Au cours de ces cinquante dernières années, l’humain a perdu 50 % de son microbiote sous les effets conjugués de l’industrialisation et de l’alimentation dégradée. Notre microbiote rétrécit et nous devenons des « humains appauvris », tel est le constat de Patrick Houlier, docteur en pharmacie et spécialisé en « Écologie digestive ». Après une carrière hospitalo-universitaire, il s’est investi dans la santé naturelle, en prônant le rôle central de l’écosystème intestinal dans le capital santé.
« Maman, j’ai rétréci mon microbiote ! » de Patrick Houlier est publié aux Éditions Librinova.
Kernews : Vous démontrez à quel point le microbiote est essentiel pour notre santé. Comment peut-on avoir perdu la moitié de notre microbiote en cinquante ans ?
Patrick Houlier : Le microbiote, ce que l’on appelait auparavant la flore intestinale, ce sont des bactéries que nous hébergeons dans nos intestins. Très lentement, on a établi une relation vraiment privilégiée avec ce microbiote. C’est ce que l’on appelle une symbiose : on est ensemble pour la vie. Cela concerne la digestion, l’immunité et le développement cérébral. On se rend compte que ce microbiote a perdu beaucoup de sa diversité et de sa quantité au cours des dernières décennies. En cinquante ans, le microbiote a perdu 50 % de sa diversité et il est moins apte à réaliser correctement toutes ses fonctions de digestion, d’immunité et de développement cérébral. Ce qui est en cause, c’est l’alimentation industrielle, la pollution, le stress et la mondialisation. Tout cela se transmet et se reproduit de génération en génération. Nous sommes dans un monde où nous avons un microbiote réduit et où l’on transmet des risques de maladies chroniques. Cela peut être le surpoids, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, l’infertilité, la dépression, le diabète… Toutes ces maladies chroniques ont un lien avec la baisse de diversité du microbiote.
Ainsi, même si un gouvernement décidait de lancer du jour au lendemain un plan d’alimentation saine pour toute une nation, il faudrait plusieurs générations pour réparer le corps humain puisque c’est transmissible…
Exactement. C’est comme un paquebot qui freine, il va mettre très longtemps à s’arrêter. Les chiffres sont assez dramatiques. Nous avons des projections avec une poursuite de l’aggravation jusqu’en 2050. On peut faire une analogie avec la protection de la planète et ce sont finalement les mêmes ennemis, à savoir la mondialisation. On sait que même en faisant des gestes de façon individuelle, cela ne changera pas grand-chose, mais on réduit quand même les risques.
Les études indiquent qu’un gros fumeur retrouve un corps sain au bout d’une vingtaine d’années lorsqu’il arrête de fumer. Or, ce n’est pas la même chose pour le microbiote…
C’est très variable selon les personnes. Il y a des personnes qui vont arrêter de fumer et qui vont se réparer très vite, y compris au niveau du microbiote. Quand une personne fume, cela va favoriser des bactéries avides de calories, c’est-à-dire des bactéries qui adorent consommer de l’énergie. On dit souvent que les fumeurs sont maigres parce qu’ils ont développé un microbiote qui consomme beaucoup de calories. Cependant, il accumule quand même des graisses sur les organes et ce sont des graisses inflammatoires. Quand un fumeur va arrêter de fumer, les bactéries vont continuer de consommer de l’énergie et c’est pour cette raison qu’il va grossir. Il faut bien comprendre que le microbiote est en équilibre très instable. Il est très difficile de retrouver un équilibre non pathologique. Les fumeurs vont rester pendant des années dans un équilibre qui ne sera pas très sain et il leur faudra des années pour rétablir un microbiote normal.
Pendant des siècles, on a consommé des éléments mal conservés, mal lavés, mal cuits, avec beaucoup de microbes. Aujourd’hui, on n’a jamais eu autant de normes d’hygiène et de pasteurisation de la société et, paradoxalement, notre microbiote se dégrade. Comment expliquer cette contradiction ?
Il y a quand même des progrès en termes d’espérance de vie. Le point de rupture, c’est l’hygiénisme et l’alimentation industrielle. Par exemple, les antibiotiques ont tellement altéré le microbiote que cela devient négatif. Il y a une partie relativement positive, avec une espérance de vie bien meilleure, mais le paradoxe est flagrant et l’on réagit par la maladie à de nombreux désordres que l’on a mis en place. Tout ce qui est hygiène, comme le tout-à-l’égout, est très bénéfique pour l’espérance de vie. Mais en contrepartie, on a mis en place des systèmes qui nous entraînent dans les maladies chroniques. Avant, il y avait des épidémies et les gens mouraient en masse, mais maintenant nous sommes dans des pathologies chroniques qui s’installent. Pour mesurer la réduction du microbiote, on s’intéresse à des populations ancestrales qui n’ont pas été en contact avec la civilisation. Or, on observe que ces gens ont un microbiote deux fois plus riche que le nôtre. Évidemment, ils vivent dans des conditions très dégradées, dans la boue, en partageant des aliments entre eux, donc l’espérance de vie à la naissance est très faible, parfois une trentaine d’années. Ce qui est très flagrant, c’est la toxicité des produits ménagers et il faut faire très attention aux vapeurs et aux parfums qui détruisent notre microbiote. On nettoie notre environnement, mais en même temps on absorbe des vapeurs. Il faut utiliser des produits ménagers de préférence bio, sans parfum, largement rincer et faire le ménage en ouvrant les fenêtres.
Si nous décidions de basculer du jour au lendemain dans une réelle hygiène de vie, nous ne pourrions pas réparer notre microbiote avant plusieurs générations…
Vous savez, quand on fait des gestes quotidiens à l’égard de la planète, comme trier les déchets ou favoriser les circuits courts, on sait que cela ne changera pas grand-chose à l’échelle planétaire. On peut considérer que chacun de nous est une petite planète, avec notre microbiote, et on le fait aussi pour les générations futures. Il faut faire attention à notre exposition aux toxiques, surtout lorsque l’on est jeune et que l’on va avoir des enfants, car c’est une façon d’avoir un excellent microbiote que l’on transmettra à nos enfants.