Un professeur guérandais signe un roman satirique sur la morale dominante dans l’Éducation nationale.
Patrice Jean habite à Saillé, il est professeur au lycée Aristide Briand à Saint-Nazaire et il vient de publier « Rééducation nationale », un roman satirique sur les idéologies, la morale dominante et les théories pédagogiques de l’Éducation nationale. Patrice Jean est professeur de lettres modernes. Il a publié 7 romans, dont 4 aux éditions Rue Fromentin. Son dernier ouvrage, « Le parti d’Edgar Winger » (Gallimard) a reçu le Prix des Hussards en 2022.
« Rééducation nationale » de Patrice Jean est publié aux Éditions Rue Fromentin.
Kernews : Votre livre a été écrit il y a six ans et il est édité seulement maintenant. Or, il est incroyablement d’actualité : aviez-vous vu poindre cette montée du wokisme ?
Patrice Jean : C’était déjà un peu le cas à l’époque. Il manque cependant la question du télé-enseignement, qui est apparu avec la Covid. J’observe l’évolution de la société, mais si l’on prend « Rééducation nationale », il y a évidemment de l’exagération et de la caricature. J’avais envie de m’amuser pour aborder ce milieu que je connais bien, puisque j’enseigne depuis 30 ans. Je ne voulais pas écrire un témoignage, parce que cela existe déjà. Je ne voulais pas écrire un essai non plus. Mais, c’est vrai, tout ce qui est féminisme, antiracisme et développement durable, tout cela est extrêmement présent au sein de l’Éducation nationale.
L’enseignement et l’éducation, ce n’est pas la même chose : vous aviez la vocation d’être un enseignant, or vous vous apercevez que vous êtes de plus en plus un éducateur…
C’est vrai. Chaque génération se demande ce qu’elle va transmettre aux générations futures et il y a forcément de l’idéologie dans l’éducation. Il y avait l’idéologie avec les hussards noirs, mais ce n’était pas la même qu’aujourd’hui, il fallait que chaque enfant connaisse bien les tables de multiplication et les grands écrivains français. Aujourd’hui, l’idéologie s’est déplacée vers le développement durable ou l’antiracisme. Le corpus à transmettre est toujours discutable. Pour le bac, il y a maintenant un corpus obligatoire. Il y a quelques années, nous n’étions pas toujours d’accord entre collègues sur les auteurs à transmettre.
Certains estiment que Molière est devenu beaucoup trop compliqué…
Ce sont des choses que l’on peut entendre. Je ne suis pas du tout d’accord, c’est de plus en plus compliqué parce que c’est une langue qui est de plus en plus éloignée de celle des élèves, comme Balzac par exemple.
Derrière Bruno, le héros du livre, y a-t-il du Patrice Jean ?
Très peu. J’ai voulu prendre un personnage très différent de moi. Bruno a une trentaine d’années quand il entre dans l’Éducation nationale. Il est très enthousiasmé, ce qui était mon cas d’ailleurs. Mais je me suis rendu compte assez rapidement qu’il y avait des choses qui ne fonctionnaient pas. Il y a les programmes qu’il faut respecter, les parents pensent beaucoup aux examens… Après, il y a beaucoup d’idéologie.
Bruno découvre la salle des professeurs et il a le sentiment d’être dans un club du VVF…
C’est vrai. C’est le jour de la pré-rentrée et tout le monde est souriant et bronzé. Certains arrivent en tongs, mais c’est la pré-rentrée. Cela dit, les professeurs sont plutôt détendus vestimentairement parlant…
Vous décrivez vos collègues comme étant tous des auditeurs de France Inter…
C’est vrai que beaucoup de profs écoutent France Inter et il m’arrive aussi de l’écouter. Ce sont aussi des lecteurs de Télérama… Je ne voudrais pas donner l’impression de taper sur des collègues, car il y a quand même beaucoup de sérieux chez les professeurs. Ils ont vraiment à cœur de transmettre des connaissances et de faire pour le mieux. Il y a du dépit parce que, parfois, je n’arrive pas à transmettre l’amour que j’ai pour la littérature, mais c’est vrai qu’il y a aussi de l’idéologie. Je vais vous donner un exemple. Il y a en ce moment une exposition sur les frontières dans mon collège et cette notion de frontières est très critiquée, parce que c’est fasciste… Chaque fois qu’il y a une exposition ou une intervention, on a le sentiment que France Inter débarque ! Par exemple, il y a un auteur, Laurent Gaudé, qui est un romancier très estimable. Il a écrit un livre sur les migrants, Eldorado, et il a été étudié dans beaucoup de classes, que ce soit en français ou en histoire.
Vous présentez un syndicaliste, Didier Merluche, c’est une véritable caricature…
Dans tous les établissements scolaires, il y a toujours des syndicalistes très remontés, toujours prêts à faire la grève, toujours pensant que la direction est mauvaise et qu’elle cherche à tromper tout le monde. C’est quelque chose que j’ai vu dans tous les établissements dans lesquels je suis passé.
Vous racontez que lorsque les professeurs doivent travailler sur un projet de voyage, ils décident de ne pas quitter la région des Pays de la Loire, pour éviter toute forme de discrimination, afin de ne pas écarter des élèves dont les familles n’auraient pas les moyens de financer un déplacement plus éloigné…
La lutte contre la discrimination est essentielle dans l’Éducation nationale. D’ailleurs, le nouveau ministre, Pap Ndiaye, a fait de la lutte contre les inégalités scolaires son credo. Or, il a mis ses enfants à l’École alsacienne à Paris, une école privée très élitiste ! Ce n’est pas un reproche, mais cela m’amuse d’entendre claironner ce discours contre les inégalités scolaires, alors que dans sa propre vie il n’applique pas sa doctrine.
Racontez-nous le passage sur Malraux, qui est une histoire vraie…
Dans les années 20, Malraux avait volé des petites statuettes dans un temple khmer au Cambodge, pour effacer ses problèmes d’argent. Mais il a été arrêté et emprisonné. Une partie de l’intelligentsia française s’est mobilisée pour qu’il puisse revenir en France. Il a commencé dans la délinquance et dans le trafic de statues, ce qui ne l’a pas empêché de devenir ministre de la Culture… Un jour, le syndicaliste, Didier Merluche découvre cela et il demande que l’on retire toute référence à Malraux, en le qualifiant d’homme d’extrême droite ! Autre anecdote : il y a une dizaine d’années, nous avions au programme de terminale les Mémoires du général de Gaulle et j’ai des collègues qui ont considéré que c’était un scandale de faire lire aux élèves les Mémoires du général de Gaulle. Depuis deux ans, on doit travailler sur la féministe Olympe de Gouges, or personne ne proteste, alors que son texte ne vaut pas grand-chose sur le plan littéraire. C’est en cela que j’évoque l’idéologie au sein de l’Éducation nationale. On considère que c’est une aberration d’étudier le général de Gaulle parce que ce ne serait pas un grand écrivain, mais quand on fait étudier Olympe de Gouges, qui a écrit un texte de dix pages, on considère que c’est la littérature. Tout cela m’agace énormément !
Dans le livre, un professeur évoque ces jeunes qui n’ont aucune conscience politique…
En réalité, les jeunes gens dont je m’occupe, entre 15 et 17 ans, ont une vision politique qui est en grande partie celle de l’air du temps. À cet âge-là, on n’a pas les moyens intellectuels d’avoir une vision très élaborée. Donc, on se contente de reprendre les oukases de l’époque : aujourd’hui, c’est le réchauffement climatique, l’antiracisme ou l’aide aux migrants. Ce sont des mantras que l’on doit reprendre. L’année dernière, j’ai osé dire que le patriarcat en France n’était pas très vaillant et des élèves m’ont repris en étant horrifiés…
En SVT, l’objectif est de dégager « une essence plurielle de l’homme » : qu’est-ce que cela signifie ?
Je m’intéresse beaucoup au langage. Le monde se conçoit travers les mots. Il suffit d’avoir la maîtrise du langage et des concepts que l’on veut imposer pour maîtriser les choses. Des concepts comme « l’essence plurielle » sont des outils politiques qui, subrepticement, intègrent les pensées. Mais, face à cela, il faut quand même dire qu’il y a une résistance des élèves. D’abord, par leur simple paresse… Après, ils peuvent changer… On ne réussit jamais à former les individus comme on voudrait qu’ils soient formés. Malheureusement, les individus peuvent échapper à beaucoup de choses qu’on leur enseigne et je constate qu’il y a des jeunes gens d’une trentaine d’années qui aiment bien mes livres…
Vous décrivez des professeurs qui ont pour hantise de ramener dans le bon camp les mauvais esprits. Certains pensent qu’il ne faut pas déshonorer l’adversaire, mais l’orienter lentement vers les bonnes pensées. D’autres disent qu’il ne faut jamais discuter avec les fachos. On a le sentiment que c’est obsessionnel…
C’est pour cette raison que j’invente un médicament : l’Éthico 3000. Quand on absorbe ce médicament, on redevient normal. C’est-à-dire d’extrême gauche… Mais, malheureusement, cela tourne mal chez un prof, qui se rase les cheveux et qui devient skinhead ! C’est pour m’amuser, bien sûr, que j’écris cela… Ce n’est pas un roman, c’est un conte philosophique. Le personnage est comme Candide. Il est très naïf en arrivant, mais il évolue au bout d’une année au lycée. À la fin de son parcours, il a perdu sa naïveté.
Malgré tout cela, les professeurs ont quand même la volonté de bien s’occuper de leurs élèves…
C’est vrai, ils parlent tout le temps de leurs élèves et de leurs cours. C’est une obsession pour beaucoup. Dans le lycée dans lequel je suis, il y a beaucoup de possibilités pour les élèves d’avoir du soutien. Beaucoup de choses sont mises en place, avec des aides aux devoirs après les cours, et beaucoup de professeurs sont prêts à mouiller leur chemise pour que leurs élèves réussissent. Mais c’est très difficile. Ce n’est pas l’école qui en cause, parce qu’il y a tellement d’autres sources de divertissement pour les élèves, qui sont tout le temps sur leur portable et ils se désintéressent de ce qu’on peut leur apprendre. Pendant les pauses, ils sont tous plongés sur leur portable. Ils ne se parlent même pas entre eux. C’est quelque chose qui a profondément modifié le rapport au savoir.
Quelle est la responsabilité des parents dans tout cela ?
Elle est très grande. C’est là d’où viennent les différences car, selon les classes sociales des élèves, la capacité à bénéficier de l’enseignement de l’école est très différente. En sixième, il y a des élèves qui connaissent 1 000 mots et d’autres qui en connaissent 3 000… Évidemment, ceux qui connaissent 3 000 mots sont énormément avantagés par rapport aux autres. L’inégalité se fait en amont de l’entrée au lycée, au collège ou à l’école. Avant, on pouvait rattraper cela, parce que les parents croyaient beaucoup plus dans l’école. Mais il n’y avait pas les écrans comme aujourd’hui.
Que pensez-vous de l’absence de culture générale chez les jeunes ?
La culture générale n’est même plus nécessaire pour entrer à Sciences Po. On a besoin d’avoir de bons techniciens, mais la culture a longtemps été associée à la bourgeoisie. À partir du moment où la culture est devenue l’expression d’une classe sociale, cela a fait un tort terrible. Je suis professeur de français et je vois bien que pour certains élèves, il n’est pas évident d’étudier Marivaux ou Baudelaire et, à la place, ils me disent que ce serait mieux d’étudier tel ou tel chanteur de rap… Finalement, ma parole n’a pas plus de poids que la leur. La semaine dernière, nous avons évoqué certains films. J’ai expliqué pourquoi tel film était mauvais. Ils m’ont dit que c’était mon avis et que leur avis était à égalité avec le mien. Dès lors que le professeur n’a pas un poids supérieur pour eux, pourquoi voulez-vous que je leur enseigne les Caractères de La Bruyère, alors qu’à leurs yeux cela vaut n’importe quel Youtubeur… Si j’explique que la culture que je veux leur enseigner est supérieure, alors cela devient intolérable. Tout a le même poids et c’est ce relativisme qui rend l’enseignement parfois difficile. Pour nous, il est vital de lutter contre le relativisme parce que, si notre parole n’a pas plus de poids que celle d’un élève qui ne connaît rien, on ne peut plus rien faire.