La grande puissance de demain sera celle qui maîtrisera l’intelligence artificielle.
L’entrepreneur Rafik Smati présente son nouvel ouvrage, « Le Nouveau Temps – Comment reprendre le contrôle à l’ère de l’IA ». Il souhaite offrir des perspectives pour comprendre et naviguer dans un monde transformé par l’intelligence artificielle. Dans ce contexte d’évolution rapide, marqué par l’avènement de l’intelligence artificielle, l’humanité se trouve confrontée à un choix déterminant : embrasser le changement ou être irrémédiablement dépassée. Dans cet ouvrage, l’auteur nous plonge au cœur de ces turbulences et met en lumière la métamorphose radicale qui s’opère dans tous les aspects de notre existence, du travail à l’éducation, de l’environnement à l’économie…
« Le Nouveau Temps – Comment reprendre le contrôle à l’ère de l’IA » de Rafik Smati est publié aux Éditions Eyrolles.
Kernews : Il y a quelques années, vous aviez créé votre parti politique, Objectif France. On voit bien qu’il est extrêmement complexe de lancer un parti. Pourquoi est-il aussi difficile de faire de la politique en France lorsque l’on est indépendant ?
Rafik Smati : La bataille des idées, que ce soit sur le terrain politique ou associatif, c’est quelque chose qui est toujours difficile. Aujourd’hui, Objectif France n’est plus un parti politique, c’est un mouvement d’idées. Mais j’ai remarqué que les règles qui régissent le fonctionnement du monde politique sont aux antipodes de celles qui régissent le monde des entrepreneurs. Un entrepreneur est dans le rationnel et la logique, alors qu’en politique c’est l’opposé. Si vous n’êtes pas à l’aise avec une certaine forme de mauvaise foi, ou une certaine façon de louvoyer, c’est que vous n’êtes pas totalement fait pour faire de la politique. Ce que j’ai trouvé le plus amusant en politique, c’est que ceux qui vous envoient le plus de peaux de banane sont ceux dont vous êtes supposés être idéologiquement les plus proches… C’est profondément différent d’une logique entrepreneuriale car, si l’on est bon, ça marche, si on n’est pas bon, ça ne marche pas. Et tout cela est cohérent. J’ai énormément d’admiration pour ceux qui font de la politique au niveau local, c’est difficile. Les maires ont une pression extraordinaire, alors que la politique nationale est quelque chose de différent. Mais je continue de m’engager dans le débat public, parce que j’aime mon pays. Je veux faire bouger les lignes, mais je le fais différemment.
Vladimir Poutine disait, il y a quelques années, que le pays qui maîtrisera l’intelligence artificielle deviendra le maître du monde
Pourquoi publier un livre sur l’intelligence artificielle, alors que c’est un sujet qui n’intéresse pas 90 % de nos concitoyens ? À l’Assemblée nationale, il y a seulement une dizaine de députés qui ont compris les enjeux réels de l’intelligence artificielle…
Vous êtes généreux ! En réalité, c’est un sujet qui n’est pas du tout au cœur du débat public, alors que l’intelligence artificielle devrait faire la une de tous les journaux télévisés. Je veux bien que l’on évoque des polémiques sur les punaises de lit, mais cette fois-ci il s’agit d’un tsunami qui va tout remettre en cause, avec des millions de personnes qui vont avoir leur vie professionnelle remise en cause au cours des prochaines années. Beaucoup de métiers vont disparaître et l’on n’est pas du tout préparé à cela. Il y a aussi des conséquences sur l’éducation, notamment sur la manière dont on forme nos enfants. On rentre dans un monde hautement technologique, où les compétences en sciences seront primordiales, et nous sommes complètement à la ramasse ! Même le rapport à la santé va être bouleversé avec l’avènement de l’intelligence artificielle. Pour la première fois, nous sommes face à une créature qui peut potentiellement remettre en cause ce que nous sommes en tant qu’humains. C’est un sujet majeur, qui devrait faire l’objet de toutes les attentions. Les enjeux politiques sont énormes. L’intelligence artificielle a besoin d’être alimentée par de la donnée, ce sont les géants du numérique qui contrôlent tout cela et, en Europe, on se contente de vouloir réguler l’intelligence artificielle ! C’est typiquement dans la façon de régir les affaires publiques depuis un bon moment. Ronald Reagan disait que quand il y a une innovation, les Américains veulent en faire un business, les Chinois, la copient, les Européens la régulent, et les Français l’attaquent… Les cartes de la géopolitique mondiale sont en train d’être redistribuées autour de l’intelligence artificielle. Vladimir Poutine disait, il y a quelques années, que le pays qui maîtrisera l’intelligence artificielle deviendra le maître du monde.
Les dictatures se posent la question de ce qu’elles seront dans 20 ou 100 ans…
Henri Guaino raconte une anecdote récoltée pendant la campagne d’un député qui évoquait la guerre en Ukraine, lors des dernières élections législatives, et où un électeur lui a répondu : « Maintenant, revenons sur Terre… » Tout ce qui a des conséquences majeures sur notre avenir, sur le plan géopolitique ou technologique, n’intéresse pas les gens. Par exemple, lorsque l’on évoquait le projet de DPE énergétique, il y a deux ou trois ans, on s’entendait dire : « Vous êtes complotiste, il n’y aura pas d’interdiction de louer son bien si l’on ne fait pas de travaux ! » Aujourd’hui, c’est une réalité…
Je rejoins ce que vous dites. C’est ce que j’ai voulu décoder dans mon livre, pour comprendre ce changement par rapport au temps. Nous sommes dans une société de vitesse et d’accélération où le court terme tend à prendre la primauté sur tout le reste. Je suis convaincu, parce que je suis entrepreneur, que la destinée d’une collectivité, d’une entreprise ou d’un pays, ne peut se concevoir que sur le long terme. Ce sont les buts qui comptent, car c’est ce qui permet de dérouler une stratégie et une tactique. Aujourd’hui, nous sommes dans un système qui est littéralement inversé. Personne ne se penche sur la France que nous voulons dans 20 ou 100 ans. Les dictatures se posent la question de ce qu’elles seront dans 20 ou 100 ans…
En Russie, en Inde, en Chine, ou en Turquie, ils savent très bien où ils veulent aller…
Exactement. Ils ont cette vision. Cet horizon de long terme, c’est quelque chose que nous devons intérioriser. Aujourd’hui, nous sommes dans un véhicule qui va de plus en plus vite, dont on n’a pas le contrôle et dont on ne sait pas où il va. Que le véhicule aille de plus en plus vite, cela ne me dérange pas, mais il faut avoir la maîtrise du véhicule, donc le ralentir si c’est nécessaire, et puis surtout avoir une idée de la destination.
Pour appréhender les enjeux de l’intelligence artificielle, il faut dépasser le cadre de Chat GPT, en allant plus loin, afin de bien faire comprendre qu’il s’agit d’un modèle de civilisation qui aura un impact sur toute notre vie…
Pour le meilleur et pour le pire. Si l’on sait jouer dans le rapport de forces planétaire qui est en train de se mettre en place, on sera capable de faire de grandes choses, car on est un pays d’ingénieurs, de mathématiciens et d’entrepreneurs. On peut rafler la mise. On a raté un certain nombre de batailles industrielles, notamment la première bataille de l’Internet, mais on a la possibilité de remettre les compteurs à zéro. Si l’on ne monte pas dans ce train et si l’on décide d’être excessivement régulateur, ou tout simplement passif, les autres ne vont pas nous attendre et nous serons les dindons de la farce de cette révolution. C’est un choix assez binaire et c’est surtout un sujet majeur sur tous les plans.
Ce qui importe, ce sont les données. Si l’on rentre exclusivement des données anglo-saxonnes, que ce soit sur le plan du droit ou de la culture, cette intelligence va raisonner différemment de ce que nous pensons. Cette intelligence peut aussi nous détourner de nos points forts pour nous entraîner sur le terrain de nos adversaires…
C’est pour cette raison que je mets en avant le génie créatif français. Prenons l’exemple d’une société comme Mistral AI qui vient de lever plus de 300 millions de dollars pour son développement. Cette entreprise développe un produit qui est comparable à ce que fait Open AI avec Chat GPT, en plus c’est open source. La révolution de l’IA nous permet de remettre les compteurs à zéro. Encore faut-il que nos entrepreneurs n’aient pas un boulet aux pieds dès qu’ils commencent à grossir.
La banque centrale pourra délivrer une monnaie qui sera périssable dans le temps, ou réservée à un certain type d’usage
Évoquons maintenant la disparition de l’argent liquide et le développement de la monnaie numérique, car tout cela aura des conséquences que l’on ne soupçonne pas. Par exemple, on disait que le passe sanitaire était le début du crédit social : cela va-t-il se prolonger et croître avec la monnaie numérique ?
La Banque centrale européenne a décidé d’avancer sur la question de la monnaie numérique. C’est vraiment vertigineux ! C’est un compte bancaire que vous n’aurez plus dans votre banque de dépôt, mais directement auprès de la Banque centrale européenne. À partir de là, la Banque centrale européenne pourra décider de distribuer de l’argent par hélicoptère, donc ce sera directement utilisable par les particuliers et c’est quelque chose qui pourra booster la consommation. À l’inverse, elle pourra aussi décider de taxer les dépôts pour vous inciter à dépenser votre argent. Comme ce sera une monnaie totalement numérique, la banque centrale pourra délivrer une monnaie qui sera périssable dans le temps, ou réservée à un certain type d’usage. Par exemple, on pourra vous verser 1000 € en expliquant que cette somme ne pourra être utilisée qu’avant une date précise dans tel ou tel secteur d’activité. En tirant le fil, on peut arriver à avoir une banque centrale qui aura un rôle économique, budgétaire et social et qui sera donc un élément central de nos sociétés. Le seul problème, c’est qu’elle est indépendante. Comment pourrions-nous accepter que l’entité suprême, qui peut imprimer la monnaie, et qui peut décider de flécher la manière dont on dépense notre argent, soit autonome ? C’est la raison pour laquelle je propose que le président de la Banque centrale européenne soit élu au suffrage universel direct par les citoyens. Sinon, il y aura un décalage entre le monde démocratique, qui n’aura pas une grande marge de manœuvre, et le monde technocratique qui tirera les ficelles de l’économie, de la finance et du social. La seule façon de résoudre cette équation, c’est d’accepter l’idée de mettre en place de la démocratie dans ce système. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est ce qui va se passer dans une dizaine d’années… Je mets le sujet sur la table, pour qu’il soit dans le débat public et que l’on s’en empare de manière démocratique. C’est un autre paradigme économique et financier.
Imaginons cette élection au suffrage universel. Vous aurez des gens qui vont soutenir un candidat en alléguant qu’il est pour le crédit carbone, qu’il va limiter le nombre de voyages par avion, qu’il va interdire de prendre sa voiture trop souvent pour partir en week-end, et il y aura peut-être une majorité qui va voter pour cette personne…
Je ne suis pas totalement d’accord avec vous, car il y a aujourd’hui un décalage assez abyssal entre ce que sont réellement les Français et certaines déclarations complètement exubérantes de certains politiques hors-sol. Vous faites référence à l’interdiction de l’avion. C’est le propre de la période, ce sont des propos excessifs qui font le buzz sur les réseaux sociaux. Cela donne l’illusion que c’est l’opinion, mais vous savez aussi bien que moi que l’opinion est beaucoup plus mesurée et pertinente. Les gens ne sont pas dupes de cette mascarade qui est portée par certaines personnes qui ne cherchent qu’à faire des coups d’éclat.
Mais l’opinion se laisse traverser par de nouvelles lois, de nouvelles normes, de nouveaux décrets qu’elle doit subir…
Tout à fait, c’est l’inflation technocratique. Nous avons un peuple qui sait se réveiller. La France est un pays qui, contrairement à d’autres, a la particularité d’avancer, non pas de manière linéaire, mais par paliers. On s’endort pendant quelques années, on décline, et puis on a un électrochoc et cela repart. Ensuite, vous avez une profusion créatrice et l’on devient un phare qui éclaire le monde. C’est pour cette raison que j’aime profondément notre pays. Nous sommes à l’aube d’un moment de cette nature, à condition que chacun soit à son poste. Donc, il faut faire passer l’idée que le pire n’est pas certain. Je ne suis pas naïf sur les problèmes que nous rencontrons. Je sais que la réalité quotidienne est profondément difficile. Pour autant, je préfère m’accrocher aux branches de l’espoir, qui ne sont pas des utopies, parce que nous avons les moyens d’être à l’aube d’une renaissance.
Pour que le pire ne se produise pas, il faut aussi l’éventualité du pire, et ne pas rester avachi sur son canapé…
C’est d’ailleurs le sens d’un chapitre de mon livre, sur l’hiver technologique. Je développe l’idée des signes noirs, des moments maléfiques de l’histoire qui peuvent tout bousculer. Je passe en revue un certain nombre de risques. Il faut réhabiliter le long terme comme horizon de pensée.