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Philippe Latombe, député MoDem de Vendée : « Il faut que nos concitoyens comprennent que c’est vraiment une révolution industrielle. »

L’invité de Yannick Urrien – Jeudi 27 avril 2023 à 8h20 – Philippe Latombe, député MoDem de Vendée

Philippe Latombe, député MoDem de Vendée et membre de la CNIL, est l’un des rares députés à s’intéresser aux questions liées aux nouvelles technologies. Dans une question au gouvernement, il invite les pouvoirs publics à intégrer l’intelligence artificielle comme un paramètre majeur des politiques publiques, « notamment dans sa version décisionnelle, pour la mettre au service de nos concitoyens, permettant ainsi d’en maîtriser les usages et de rassurer ».

Extraits de l’entretien

Kernews : Il y a peu de parlementaires qui s’intéressent aux nouvelles technologies, notamment à l’intelligence artificielle : est-ce par manque de culture ? Ou parce que cela ne leur semble pas très important ?

Philippe Latombe : Vous avez donné une partie des raisons. Nous ne sommes pas très nombreux à venir du monde de l’informatique, avec une appétence particulière sur ces sujets, et ce ne sont pas des sujets qui sont abordés en permanence dans nos circonscriptions. C’est parfois un peu loin de la vie quotidienne de nos concitoyens. Donc, ce ne sont pas des sujets qui sont investis par beaucoup de nos collègues. Nous sommes une petite dizaine à l’Assemblée nationale à nous occuper de ces sujets et c’est à peu près le même nombre au Sénat. Donc, nous sommes une vingtaine à travailler sur ces sujets. On se connaît bien et on arrive à travailler intelligemment ensemble.

L’intelligence artificielle va bouleverser de nombreux métiers, mais c’est aussi une approche culturelle et politique différente, voire un véritable changement de civilisation…

Il faut que nos concitoyens comprennent que c’est vraiment une révolution industrielle. Il faut que nos concitoyens comprennent que cela va générer des craintes. Ils ont raison, il y a des métiers qui vont disparaître, comme des métiers ont disparu avant l’apparition de l’automobile. En face, il y aura de nouveaux métiers et une nouvelle façon de travailler. Ce sera une nouvelle architecture de la société, avec de nouvelles opportunités. Nous devons intégrer cette révolution industrielle dans nos politiques publiques. Nous parlons de la question des retraites et nous allons aussi aborder la question du travail. Il va falloir aborder la question du travail de manière différente, parce que l’intelligence artificielle va supprimer un certain nombre de postes et cela va donc entraîner un changement de métier pour un certain nombre de nos concitoyens. Il va falloir intégrer cela parce que cela va avoir des conséquences sur les cotisations, le chômage, ou la formation professionnelle. Il va falloir aussi que l’État se modernise en intégrant l’intelligence artificielle comme un outil pour l’aider. Par exemple, pourquoi ne pas intégrer l’intelligence artificielle pour aider les caisses d’allocations familiales à délivrer plus vite les aides auxquelles nos concitoyens ont droit ? Aujourd’hui, quand vous déposez un dossier à la CAF, il faut 10 à 12 semaines avant de recevoir un courrier vous expliquant que vous avez droit à telle ou telle aide, sans parfois en connaître le montant. Il y a un délai que l’intelligence artificielle permettra de combler. Cette intelligence artificielle peut être mise au service de nos concitoyens. Il faut aussi ne pas se retrouver devant une plate-forme déshumanisée. Donc, il faut que les humains soient capables d’orienter l’intelligence artificielle pour mieux aider nos concitoyens.

Il faut aussi maintenir la possibilité d’avoir un recours à un être humain…

Il faut que nos concitoyens comprennent que l’intelligence peut être une aide et surtout cela va permettre de libérer des personnes pour être au contact de nos concitoyens, afin d’humaniser les relations. Actuellement, les cartes grises sont le bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire : on a dématérialisé la carte grise, or, dès que vous avez un problème pour changer votre carte grise, il n’y a plus aucun interlocuteur.

L’intelligence artificielle peut aussi permettre de lutter contre la fraude…

Oui, lutter contre la fraude, améliorer le versement des prestations, faire des choix d’accompagnement des personnes, expliquer aux gens qu’ils peuvent avoir une baisse d’impôt après une perte d’emploi, demander une aide complémentaire auprès d’une collectivité locale… On peut faire plein de choses, mais cela doit être fait de façon humaine. On doit aussi apprendre à nos concitoyens comment les choses fonctionnent, avec des voies de recours humaines.

On a reproché au gouvernement de faire appel à des sociétés de conseil, notamment McKinsey et, maintenant, vous évoquez l’intelligence artificielle. Où est la proximité dans tout cela ?

L’État doit s’approprier l’intelligence artificielle. Si l’État lâche ce secteur au privé, à ce moment-là, nous aurons un fonctionnement qui sera celui d’une entreprise privée. Ce n’est pas notre souhait. Donc, l’État doit acquérir des compétences et payer des ingénieurs qui seront en capacité de faire des projets pour l’État pour le compte des concitoyens. C’est quelque chose que l’État n’a pas encore intégré. Les compétences doivent être intégrées au sein de l’État, car nous avons des talents, des fonctionnaires fabuleux. Nous devons avoir la capacité d’attirer les talents sur l’intelligence artificielle pour être au service de nos concitoyens.

Abordons maintenant les dérives de l’intelligence artificielle, notamment en termes d’influence idéologique, car l’intelligence artificielle n’est pas neutre…

Effectivement, elle n’est pas neutre. Elle reflète des biais. J’ai sollicité la ministre des Solidarités en charge de la lutte contre les discriminations, parce que je suis inquiet de l’utilisation de certains algorithmes fabriqués par les Américains. Ils ont un mode de pensée très différent du nôtre. Ce sont des algorithmes fabriqués par des ingénieurs d’une quarantaine d’années, plutôt des hommes blancs, et quand on dit à une machine comment elle doit apprendre, cela reflète certains biais. Contrairement à son nom, une intelligence artificielle, c’est quelque chose de bête : c’est simplement le reflet d’un algorithme à qui l’on a dit qu’il fallait apprendre de cette manière. Il peut y avoir des biais racistes ou des biais de genre…

C’est le reflet de la liberté. Dans les médias, nous avons France Inter qui est plutôt à gauche et CNews qui est plutôt à droite : or, c’est cette forme de cohabitation qui fait la richesse de notre société…

Oui, si vous êtes dans l’information. Mais si vous êtes dans un service public, vous ne pouvez pas interférer et avoir des biais de sexe, de genre, d’âge ou de couleur. Le service public se doit d’être neutre. On a besoin de construire une intelligence artificielle avec notre façon de voir les choses. Aux États-Unis, les services publics ne sont pas les mêmes que ceux que nous avons en France et en Europe. Nous devons développer une filière d’intelligence artificielle européenne avec le respect de nos valeurs, notamment des données personnelles, car c’est un vrai problème aujourd’hui. Les intelligences artificielles prennent des données personnelles qui appartiennent à tout le monde. C’est d’ailleurs pourquoi la CNIL italienne a interdit le recours à ChatGPT, avant de rouvrir le service sous condition de respect des données personnelles, et donc de la vie privée des Italiens. On doit faire cela d’une façon plus large. D’ailleurs, un texte est en cours actuellement au niveau européen. Il arrivera fin 2023 et, d’ici là, on devra instaurer des règles avec la CNIL en France. Je fais partie de la CNIL et cela fait partie des sujets que nous évoquons chaque semaine en commission.

Vous évoquez la question des données personnelles. Dans le même temps, nos concitoyens balancent volontiers des informations confidentielles sur les réseaux sociaux, notamment sur leur travail, leurs vacances ou leurs habitudes de vie…

C’est un paradoxe : nos concitoyens ne veulent pas que l’État ait accès à toutes leurs données, alors qu’ils publient beaucoup en source ouverte sur les réseaux sociaux… Donc, forcément, l’État est tenté de faire du contrôle fiscal ou des contrôles de droits sociaux, à partir des réseaux sociaux, parce que ce sont des informations librement accessibles. Il y a une culture de l’hygiène des données personnelles que nous devons inculquer à nos enfants dès leur plus jeune âge, dès l’école. C’est un vrai souci. Il faut que les enfants aient une appréhension du risque, de la même manière qu’ils ont cette appréhension quand on leur demande de marcher, de courir ou de sauter. Nous devons créer cette mue au sein de l’Éducation nationale. Je ne mets pas du tout en cause les enseignants qui font un super boulot, mais ils n’ont pas suffisamment été formés sur ce sujet. L’administration centrale de l’Éducation nationale n’a pas donné aux enseignants les outils pédagogiques et la formation nécessaire. L’Éducation nationale est censée faire de la prospective. Les réseaux sociaux sont là depuis longtemps et on aurait dû très clairement travailler sur ce sujet, avec des modules dès l’école primaire…

Écrit par Rédaction

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