, qui n’avaient pourtant pas de problèmes de santé, ou de problèmes financiers, culpabilisaient. On observe cela beaucoup plus chez les hommes que chez les femmes. J’ai vu des gens déprimer à l’idée d’être inactifs. Chez les femmes, les choses se passent mieux, parce qu’elles sont sans doute moins investies dans le pouvoir ou dans leur profession. Les femmes trouvent de nombreuses nouvelles activités et elles sont contentes. Chez les hommes, c’est différent.
Que pensez-vous de ceux qui estiment qu’il ne faut jamais s’arrêter ?
Il faut continuer à être productif. On a enfin du temps libre, c’est important, mais il faut faire des choses et produire, que ce soit pour soi ou pour les autres. La moitié des maires en France sont des retraités, donc on peut faire des choses pour sa commune ou pour des associations. Il est important de maintenir un lien social et de produire. Il est essentiel de réfléchir sur ce que l’on va faire à la retraite et il est important de s’engager avant de prendre sa retraite.
Parce que l’on ne se rend pas compte à quel point on peut devenir « hors circuit » dès lors que l’on est en retraite…
Oui, il faut avoir cela en tête. Bien entendu, il ne faut pas partir sur des projets complètement fous, comme faire le tour du monde à la voile, car on peut être déçu. Mais, dans les années qui précèdent la retraite, il faut préparer ce que l’on veut faire et savoir avec qui.
Beaucoup de gens ne perçoivent pas à quel point leurs réseaux vont disparaître : on ne vous répond plus quand vous êtes à la retraite…
Il y a une perte de pouvoir, une perte narcissique. On ne reçoit plus de mails, le téléphone sonne moins souvent. Cela concerne toutes les catégories de la population. Un artisan est toujours content d’expliquer à son apprenti comment il doit travailler, mais du jour au lendemain on s’aperçoit que l’on n’est plus rien. Il ne faut pas oublier que l’on est associé à son travail tout au long de sa vie et la première question que l’on vous pose est toujours : « Que faites-vous dans la vie ? » À partir du moment où vous êtes retraité, il y a une culpabilité. Il faut préparer ce changement d’image et se dire que l’on n’est pas rien, on reste soi.
Je fais abstraction des métiers difficiles, mais il y a beaucoup de professions où l’on peut continuer de travailler très longtemps après l’âge légal de départ à la retraite…
On voit cela chez les médecins, les architectes, les psychanalystes, les comptables… Il ne faut absolument pas que la retraite soit obligatoire. Malheureusement, pour les gens qui sont dans les entreprises ou dans les administrations, ils n’ont pas le choix. Ils ont l’impression d’être mis de côté par les plus jeunes et cela favorise un sentiment de déprime.
Peut-on deviner l’espérance de vie d’une personne en fonction de son organisation au moment de son départ en retraite ?
L’hygiène mentale et l’hygiène de vie sont essentielles. Je parle beaucoup de cela dans mon livre. La retraite nous permet d’avoir du temps pour soi, mais aussi pour s’occuper de sa santé, sans que cela devienne obsessionnel. La retraite arrive à 60 ou à 65 ans, c’est un âge où l’on est plus vulnérable. J’insiste beaucoup sur les changements de santé, la nécessité de faire un bilan de santé et, surtout, faire de la prévention. Par exemple, il faut savoir reconnaître les signes d’un infarctus. Si quelqu’un n’arrive plus à parler pendant deux minutes, cela ne vient pas du ciel, il doit consulter très vite. J’observe aussi que les femmes sont beaucoup moins douillettes que les hommes. Pour les infarctus, les femmes appellent beaucoup plus tard quand il s’agit d’elles-mêmes que quand il s’agit de leur mari. Les maris s’inquiètent beaucoup plus tard lorsque les femmes ne s’inquiètent pas et le SAMU vient moins vite. Il faut savoir reconnaître quand cela ne va pas, il faut faire de la prévention. Il y aurait beaucoup moins de mortalité si la prévention du cancer du côlon ou du cancer du sein était bien faite. Il faut aussi savoir stimuler sa mémoire, c’est très important. La recette est simple : il faut s’émerveiller. La meilleure prévention de l’Alzheimer, c’est de toujours s’émerveiller !
On croise parfois des gens de 50 ans qui sont déjà très vieux, parce qu’ils n’ont plus de projets, mais on voit aussi des personnes de 70 ans qui ont une énorme envie de vivre et qui sont en pleine forme…
Vous avez tout à fait raison. Il y a des gens de 50 ans qui sont vieux, qui râlent, qui s’ennuient, qui sont dans une vie de couple qui n’est pas extraordinaire, ces gens ne font plus rien… C’est pour cela qu’il est important de toujours avoir des projets et de faire des choses. Le lien social est essentiel. Regardez les artistes ou les politiques !
Quelqu’un comme Jacques Séguéla, à presque 90 ans, continue toujours de travailler…
C’est très important, cela booste. Cela permet d’avoir toujours plein de projets et, surtout, d’entretenir un lien social. On a fait des études sur les gens qui perdent la tête. On s’est demandé s’ils perdaient la tête parce qu’ils ne voyaient plus personne, ou s’ils ne voyaient plus personne parce qu’ils perdaient la tête. Or, toutes les études ont démontré que les gens perdent la tête lorsqu’ils ne voient plus personne. L’isolement est une catastrophe, tout comme le fait de ne plus produire.
Je vais vous citer l’exemple d’un monsieur que j’ai bien connu : Alain Griotteray. Il était député et maire de Charenton. Il était en pleine forme. Or, lorsqu’il a été battu en 2002, à 79 ans, il a très vite vieilli. Et il est mort à 85 ans. Le contraste entre l’homme actif de 79 ans et le retraité octogénaire était saisissant, tant sur le plan intellectuel que physique… Cela m’a toujours marqué et fait comprendre qu’il ne fallait jamais s’arrêter…
C’est une leçon de vie. C’est pour cette raison qu’il faut préparer sa retraite car, lorsque les choses arrivent brutalement, entre la perte narcissique et la perte de pouvoir, et que l’on se sent inutile, on tombe très vite malade. Tant que l’on est stimulé, on tient.
Il y a tout un chapitre de votre livre sur la sexualité…
La sexualité change à partir de la soixantaine. Elle n’est plus ce qu’elle était à 30 ans, mais elle ne disparaît pas pour autant, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Simplement, elle est différente. On est moins dans la performance et on est davantage sur la sensualité. C’est vrai, à 65 ans les érections ne sont plus ce qu’elles étaient, mais les hommes consultent très peu, alors que les traitements marchent. Les gens abordent cela avec fatalisme. C’est un sujet tabou. C’est comme le fait de moins bien entendre : il y a beaucoup de gens qui entendent moins bien à 65 ans et qui abordent cela comme une fatalité, sans se faire appareiller. Mais si l’on s’en occupe, tout doit pouvoir continuer à fonctionner.
La grande inquiétude porte évidemment sur le cerveau : comment l’entretenir ?
Quand vous avez la maladie d’Alzheimer qui vous tombe dessus, si vous luttez, vous pouvez la retarder un peu, mais elle vous tombe quand même dessus. Quand on a moins de mémoire à la soixantaine, ce n’est pas Alzheimer : simplement, on est stressé, on se concentre moins, on fait beaucoup de choses à la fois, on est très anxieux… Il ne faut pas oublier que l’anxiété favorise énormément les trous de mémoire. Il ne faut pas paniquer, il faut simplement prendre le temps. On retient moins les choses depuis que l’on est aidé par ce que l’on appelle la mémoire externalisée, c’est-à-dire le téléphone portable.
Est-il important de fréquenter des jeunes lorsque l’on a atteint un certain âge ?
Si l’on peut fréquenter des jeunes, c’est idéal. La mixité sociale est très importante pour entretenir sa santé. Le lien social, particulièrement avec les plus jeunes, est stimulant. Il faut éviter de rester dans son petit monde.