Le nouveau livre de Piero San Giorgio figure une nouvelle fois en tête des ventes. Le maître des survivalistes évoque les guerres, l’inflation, les crises financières, les pandémies, les violences, les pénuries, l’insécurité… Dans ce contexte, avez-vous suffisamment de contrôle sur vous-même pour survivre à une crise majeure ? Depuis la crise sanitaire, beaucoup de gens ont perdu confiance dans les institutions. Cette séquence aura également révélé notre incapacité à dominer notre peur. Ce qui a provoqué aveuglement, désorganisation, crédulité, aliénation, sujétion, hystérie, exclusion, guerre civile larvée, fanatisme, voire folie et illusion… Or, cela pourrait être pire la prochaine fois !
« Survivre à la Peur » de Piero San Giorgio est publié chez Culture & Racines.
Kernews : Pourquoi, depuis quelques années, nos dirigeants politiques entretiennent-ils ce climat de peur ? Pourquoi y sommes-nous aussi sensibles ? À l’époque du Mur de Berlin, comme lors de la crise des missiles de Cuba, les dirigeants politiques n’ont pas utilisé ces événements pour contrôler les populations : qu’en pensez-vous ?
Piero San Giorgio : C’est une remarque fort judicieuse. La peur est une émotion primaire. C’est un réflexe qui nous aide à faire face à des dangers soudains, parfois on peut se tromper, tout cela est fait pour nous aider. Quand on prolonge cela dans le temps, et quand c’est constant, avec ce rajout quotidien de nouvelles peurs, comme le nombre de morts de la Covid ou le risque d’un attentat terroriste, notre corps subit une réaction psychologique et cela nous épuise. La réaction à la peur, c’est souvent la fuite ou le combat. Il y a, bien sûr, d’autres réactions, mais lorsque cela devient de l’angoisse, la réaction se transforme en immobilisation ou en soumission. C’est ce qui explique d’ailleurs l’épidémie d’antidépresseurs en Occident. Avant 2010, ou 2020, les hommes de pouvoir qui nous faisaient peur proposaient aussi une solution : « Votez pour moi, je vais vous protéger, je vais négocier avec les Soviétiques pour que cette crise de Cuba s’arrête… » Tous les gens qui ont vécu cette époque s’en souviennent. Mais aujourd’hui, on ne nous propose plus de solutions. On doit avoir peur, on doit se soumettre et c’est bien une dérive. La crise économique est au rendez-vous, l’inflation va augmenter, les pénuries sont de plus en plus fréquentes, les services sont de plus en plus dysfonctionnels, on est confronté à de la violence gratuite… Tout cela est angoissant. Face à cela, au lieu de tenir un discours rassurant, on nous explique qu’il faut aller en guerre, qu’il faut attiser davantage le chaos, et les situations sociales sont de plus en plus conflictuelles. On a constamment peur. Les cancers augmentent et les maladies sont de plus en plus difficiles à gérer. Donc, il m’a semblé nécessaire de travailler sur ce sujet de manière très profonde. Nous devrions faire de ces peurs un atout, pour agir mieux et pour nous rendre plus forts, plus sains et plus solides. On doit en faire le déclencheur d’une bonne réaction, plutôt qu’une mauvaise.
Lorsque l’on discute avec des Français, notamment des Parisiens, il y a un climat de peur et de défaitisme. À l’inverse, dans beaucoup de pays du monde, on constate encore une joie de vivre avec l’idée que demain sera meilleur qu’aujourd’hui…
Par exemple, je vais souvent à Moscou et je constate que l’on nous raconte des sornettes : ce n’est pas une dictature telle qu’on la fantasme en Occident. Je pense qu’il faudrait montrer à l’Occident ce miroir pour qu’il s’aperçoive de sa dérive. Tout a commencé aux États-Unis, avec le Patriot Act et cette dérive vers l’autoritarisme et la surveillance généralisée. Que l’on aime ou non le gouvernement de Vladimir Poutine, il a proposé la prospérité économique et la sécurité, même si cela ne marche pas toujours, comme on vient de le voir avec l’attentat terroriste à Moscou. Mais, dans l’ensemble, la population a confiance. Maintenant, notre problème est de savoir pourquoi nos dirigeants, dans nos pays occidentaux, nous veulent tant de mal et pourquoi ils sont aussi malveillants à notre égard. Peut-être est-ce parce qu’ils sont face à des crises économiques qu’ils ne savent pas résoudre ? Plutôt que de prendre des solutions difficiles, ils préfèrent nous déresponsabiliser et ils veulent nous faire peur pour garder leur pouvoir et nous terrifier. Cela avait fonctionné au début de la crise sanitaire, où une large majorité de la population avait accepté de se soumettre, avec une petite minorité qui s’était réveillée pour dire non. Aujourd’hui, une part plus grande de la population est prête à dire non. Mon objectif est d’apprendre aux gens, non seulement à dire non, mais à prendre le contrôle psychologique de leur vie. Nous pouvons retrouver un monde de bonheur, en étant en harmonie avec nos amis, sans ce stress omniprésent.
Il faudrait recréer un monde, c’est loin d’être facile…
Je n’ai jamais dit que c’était facile. Ce changement n’est pas quelque chose que l’on peut faire facilement, d’un coup de baguette magique et il est souvent malvenu de tout plaquer du jour au lendemain. Il faut se poser, comprendre ses émotions de peur, apprendre à les modifier et savoir ce que l’on veut dans la vie. Le bonheur, est-ce d’avoir une grande maison avec des voitures ? On nous explique que le bonheur, c’est de consommer, d’avoir un bon salaire, d’avoir le dernier gadget à la mode, tout cela pour se retrouver seul quand on est âgé… Nous sommes dans une situation très perverse. Il faut savoir se reprendre en main.
Vous avez toujours écrit que l’effondrement ne se traduirait pas par une guerre civile, mais qu’on ne le percevrait presque pas, tant on allait s’habituer à vivre de plus en plus mal au fil des années. Quelles raisons vous ont conduit à penser cela ?
En écrivant ce livre, je me suis rendu compte que j’avais probablement des peurs et des angoisses. En 2003, il y avait la guerre contre l’Irak et c’est à ce moment-là que j’ai compris que nos gouvernements pouvaient nous mentir. C’était une vraie prise de conscience chez moi. Il y a aussi la prise de conscience sur les effets de la pollution sur nos environnements, avec une forte augmentation de la population qui consomme de plus en plus de ressources. Nous sommes allés en Irak, pas au Zimbabwe, pour combattre la dictature… Dans nos peurs profondes, nous avons tous peur d’avoir mal ou de mourir, et j’ai donc essayé de comprendre pourquoi j’ai été assez serein ces dernières années : tout simplement parce que je suis dans l’action, dans le travail, au service de l’indépendance et de l’autonomie. Je vis dans un grand bonheur parce que j’ai évacué toutes ces angoisses et je suis revenu sur ce processus inconscient. J’ai aussi fait de nombreuses recherches sociologiques, en interviewant un grand nombre de neurologues et de sociologues, afin de proposer des règles qui s’appliquent au plus grand nombre.
Le sentiment de peur provient-il de notre absence de confiance à l’égard de la classe politique dans son ensemble ? La nôtre n’a pas le sens de la Nation, comme de l’intérêt général, alors que dans beaucoup d’autres pays, notamment ceux qui sont sur des temps longs, on observe une adhésion de la population envers ses dirigeants. Ainsi, les Marocains ont confiance en leur Roi, qui arrive à leur donner une vision sur dix ou vingt ans…
Oui, on sait très bien que nos dirigeants ne sont pas ceux qui commandent. Ceux qui commandent sont au-dessus, je parle des vrais propriétaires, à force de corruption du système politique occidental. Nous savons très bien que le Président et les ministres n’ont aucun pouvoir et que ce sont simplement des exécutants. Il ne s’agit pas d’être complotiste, mais voyez l’influence de la Commission de Bruxelles ou de certaines organisations comme le Forum de Davos. Si cela était fait pour le bien général, ce serait encore acceptable. Le général de Gaulle a su unir le pays, alors qu’aujourd’hui on voit bien que ce sont des girouettes politiques, des idéologues, sans bienveillance et sans compétence. On nous explique qu’il y aura moins d’inflation, or elle augmente. On nous dit que le déficit va être résolu, or il augmente. On nous explique que l’on veut la paix, mais on fait la guerre partout… Les gens ne veulent plus aller se battre pour ce pays. En réalité, ce serait se battre pour qui ? Face à cela, il y a beaucoup de déprime, une forte angoisse du futur, et le monde devient effrayant.
Va-t-on devenir de plus en plus égoïste devant cette apathie de la société ?
J’ai une approche stoïque : il faut se préoccuper des choses que l’on peut contrôler et il ne faut pas s’énerver pour des choses qui sont en dehors de notre ressort. Il faut les accepter comme elles sont. Si l’État vient vous voler votre maison, en vous donnant un dédommagement de 50 €, pour y entasser des gens venus de l’extérieur, il va falloir l’accepter… Après, c’est à vous de réfléchir à la reconquête de votre maison. Donc, vouloir changer le monde et ne rien faire, c’est souvent un peu naïf. C’est peut-être aussi une question d’âge. À vingt ans, je voulais changer le monde. À cinquante ans, j’essaie déjà d’aider les gens à se changer eux-mêmes. Et c’est déjà pas mal.