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Rachida Dati : « Nous ne sommes pas un pays de communautés, mais un pays de citoyens. »

Rachida Dati dans le studio de Kernews

Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement de Paris et ancienne ministre de la Justice, fait partie des personnalités citées parmi les présidentiables, avec un discours sans langue de bois à l’égard de l’électorat de droite. Elle est venue dans le studio de Kernews pour répondre aux questions de Yannick Urrien.

Extraits de l’entretien

Kernews : Quel regard portez-vous sur la situation de notre pays, notamment cette explosion de violence et un certain refus de la classe politique et médiatique de mettre les bons mots sur les maux qui affectent notre pays ?

Rachida Dati : Aujourd’hui, notre pays est à terre. Il est à terre économiquement, il est à terre en termes d’autorité et de sécurité, il est à terre en termes d’inégalités puisque les inégalités se sont fortement aggravées depuis 2017. La sécurité a explosé depuis 2017 et, la crise sanitaire aidant, nous sommes dans une crise économique sans précédent. Ce gouvernement a une politique économique qui est celle du carnet de chèques, mais à un moment donné les Français vont passer à la caisse, car il ne faut pas croire que c’est de l’argent virtuel. Soit on veut faire de l’inflation et tout va augmenter, donc cela va aggraver le problème de pouvoir d’achat des Français, soit on endette le pays, les Français paieront cela par des impôts et ce seront toujours les mêmes qui paieront : c’est-à-dire ceux qui travaillent et les classes moyennes. On aura la facture après 2022 et c’est ce sur quoi compte Emmanuel Macron. D’un point de vue de l’autorité et de l’insécurité, le président de la République, comme d’ailleurs le ministre de l’Intérieur, commente sans agir. Il y a un débat entre le président de la République et son ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin parle d’ensauvagement de la société et Emmanuel Macron dit qu’il n’aurait pas employé vraiment ce terme, mais qu’il aurait parlé d’une banalisation de la violence. Je vais rappeler à ces gens que l’un est président de la République et l’autre ministre de l’Intérieur : on ne doit pas assister à un Sudoku, il s’agit de la sécurité des Français !

Pourquoi a-t-on si peur de nommer les choses, notamment sur la progression de l’islam radical et l’atmosphère de guerre civile dans certaines banlieues ?

Parce que nous arrivons à la limite de ce que l’on appelle le Nouveau Monde. Dès le premier jour, ce Nouveau Monde était un leurre. La fonction présidentielle, comme la fonction de ministre de l’Intérieur, cela ne s’improvise pas. Ce n’est pas un casting. Quand on est président de la République, on doit avoir une vision, une ambition pour son pays et une certaine expérience. Vous pouvez avoir le meilleur cv du monde, mais si vous n’avez pas la bonne expérience, vous pouvez vous planter. Être président de la République, ce n’est pas un job comme un autre !

Antoine Pinay ou René Monory n’avaient pas forcément les meilleurs cv du monde, mais ils ont laissé de très bons souvenirs aux Français…

René Monory avait une expérience !

Vous n’aviez pas forcément le meilleur CV du monde pour devenir ministre de la Justice…

J’étais magistrat… Maintenant, si vous parlez du destin, évidemment, je n’étais peut-être pas faite pour devenir un jour Garde des Sceaux, puisque mes parents étaient analphabètes. Ils sont arrivés en France dans les années 60. Mon père était ouvrier et il était improbable que je devienne Garde des Sceaux en une génération. Pour autant, je crois en la politique, je crois au volontarisme et je crois à l’action. Je crois en la politique qui change le destin des gens et c’est de cette manière que je me suis engagée auprès de Nicolas Sarkozy avec le succès que l’on connaît, puisqu’il était aussi improbable pour lui de devenir président de la République. Certains, y compris ceux qui l’ont critiqué, s’accordent maintenant à dire qu’il a été un bon président de la République, malgré les vents contraires, puisque nous avons été confrontés à la plus grande financière mondiale que l’Europe ait jamais connue.

Votre électorat reproche toujours à votre camp une certaine mollesse. Que leur répondez-vous ?

Nous avons subi les affres de la division au sein de ma famille politique, c’est le premier point. Le deuxième aspect, c’est le piège tendu par Emmanuel Macron à certains de ma famille politique. Certains ont trahi leurs valeurs et leur famille politique. D’autres espéraient un hochet auprès d’Emmanuel Macron, au détriment de leurs valeurs et au détriment du pays, et ils l’ont payé très cher. J’ai dit récemment que tous ceux qui ont tenté des alliances opportunistes avec la République en Marche, à droite comme à gauche, ont perdu parce que l’opportunisme et la trahison, cela ne paie pas.

Comment préparer 2022 ? Si vous arrivez à l’Élysée, quelles seront les premières décisions que vous prendrez ?

La première décision, c’est de rétablir l’autorité et d’avoir une politique de sécurité extrêmement claire, avec une politique judiciaire tout aussi claire. Aujourd’hui, le problème de la délinquance, c’est que la majorité des personnes interpellées dans toutes les violences sont souvent des mineurs ou des jeunes majeurs et les dispositifs applicables ne sont plus adaptés, d’autant qu’ils ont été extrêmement affaiblis sous le quinquennat de François Hollande. Si, demain, je devais restaurer l’ordre et l’autorité, d’abord je rétablirais les peines planchers applicables aux mineurs, comme aux majeurs, qui sont extrêmement dissuasives et qui sont extrêmement fermes quand elles s’appliquent. Ensuite, il faudrait construire des centres éducatifs fermés. Dans les établissements pour mineurs que j’avais créés, il y avait une obligation d’activité et de formation et, avant toute sortie, on préparait la réinsertion. Chaque mineur sortait avec un projet et une solution. C’est de cette manière que l’on réduit la délinquance et que l’on ne perd pas en route des mineurs dans une spirale délinquante. Ensuite, il faut réduire les inégalités, notamment à l’école, en mettant en place des études dirigées, un vrai soutien au moment de l’école maternelle et primaire, comme nous l’avions fait lorsque nous étions au pouvoir, avec la création d’internats d’excellence qui ont été supprimés par la gauche. Sur le collège, il faut créer l’apprentissage à partir de 14 ans, parce qu’il y a des enfants qui ont des incertitudes à un moment donné, qui ne sont pas faits forcément pour l’école dite classique et qui sont souvent intéressés par un métier ou une formation. Si l’on peut leur donner cette opportunité de faire de l’apprentissage dès l’âge de 14 ans, soit ils s’y intéressent et ils continuent sur cette voie, soit cela peut être pour eux un moyen de ne pas décrocher scolairement et de revenir à une scolarité plus classique. Bien au-delà, sur les formations supérieures, vous avez beaucoup de bacs professionnels et de bacs techniques, à côté des bacs généraux, et je trouve que les passerelles vers des formations supérieures, comme des écoles d’ingénieurs ou de commerce, ne sont pas assez développées. Qu’a démontré le confinement ? Que les emplois les plus précaires et les moins qualifiés étaient les plus utiles à la société. La France a tenu grâce à ces emplois. Aujourd’hui, si vous êtes aide à domicile ou aide-soignant dans un EHPAD, vous êtes mal payé et vous ne pouvez pas évoluer.

En plus, vous êtes peu considéré…

Ce n’est même pas peu considéré : vous êtes invisible dans la société ! On dit qu’il faut augmenter les salaires et donner plus de moyens, mais parfois il suffit de développer des passerelles et de reconnaître des formations. Peut-être que l’aide-soignante qui est dans un EHPAD pourra devenir infirmière un jour sans que cela soit le parcours du combattant ou qu’on lui demande de repasser le bac ou le brevet des collèges alors qu’elle a quitté l’école à 14 ans. L’autre aspect, et je sais que c’est un sujet que vous connaissez, c’est celui du logement qui est capital. Aujourd’hui, on a des territoires perdus de la République dans des ghettos, mais le ghetto n’est pas tombé du ciel : à un moment donné, il y a eu une politique du logement qui a favorisé ces ghettos. Par exemple, on a déversé des milliards sur l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) et pour quels résultats ? Une criminalité qui a augmenté, un communautarisme qui s’est développé et une radicalisation qui n’a eu de cesse de se développer aussi. Ce sont nos impôts ! C’est pour cela que, quand on me dit qu’il faut encore plus d’argent, je dis qu’il faut peut-être arrêter d’arroser et qu’il faut revoir notre politique du logement. Il faut revoir notre politique de formation professionnelle, il faut revoir notre politique d’éducation, il faut revoir notre politique de sécurité, il faut revoir notre politique judiciaire… Et notre politique économique ira de pair.

Que faire face à la montée de l’islam radical en France ? J’ai connu l’islam d’Hassan II, de Saddam Hussein ou de Bourguiba, l’islam où les femmes étaient en minijupe…

Et même en France ! Mes parents étaient musulmans et ils n’ont pas posé de problèmes à la société française. À un moment donné, on a laissé se perdre ces territoires de la République. J’en veux beaucoup à la gauche. J’ai été élevée dans les cités, j’ai vu ces cités se paupériser et se ghettoïser, et la gauche a une responsabilité. Non seulement, elle a favorisé ces ghettos, mais avec le combat initial de SOS Racisme, notamment, elle a créé un droit la différence. Je pense que nous ne sommes pas un pays de communautés, mais un pays de citoyens. On a favorisé le communautarisme en disant à ces gens qu’ils avaient droit à une différence. Ces différences sont devenues des identités et cette identité n’est pas une identité républicaine. Je ne suis pas théologienne, je dis simplement que nous n’avons pas été assez fermes avec ceux qui ne respectent pas les lois de la République. On a essayé de les comprendre, on a essayé de les excuser, on a essayé de dire que finalement cela ne dérangeait pas grand monde… Ces petits compromis sont devenus des compromissions et ces compromissions sont devenues des ségrégations.

Pourra-t-on réussir cette intégration tout en renouant avec notre histoire ?

Ne croyez-vous pas que tous ces débats sur les ancêtres des ancêtres et sur notre histoire sont des prétextes ? Là encore, notre histoire est notre histoire. L’histoire est l’affaire des historiens. C’est une œuvre collective. Nous sommes collectivement responsables par rapport à notre histoire, quelle qu’elle soit et, aujourd’hui, on repart sur la culture de l’excuse. Avant, l’excuse, c’était : les pauvres viennent d’arriver, ils ont droit à la différence. Maintenant, c’est le droit à une histoire différente. Je ne tomberai pas dans ce piège du prétexte et de l’excuse.

Sur la question de la fiscalité, nous sommes toujours le pays le plus taxé : êtes-vous d’accord pour dire que cela ne peut plus durer ?

C’est ce que je viens de vous dire : nous avons une politique du carnet de chèques que l’on va payer très cher. À un moment donné, des citoyens ne voudront plus être dans cette solidarité, parce qu’ils ne sont pas responsables de cette gabegie.

À un moment, il y avait des gens qui voulaient quitter la Sécurité sociale pour aller vers des assurances privées et on leur a tapé dessus…

Je tiens à notre héritage du Conseil National de la Résistance et à cette protection sociale qui est fondée sur la solidarité. C’est ce qui permet aussi une égalité des chances, notamment en termes de soins. Mais, quand cette protection sociale ne pourra plus être assurée financièrement – regardez la dette publique et les dépenses de santé – la qualité des soins va diminuer et l’on va encore avoir une médecine à plusieurs vitesses. D’ailleurs, on y est déjà, puisque tout le monde n’a pas accès à la même qualité des soins.

Êtes-vous favorable à une baisse forte de la fiscalité dès les premiers mois du quinquennat, pour vraiment donner un signe fort aux Français ?

Rappelez-vous : quand Nicolas Sarkozy a été élu en 2007, il a fait un bouclier fiscal pour que l’impôt des plus riches ne dépasse pas un certain seuil et, quand la richesse des citoyens est investie dans l’économie française, il peut y avoir un avantage. Cela permet de retenir la richesse produite par nos citoyens. Il a mis en place cet avantage fiscal et, pour ceux qui travaillent, qui contribuent aussi à la richesse, il a instauré les heures supplémentaires défiscalisées. Toute personne qui contribue à la richesse du pays a ainsi un avantage fiscal. Les enseignants sont venus me voir après l’élection de François Hollande et beaucoup avaient perdu sur leur pouvoir d’achat en raison de la suppression de cette mesure. Il faut donner des signes forts. La politique, c’est aussi des symboles. Et il faudra revoir le système de protection sociale. Il y a également la question du grand âge. On l’a vu avec la Covid-19 qui a révélé toutes les faiblesses de notre système : par exemple, la dépendance vis-à-vis de la Chine, notre absence de souveraineté sanitaire, les personnes âgées que l’on a abandonnées, l’accès aux soins qui étaient assez inégal, tous les métiers qui tiennent le pays qui ne sont ni reconnus, ni récompensés…

Que pensez-vous des politiques des élus écologistes qui se servent de leur idéologie comme d’un cheval de Troie en faveur de la décroissance ?

L’enjeu environnemental est l’affaire de tous. Ne croyez-vous pas que vous avez intégré cet enjeu environnemental dans votre quotidien ? On fait tous attention, on ne se nourrit plus de la même manière, on ne se déplace plus de la même manière… Tous ces enjeux ont intégré notre quotidien. Simplement, comme ces enjeux sont devenus des priorités pour les Français, on a considéré que les écologistes avaient le monopole de ces questions environnementales. À Paris, la priorité des écologistes, ce n’est pas de faire de la protection environnementale. Ils défendent des minorités, ils jugent tout le monde et ils font des procès à tout le monde. Je considère que l’environnement mérite beaucoup mieux que tout cela. Aujourd’hui, cela fait bien longtemps que les entreprises ont intégré aussi cela. Il y a maintenant des rapports d’activité et de développement durable. Donc, tout le monde s’est engagé sur cette voie.

Vous apparaissez dans tous les sondages comme la personnalité politique qui n’a pas peur de prendre des coups…

Je me souviens d’un échange que j’ai eu avec Simone Veil, elle me disait : « Plus je vous vois, plus je me dis que, quand j’étais au pouvoir, je n’en ai peut-être pas fait assez… » Elle me disait cela parce que, quand on est élu, c’était le moment d’agir. Je ne suis pas là pour préserver une position ou un poste, j’ai envie de me battre et de continuer de mener mes combats. Je ne vais pas me taire, je ne vais quand même pas avoir peur, sinon je vais le regretter. Je pense qu’il y a beaucoup de Français qui se retrouvent dans ce que je suis et dans mon parcours. Je ne vais quand même pas décevoir tous ces gens qui peuvent se dire que tout sera possible pour leurs enfants si, pour moi, cela a été possible. Je ne veux pas décevoir ceux-là et ce sera toujours le sens de mon combat. Mes combats ne sont pas terminés. Même quand vous avez gagné un combat, il n’est jamais acquis, il faut toujours demeurer vigilant.

Vous évoquez la mémoire de Simone Veil qui, lors de son discours historique sur l’IVG, avait bien précisé les limites éthiques et morales qu’elle fixait. Or, cet été, le gouvernement a voulu étendre le délai légal jusqu’à neuf mois sous condition de détresse psychosociale. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Les lois sur la bioéthique concernent tous les aspects de la vie. L’IVG, cela peut vous renvoyer à des expériences personnelles. Ce sont des expériences que j’ai connues puisque j’ai été magistrat. J’ai vécu dans une cité où les femmes étaient en détresse, elles ne pouvaient pas parler. Ce sont des sujets très graves. On a traité cela comme une question technique, de façon bâclée, en catimini, en plein été, alors qu’il n’y avait personne dans l’hémicycle… Cela en dit long sur ce gouvernement.

Écrit par Rédaction

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