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Pierre Garello : « La productivité n’avance pas, il y a un manque d’investissement de la part des entreprises, les marges ne sont pas suffisantes. »

Pierre Garello est professeur d’économie à l’Université d’Aix Marseille, coordinateur du Master européen en droit et économie, et directeur du cours Erasmus Mundus pour l’Institut de recherche sur les questions économiques et fiscales (IREF).


Kernews : Le risque de subir une situation similaire à celle de la Grèce ou de l’Argentine est-il plausible ?

Pierre Garello : C’est plausible. Pour l’instant, la dynamique est inquiétante. Nous ne sommes pas en phase de cessation de paiement, loin de là, mais le risque demeure tant que l’on n’aura pas réussi à renverser cette dynamique de façon crédible. C’est toujours une éventualité à laquelle il faut songer.

Lorsque l’on interroge nos concitoyens, ils allèguent que cela fait des décennies que l’on entend formuler de tels avertissements, mais que le pays fonctionne toujours…

On ne peut pas dire que rien ne change. Il y a certains indicateurs inquiétants, comme la productivité qui est assez timide. La productivité n’avance pas, il y a un manque d’investissement de la part des entreprises, les marges ne sont pas suffisantes, et tout cela est lié. Les signes sont inquiétants. Les indicateurs de croissance ne sont pas bons non plus. Il me semble que nous sommes déjà en train de payer un certain coût à cette dette. Vous savez que la charge de la dette représente des sommes considérables et cet argent doit être prélevé, donc c’est de l’argent qui manque pour autre chose. Il est toujours difficile de savoir quelle part de ce ralentissement doit être imputée à l’endettement mais, c’est une évidence, l’économie n’est pas très dynamique.

Ce poste-frontière a-t-il été franchi au moment du confinement, qui a eu pour effet de changer les mentalités de nombreux salariés ?

Le confinement a eu plusieurs impacts sur notre économie. Il y a d’abord la façon dont notre gouvernement a réagi à travers le fameux « quoi qu’il en coûte ». On a augmenté les dépenses publiques, donc l’endettement de notre pays, et, à la sortie du Covid, le gouvernement a fait le choix d’amortir la chute en prolongeant les aides le temps nécessaire. Déjà, la Covid a eu un impact, comme dans d’autres pays, mais on l’a fait plus, et plus longtemps, que les autres. L’aspect des mentalités est important. Le télétravail s’est implanté et les gens ont dû vivre seuls, donc être moins enclins à se plier à une dynamique de groupe. Il ne faut pas tout mettre sur le dos de la Covid car, depuis quelques années, beaucoup d’entrepreneurs disaient qu’ils avaient des difficultés à trouver des jeunes sérieux qui soient présents à l’heure le matin. C’est une tendance de long terme qui a été accélérée par cet épisode.

On ne parle plus des PGE, alors que les entreprises sont toujours obligées de rembourser chaque mois les échéances de ces prêts…

Cela fait partie de ces mesures pièges. On avait beaucoup écrit à l’époque sur ce sujet et je ne sais pas combien d’entreprises vont pouvoir rembourser intégralement. Je suis tout à fait prêt à croire que pour certaines entreprises, le remboursement de ce prêt ne vient pas forcément au bon moment quand il s’agit de retrouver une productivité perdue.

Les agences de notation lancent l’alerte sur la dette française. Les décisions politiques devront-elles être prises en fonction de ce que penseront ces agences ?

Cela ne doit pas être le guide suprême, mais c’est un paramètre que l’on aurait tort de négliger, parce que cela va peser sur l’économie française au cours des prochaines années, donc sur la charge de notre dette. On devrait effectivement prendre au sérieux ce thermomètre, celui des marchés financiers, car si la note continue de baisser, nous allons le payer cher. Le « quoi qu’il en coûte »… coûte quand même quelque chose !

Sandrine Rousseau, députée du Nouveau Front populaire, a récemment suggéré que l’épargne des Français pouvait servir à rembourser la dette. Qu’en pensez-vous ?

Je ne veux pas être méchant, mais c’est de l’économie à deux balles ! Il est assez fréquent d’entendre des choses de ce type. On nous explique que la dette ne pèse pas grand-chose au regard du patrimoine privé. Mais c’est faux, car nous prenons l’habitude de dépenser plus que nous sommes capables de prélever. On va avoir du mal à prélever plus, quoi qu’en disent les gens de LFI puisque nous avons le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Les Français épargnent, ils épargnent surtout parce qu’ils ont peur, et je ne sais pas si les annonces de ces partis seront de nature à rassurer les épargnants. Donc, on ne peut pas comparer la dette et l’épargne des Français : on compare des sommes d’argent, mais sans réfléchir à la connexion qu’il peut y avoir entre les deux. Donc, c’est ridicule. Même si l’épargne française épongeait la dette aujourd’hui, si l’on continue à avoir les mêmes dépenses, la dette va continuer à s’accroître. Il y a aussi un effet d’éviction, car l’argent qui sert à rembourser une dette ne va pas ailleurs. Si, avec une productivité assez faible, on consacre l’épargne des Français à rembourser la dette, ce n’est pas de bon augure pour la compétitivité de l’économie française.

L’inflation que nous avons connue n’est-elle pas aussi un moyen de vider l’épargne sans que l’on s’en aperçoive, notamment lorsque des grands-parents aident leurs petits-enfants ?

Il y a aussi différentes incitations qui peuvent gonfler l’épargne en raison de l’incertitude économique et politique. On peut effectivement être conduit à puiser dans cette épargne pour maintenir un niveau de vie correct. Je ne sais pas quel effet a dominé récemment, mais l’inflation est le pire des impôts, parce qu’elle pénalise les épargnants et cela amène aussi les ménages à faire des choix. Dans le même temps, les salaires ne suivent pas.

Vous écrivez depuis des années que l’État devrait être moins obèse. On vous répond toujours que le message a bien été reçu, toutefois rien ne se passe…

On n’a pas réussi à inverser la dynamique. Elle s’est amplifiée sous Emmanuel Macron. L’État dépense toujours plus, pour payer des frais de fonctionnement ou la charge de la dette, et il y a très peu d’investissements. Il y a des gens qui parlent suffisamment clair, mais il y a aussi beaucoup de gens, comme Sandrine Rousseau, qui expliquent que la dette n’est pas très grave… Le Français, par un biais cognitif, a tendance à retenir le message qui l’arrange le plus. Donc, on va écouter celui qui va dire que le système peut supporter la retraite à 62 ans, plutôt que d’écouter celui qui dit que l’on ne s’en sortira pas, même avec la retraite à 64 ans. C’est un paramètre qui amène au statu quo, parce que les gens n’écoutent pas ceux qui leur disent que la situation mériterait d’être traitée avec plus de sérieux. Finalement, les Français préfèrent écouter le programme de LFI, adoubé par de nombreux économistes, et les gens vous disent ensuite que c’est un programme sérieux puisqu’il est soutenu par des économistes ! Après, il y a peut-être des raisons plus profondes. Les Français sont persuadés qu’en cédant un peu de leurs libertés, notamment en acceptant une hausse des impôts, ils auront plus de sécurité. Beaucoup de Français sont persuadés que l’État est à même de mieux gérer les choses, notamment sur la question des retraites. Maintenant, c’est le travail des économistes et des journalistes que d’essayer de dire qu’il ne faut pas croire ce message et que les gens doivent ouvrir les yeux. Il y a aussi le jeu politique qui fait que beaucoup d’hommes politiques manquent de courage et de conviction. Certains électeurs choisissent le politique qui a le plus de chances de gagner, peu importe la valeur morale ou économique, le plus important étant d’être dans le camp du gagnant. Heureusement, il y a des gens plus solides. Pour donner une note positive, il y a beaucoup de pays qui ont eu la lucidité de redresser la barre, comme l’Allemagne ou la Suède. Et le Portugal a aussi fait des choses merveilleuses. Donc, c’est possible. En cette période, on nous explique que les Français sont courageux pour les compétitions sportives… Donc, il faut se retourner les manches.

Enfin, on nous a vendu l’Union européenne comme garante des libertés et de la croissance économique, mais vous dites l’inverse en soulignant que c’est un monstre qui est en train de se retourner contre nous et contre nos libertés individuelles…

Il y a des monstres plus redoutables que d’autres, mais on aurait pu penser que l’Union européenne serait avant tout un espace de liberté, puisque c’est la philosophie de l’acte unique. Petit à petit, la piste prise est celle consistant à organiser l’Europe, en donnant des règles communes à tout le monde, dans tous les domaines, donc on force l’harmonie, que ce soit dans le droit social ou ailleurs. On est assez dubitatif, même assez déçu, de constater que la Commission européenne, qui était censée veiller à ce que les règles du jeu soient respectées, finisse par tout réguler. L’Europe se lance dans des plans d’investissement, elle se met à emprunter, donc on est bien loin de cette Europe qui était là pour faciliter les échanges entre les nations. L’Europe veut maintenant organiser le monde à sa manière pour les décennies à venir. C’est une Europe de plus en plus constructiviste. Cela se retrouve à travers la croissance, qui est faible, et cela est peut-être dû à la tournure prise par ce projet de l’Union européenne.

Écrit par Rédaction

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