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Pierre Gattaz : « Une entreprise familiale, c’est une entreprise qui veut aller loin. »

La France est un pays extraordinaire qui dispose d’atouts considérables. Pourtant, c’est un peuple qui doute collectivement. Prenant le contrepied des déclinistes, Pierre Gattaz lance un appel aux Français en les appelant à l’optimisme, à l’action, à l’entrepreneuriat. Bâtir plutôt que critiquer. Créer plutôt que détruire…

Pierre Gattaz dirige depuis 1992 Radiall, l’entreprise familiale créée en 1952, qui conçoit et fabrique des composants électroniques. Ancien président du MEDEF, puis de Business Europe, il a lancé l’association Y Croire & Agir, qui aide les personnes fragilisées ou au chômage à créer leur entreprise dans les territoires ruraux. Depuis quelques années, il gère aussi une exploitation vinicole en Provence.

« Enthousiasmez-vous ! Ce que la vie m’a appris… et que je voudrais partager avec vous » de Pierre Gattaz est publié aux Éditions du Rocher.

Kernews : Notre pays est traversé par une crise de pessimisme et de défaitisme. Aussi, clamer « Enthousiasmez-vous », ce qui pouvait paraître quelque peu banal il y a quelques années, semble indispensable aujourd’hui…

Pierre Gattaz : J’ai voulu montrer que notre pays est un grand pays qui se redresse sur le plan économique depuis une dizaine d’années, avec un taux de chômage qui est tombé de 10,5 % à 7 %, et qu’il y a de bonnes nouvelles. Malheureusement, les Français continuent d’être un peuple pessimiste, alors que nous vivons dans un pays avec un patrimoine incroyable sur le plan culturel, historique ou philosophique. Des millions de touristes viennent tous les ans et les gens veulent venir travailler en France. Donc, j’ai voulu redonner un peu d’espoir. Je m’adresse aussi aux jeunes qui ont parfois tendance à broyer du noir dans un environnement géopolitique très compliqué. Il faut garder l’espoir car, même dans les moments les plus difficiles, c’est l’enthousiasme qui nous permet de trouver des solutions à des problèmes. En face, le pessimisme et l’indignation permanente nous incitent à broyer du noir tout le temps.

Vous racontez vos débuts professionnels. Lorsque l’on connaît votre famille, on aurait pu croire que tout était facile, toutefois cela n’a pas été le cas…

Je ne voulais surtout pas faire comme mon père et surtout ne pas paraître comme le fils à papa. J’ai fait Maths sup et Maths spé, et je suis devenu ingénieur des télécoms. Ensuite, je suis parti aux États-Unis. J’ai été jeune cadre ingénieur chez Dassault électronique. Puis j’ai redressé une société d’électronique à 30 ans. C’est dans ce travail de redressement d’une entreprise que j’ai appris mon métier de patron. J’ai cru que mes actionnaires allaient me virer chaque lundi matin, c’était très difficile. C’était une petite société d’une cinquantaine de salariés qui était en redressement. Il y avait des problèmes de trésorerie. Il y a eu l’inspecteur du travail, puis ensuite l’inspecteur des impôts. C’était dur. Ensuite, en 1992, Radiall allait un peu moins bien et je suis arrivé avec une connaissance du marché des télécommunications, du marché américain et des entreprises en difficulté. Cela m’a permis d’avoir une légitimité plus forte pour reprendre à 33 ans les rênes de Radiall.

Vous avez aussi été pionnier dans la mise en place d’une politique RSE…

Je suis un passionné de nature. J’ai passé mon enfance en Provence pour sentir la nature. J’ai d’ailleurs acheté un domaine vinicole il y a quelques années dans le Lubéron et nous sommes très vite passés au bio. J’ai beaucoup de respect pour tout cela. J’ai passé mon temps à motiver mes équipes car une entreprise familiale, c’est une entreprise qui veut aller loin. Ce n’est pas une entreprise qui a pour objectif de se vendre au bout de quelques années. Si vous voulez perdurer avec votre équipage, vous devez faire très attention à votre équipage. Il y a eu beaucoup de management participatif. Les salariés sont motivés, car on leur demande tout le temps des idées et des solutions. C’est gagnant pour les clients, puisque les performances de la société sont bien meilleures, et c’est aussi gagnant pour l’entreprise qui va de mieux en mieux avec un équipage engagé.

On a le sentiment que le chef d’entreprise est moins populaire en France depuis qu’il n’est plus entrepreneur, au sens des Marcel Bleustein-Blanchet, Francis Bouygues ou Marcel Dassault : c’est-à-dire tous ces grands patrons qui ont fait eux-mêmes leur entreprise… Maintenant, ce sont des technocrates qui sont à la tête des grosses sociétés…

J’évoque les Trente Piteuses de la France. Pendant une trentaine d’années, on a eu des politiques fiscales et sociales très démotivantes pour l’ensemble des patrons, notamment les patrons familiaux. J’ai vu tous les concurrents de Radiall vendre leur entreprise familiale pour partir à l’étranger. Cela m’a complètement désespéré. J’avais une colère sourde en voyant la désindustrialisation de notre pays parce que la fiscalité française était très dogmatique et très idéologique. Le social est devenu très compliqué, avec un Code du travail qui s’est extrêmement complexifié. J’ai vu des réformes courageuses qui ont été mises en place depuis une dizaine d’années, notamment par le Premier ministre Manuel Valls, qui a baissé les charges sur les bas salaires, qui a procédé à une baisse des impôts et qui a aussi simplifié le Code du travail. L’image de la France a changé et les investisseurs sont revenus. Emmanuel Macron a poursuivi sur ce chemin, la confiance est revenue et je vois un pays qui est en train de se réindustrialiser. Cela va peut-être demander une ou deux générations. En Allemagne, ils ont 12 000 à 13 000 entreprises de taille intermédiaire familiales, alors que nous n’en avions plus que 5 500. Il y a eu un cataclysme sur les entreprises familiales, qui sont en plus très implantées dans les territoires. Un gouvernement de gauche a été capable de refaire une politique de l’offre en comprenant que l’entreprise, ce n’est pas un concept de gauche ou de droite, tout comme l’économie, et qu’il faut donc que l’environnement fiscal et social soit approprié. C’est ce qui est en train de se passer en France actuellement.

Vous dites beaucoup de bien du gouvernement de Manuel Valls. Vous aviez des contacts fréquents avec lui, puisque vous étiez président du MEDEF à cette époque…

Oui, il y avait parfois des conflits, mais toujours du respect et des convictions profondes. On se rejoignait sur l’importance de l’entreprise. Le président chinois, Deng Xiaoping, après la révolution culturelle de Mao qui a conduit à des dizaines de millions de morts, a fait sa révolution culturelle en mettant l’entreprise au milieu du village. Il a incité les Chinois à créer des entreprises et à innover. Maintenant, 600 millions de Chinois, la moitié de la population, vivent aujourd’hui presque comme des Européens. Ils ont inventé l’économie socialiste de marché. Manuel Valls a eu le courage de mener des réformes dans une très grande impopularité. C’est un peu comme Schröder en Allemagne : il a mené des réformes. Pendant trois ans, il ne s’est rien passé, mais grâce à ses réformes, l’Allemagne s’est développée et, aujourd’hui, les Allemands sont 15 à 20 % plus riches que nous individuellement.

Comment expliquez-vous que les Français soient le peuple le plus pessimiste au monde ? Dans une enquête récente, les jeunes Irakiens et les jeunes Afghans étaient même plus optimistes que les jeunes Français…

Malheureusement, les Trente ou Quarante Piteuses françaises ont montré cette désindustrialisation larvée de la France, cette lutte des classes très forte que l’on ne voit pas dans d’autres pays, avec une politisation de l’entreprise et de l’économie, où l’on met les patrons à droite et les salariés à gauche. Les patrons se sont démotivés et l’économie a stagné. Il y a eu de grosses bêtises, comme les 35 heures, et les Français se sont rendu compte que notre PIB est en 28e position aujourd’hui. La richesse par habitant de chaque Français est 40 % plus faible que celle des Américains et 20 % plus faible que celle des Allemands ! Il faut continuer de faire des réformes courageuses sur le plan fiscal et social, et comprendre que l’entreprise est une communauté humaine formidable, parce que c’est là où l’on crée de la richesse et des emplois. Les Français ont connu la civilisation des loisirs et du temps libre pendant des années, c’est très bien. Mais le travail, c’est la fierté, l’épanouissement et la dignité. Ce qui me rend optimiste, c’est que les Français ont une meilleure image de l’entreprise, mais aussi des patrons. Plus on est un petit patron, plus on est apprécié, et je vois des jeunes qui veulent maintenant devenir entrepreneurs, alors qu’avant ils voulaient devenir fonctionnaires… Bien sûr, il y a toujours des gens qui ne veulent pas travailler, mais je vois aussi des gens qui travaillent beaucoup. J’aide des chômeurs à créer leur entreprise. Cela leur permet de retrouver de l’enthousiasme sur un projet de vie et aussi une employabilité et un savoir-être qui leur permette de retrouver un job. Plus la France va aller vers le plein emploi, plus le rapport de force va s’inverser au profit de nos salariés et de nos collaborateurs. C’est aussi le bon côté du plein emploi.

Vous rappelez que tout le monde peut être entrepreneur et que c’est une question d’ADN. On est sorti de cette barrière imaginaire des études… De grands entrepreneurs sont des autodidactes, mais aussi de grands ministres de l’Économie, comme ce fut le cas avec René Monory…

J’ai beaucoup d’admiration pour les autodidactes qui, par leur force de travail, ont réussi à créer des empires. J’observe qu’il y a un statut intéressant, celui d’auto-entrepreneur, qui permet d’être un sas de transition entre le statut de chômeur ou de salarié, et celui de patron d’une PME. Le statut d’auto-entrepreneur permet de mettre le pied à l’étrier pour se lancer dans l’artisanat ou dans la prestation de services. Ce qui compte, c’est la volonté. Ceux qui ont la volonté de s’en sortir ont déjà fait 70 % du boulot. Si vous allez voir un patron, en le regardant dans les yeux avec la niaque et le sourire, il y a de grandes chances pour que cela fonctionne. Le savoir-être est important. Ensuite, on forme les gens. Après la guerre, il y a de nombreux patrons autodidactes qui ont pu créer leur entreprise et, en avançant dans le temps, certaines sont restées des PME, d’autres sont devenus des empires.

Le fait d’avoir distribué le baccalauréat à 90 % d’une classe d’âge, puis d’automatiser l’accès à l’université, n’a-t-il pas renforcé le statut de l’autodidacte qui arrive à se démarquer davantage ?

Je cite beaucoup la Suisse, qui a beaucoup poussé sur l’apprentissage et la formation professionnelle. 70 % des élèves de 17 ans sont en apprentissage, alors que nous n’en avons que 30 ou 40 %. La filière d’excellence, c’est la filière professionnelle. C’est ce qui permet d’apprendre un métier, que l’on soit poissonnier, soudeur ou restaurateur.  Ensuite, grâce à ces filières d’excellence, on peut devenir ingénieur, puis directeur, on apprend des métiers. En France, beaucoup de gens se retrouvent en sociologie, en psychologie ou en philosophie avec très peu de débouchés derrière. Il y a un pragmatisme de l’éducation suisse, que l’on retrouve en Allemagne ou en Autriche, donc des pays qui sont restés très industrialisés, pour permettre à des gamins de comprendre ce qu’est une entreprise à partir de 16 ans. Ensuite, il y a de nombreuses passerelles pour permettre aux jeunes de trouver leur voie. Quand j’étais au MEDEF, je faisais parler des jeunes salariés de 18 ans sur leur métier, avec souvent de beaux salaires à l’entrée. La France commence à comprendre l’importance de ces métiers.

Quel regard portez-vous sur la situation politique de notre pays en ce moment et sur le débat qui se cristallise entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ?

Il faut des gens qui continuent les réformes économiques, car si vous avez une économie qui fonctionne, vous pouvez apporter du bien-être à vos compatriotes et vous pouvez vous occuper ensuite des problèmes d’environnement. Que l’on soit de gauche ou de droite, on a besoin de pragmatisme. Il faut travailler avec les chefs d’entreprise. Aucun pays au monde n’a pu apporter du bonheur à ses compatriotes sans une économie forte. Quand j’entends des partis politiques d’extrême gauche ou d’extrême droite qui négligent l’économie, ou qui veulent revenir à la retraite à 60 ans, ce qui est une aberration, alors que toute l’Europe est entre 65 et 69 ans, comme les Danois, je me dis que ces gens n’ont rien compris. Les partis populistes qui racontent n’importe quoi sur le plan économique et social me gênent profondément. Ensuite, il faut du courage pour engager un maximum de gens autour d’une vision positive. Les tensions qui existent sur la question du climat ou de l’environnement, ce sont des opportunités de marché, d’innovation et de recherche. Les partis politiques qui ne connaissent pas l’entreprise sont totalement disqualifiés à mes yeux. Il faut des gens très pragmatiques. Ensuite, il y a des problèmes régaliens à régler, autour de l’autorité, l’immigration et la non-intégration. J’explique que le travail peut aussi permettre d’intégrer des gens qui viennent de l’étranger. On intègre d’autant mieux les gens quand on leur apprend un travail, la langue du pays et la fierté du pays d’accueil. Pour qu’une communauté humaine soit heureuse, il faut la fierté du passé, être fier de la France et de son passé, ensuite, l’enthousiasme du temps présent, être content de sa situation et, si l’on n’est pas content, changer de boulot – le plein emploi permettra cela – et, enfin, l’espoir que les choses iront mieux. Si vous n’avez pas l’espoir que la situation va s’améliorer, vous avez un phénomène de type Gilets jaunes et vous nourrissez des haines et des rancœurs. Les Trente Glorieuses, avec le général de Gaulle et Georges Pompidou, ont permis de bâtir des empires industriels, de créer des autoroutes de l’information et des TGV. On a une fierté immense de cette période. Malheureusement, les Trente Piteuses, avec les 35 heures, n’ont pas amené cette fierté. Si des entreprises veulent passer à la semaine de quatre jours, bravo, qu’elles le fassent, mais on ne doit pas l’imposer à tout le monde. Il y a aussi des problèmes de modèles économiques à respecter. En France, on a trop souvent voulu imposer des choses d’en haut, sans écouter les gens du terrain.

Écrit par Rédaction

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