L’avocat estime inconstitutionnel le projet de Bruno Le Maire visant à différencier les prix du gaz et de l’électricité en fonction des revenus
Régis de Castelnau est réputé pour ne jamais manier la langue de bois. Ses prises de position non-conformistes en font l’un des avocats les plus médiatiques du moment. L’animateur du blog « Vu du droit » est spécialisé en droit public et en droit pénal de la gestion publique. Il est aussi connu pour avoir été dans les années 70 l’avocat du Parti communiste et de la CGT. Le 15 avril dernier, avant le second tour de l’élection présidentielle, il a signé un billet d’humeur intitulé « Moi, communiste patriote, je voterai Marine Le Pen ».
Régis de Castelnau est en colère. Il rappelle que Bruno Le Maire avait affirmé il y a quelques mois que l’économie russe serait à terre, alors que maintenant ce sont les Français qui sont à terre avec l’augmentation des prix de l’énergie. L’avocat considère inconstitutionnel le projet du ministre de l’Économie, qui entend faire varier les tarifs du gaz et de l’électricité selon les revenus.
On entend partout dire que l’hiver sera épouvantable pour les Français…
Kernews : Depuis quelques semaines, vous battez des records de partage sur les réseaux sociaux en défendant un autre discours sur la guerre en Ukraine. Quelle est votre analyse ?
Régis de Castelnau : Lorsque la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine, j’ai été surpris par cette offensive. Je ne m’y attendais pas, alors que la situation qui prévalait dans ce pays depuis 2014, avec le coup d’État de Maïdan, aurait dû me montrer que c’était inéluctable. Notamment lorsque les Russes ont dit à l’automne dernier qu’il y avait des lignes rouges, avec un non-respect des engagements concernant l’élargissement de l’OTAN, et surtout sur la manière dont sont traitées les populations russophones en Ukraine. Les Russes ont demandé un travail diplomatique pour obtenir une organisation de sécurité collective, les Américains ont refusé, et les choses se sont envenimées. Le régime de Kiev a commencé une offensive dans le Donbass et les Russes sont arrivés à la conviction qu’il y aurait une offensive sur le terrain et qu’il était impératif qu’ils interviennent. Tout d’un coup, on a vu cette guerre de haute intensité en Europe centrale, alors qu’il aurait fallu essayer de mieux comprendre la situation en donnant toutes ses chances à la diplomatie. La France et l’Union européenne, sur injonction des États-Unis, il faut être clair, se sont lancées dans une contre-offensive économique un peu folle. On a eu ce glorieux ministre de l’Économie qui est venu nous dire que nous allions casser l’économie russe et que les Russes seraient à terre. Malheureusement, je constate aujourd’hui que personne n’ose lui rappeler cela, alors que l’on entend partout dire que l’hiver sera épouvantable pour les Français…
La Russie subit probablement quelques inconvénients, mais sur le plan économique sa situation est bien meilleure que celle des pays qui ont prétendu la mettre à terre
Bruno Le Maire avait prédit un hiver épouvantable pour les Russes, mais pas pour les Français…
Plus personne ne vient lui demander où il en est de la destruction de l’économie russe, alors que tout le monde sait que c’est exactement le contraire qui se produit. Une espèce de folie s’est emparée de l’Europe, un syndrome anti russe qui s’est étendu à la culture, à la littérature, une pulsion assez étonnante, avec une volonté d’affrontement économique. Aujourd’hui, le constat est clair : la Russie subit probablement quelques inconvénients, mais sur le plan économique sa situation est bien meilleure que celle des pays qui ont prétendu la mettre à terre. Cette pulsion initiale s’est accompagnée d’un déferlement de propagande assez effarant. On nous a asséné que la Russie allait trouver sa perte et que l’armée russe était défaite. Je me suis intéressé à cette situation, grâce à mes contacts, grâce à des informations en provenance d’experts militaires, et tout le monde m’a confirmé que les médias racontaient n’importent quoi. On nous a expliqué que les Russes allaient faire une Blitzkrieg. Or, c’est faux, ils n’ont jamais fait cela dans leur histoire militaire et ils ont des conceptions stratégiques très différentes des théories de l’armée allemande. Donc, on s’est retrouvé avec des narratifs qui sont inaptes. Récemment, Gérard Larcher, président du Sénat, est allé à Kiev en disant que l’Ukraine allait gagner la guerre sur le terrain, cela n’a pas de sens ! Les militaires qui sont sur les plateaux de télévision savent très bien qu’ils racontent n’importe quoi, mais ils font cela parce qu’ils ne peuvent pas dire autre chose. En plus, certains sont au service d’intérêts étrangers. Un général qui a fait toute sa carrière à l’OTAN ne va pas dire le contraire du narratif otanesque… Donc, je veux donner un autre son de cloche sur ce conflit, car j’estime que c’est la réalité.
J’entends Gérard Larcher dire qu’il faudra juger Poutine pour ses crimes, mais je ne l’ai pas entendu dire qu’il fallait juger George Bush pour ses crimes
Vous savez que 80 % des Français peuvent être choqués par votre discours car, peu importent les raisons historiques, on va vous répondre que c’est un État belligérant, la Russie, qui a envahi un État souverain, en l’occurrence l’Ukraine…
J’ai regardé les études et l’on est bien au-delà de 20 % de gens qui n’adhèrent pas à ce narratif : ce serait plutôt 40 %. On parle de l’Ukraine, mais il faut savoir que l’Ukraine est le théâtre d’opérations d’un affrontement planétaire. Les Américains ont changé les règles du droit international établies après la Deuxième Guerre mondiale, en évoquant la mondialisation moderne et contemporaine de la domination occidentale, mais aujourd’hui tout cela est en voie de déclin. On nous dit que la Russie est isolée, mais quand vous voyez la carte du monde, ce n’est pas vrai ! On peut le déplorer, mais lors de la réunion des BRICS, qui représentent 3,5 milliards d’habitants, la position était différente de celle de l’Occident. Je vous rappelle que le G7 représente 700 millions de personnes. L’émergence de la Chine pose un réel problème aux États-Unis, une puissance incontestablement en déclin. Ce pays est en état de guerre civile culturelle. Regardez ce qui se passe sur la question de l’avortement… Ce pays est dirigé par un vieillard sénile, on se rend compte tous les jours que c’est une momie. Vous évoquez les principes, avec l’invasion de l’Ukraine, mais c’est toujours à géométrie variable. Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé en Irak, en Serbie ou en Libye. Ceux qui viennent vous donner des leçons en disant que l’on ne peut pas admettre l’invasion d’un pays par un autre ont très largement et facilement admis cela lorsqu’il s’agissait de l’Irak ! J’entends Gérard Larcher dire qu’il faudra juger Poutine pour ses crimes, mais je ne l’ai pas entendu dire qu’il fallait juger George Bush pour ses crimes. Colin Powell est mort dans son lit et Madeleine Albright est morte tranquillement, sans avoir jamais rendu de comptes sur la Serbie. Donc, on est dans une hypocrisie extraordinaire. Les gens refusent de voir la réalité. D’abord, l’affaiblissement de l’Occident est un fait incontestable et l’on refuse aussi d’admettre l’inanité politique de l’Union européenne, qui passe son temps à accepter des mesures mortifères pour ce qui la concerne. Vladimir Poutine a récemment dit quelque chose de très intéressant en évoquant une faiblesse de niveau chez les dirigeants de l’Union européenne et en prédisant de graves soucis politiques. Tout le monde sait très bien que l’automne va être très chaud. La crise de l’énergie va être très sévère et la récession économique va être difficile à surmonter. Je comprends très bien que nous refusions ce constat d’une Europe à la dérive, en faisant porter toute la responsabilité à Vladimir Poutine, ce qui est aussi exact, car il a quand même une part de responsabilité. Évoquons aussi l’alliance entre la Russie et la Chine. Le 4 février dernier, Vladimir Poutine était à Pékin et j’ai lu la délibération de 40 pages qui a été signée, où ils décrivent un monde sur la base de leur analyse commune, en disant clairement ce qu’ils ne vont plus accepter. J’espère que les chancelleries ont travaillé sur ce texte signé par les Russes et les Chinois, car c’est inquiétant !
Ce qui m’inquiète aussi, c’est que les Américains ont un retard stratégique de dix à quinze ans sur le plan nucléaire
Vous avez vos prises de position, mais êtes-vous vraiment objectif alors que vous avez été l’avocat du Parti communiste français ?
C’est vrai, mais je suis un patriote. La France est un grand pays, mais malheureusement elle n’est plus à sa place dans le monde. Je ne vais pas faire parler les morts, mais j’imagine quelle aurait été la position du général de Gaulle sur le rapport avec les États-Unis, et sur le rapport avec la Russie ! La Russie, c’est la Russie, ils ont leur vision du monde et il y a trois choses qui les préoccupent. D’abord, ils se sentent en insécurité géostratégique. Il ne faut pas oublier que la Russie a payé un prix abominable pour battre l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, c’est un peuple très soucieux de sa sécurité. Ensuite, il y a un problème d’identité culturelle, car ils se sentent en insécurité. Lech Walesa, reprenant les travaux d’un cercle de réflexion américain, a dit qu’il fallait décoloniser la Russie, c’est-à-dire en créant des parties plus facilement exploitables, puisque la Russie est quand même le réservoir des matières premières du monde. Les Russes sont des patriotes ardents, mais ils s’estiment en danger. Il y a une troisième chose que l’on sait moins, et il faut faire très attention à cela, c’est qu’ils se sont considérés pendant très longtemps comme la troisième Rome. Ils disent qu’aujourd’hui l’Occident est en décadence, tout ce qui relève de la cancel culture et du wokisme les exaspère, et ils pensent être la réponse à cela au profit de tout le monde. Il y a un peu de mysticisme là-dedans. Il ne faut pas oublier que la Russie a toujours été partagée entre l’Occident, avec la francophonie, et l’Asie. Or, c’est ce dernier courant qui semble l’emporter. Les Russes disent qu’il n’y aura plus de retour en arrière vers l’Occident, c’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup. Ce qui m’inquiète aussi, c’est que les Américains ont un retard stratégique de dix à quinze ans sur le plan nucléaire. L’intérêt que je porte à la Russie ne m’empêche pas de voir que la situation actuelle est dangereuse, car les Russes considèrent qu’ils sont en croisade pour sauver l’Occident. Donc, je ne suis pas du tout poutinolâtre, j’essaie simplement de comprendre l’autre camp. La seule chose qui m’anime, c’est l’intérêt de mon pays, la France, et je pense qu’aujourd’hui on se fourvoie.
Le principe général du droit est celui de l’égalité devant les charges publiques
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a indiqué que l’on allait payer ses factures de gaz et d’électricité en fonction de ses revenus. Qu’en pensez-vous ?
Cela s’appelle une monstruosité ! Le principe général du droit est celui de l’égalité devant les charges publiques. L’énergie est un service public, donc c’est un principe d’égalité qui s’applique. Ce que vient de dire Bruno Le Maire est une hérésie. Le service public peut être assuré par des sociétés privées – par exemple, Veolia traite les déchets – mais le principe d’égalité est fondamental. Pour faire cela, Bruno Le Maire a deux solutions. Soit, il fait modifier la Constitution en disant que l’on se fout maintenant de la Déclaration des droits de l’homme… Soit, il peut trouver des petites astuces, comme faire des chèques ciblés, un peu comme les allocations de rentrée, donc ce sera un cadeau de l’État pour rééquilibrer. Il va peut-être trouver quelque chose comme ça mais, sur le principe, cela devrait provoquer une levée de boucliers…
Il y a des entrepreneurs qui se donnent du mal, maintenant on va les sanctionner pour accéder à un service public
Ne pensez-vous pas qu’une majorité de Français sont favorables à ce que les riches payent plus ?
Je n’en suis pas sûr, car les dépenses sont des arbitrages. Si vous avez envie d’avoir dix écrans plats dans votre maison, c’est votre liberté… Je ne fais pas de la morale bas de gamme, je parle de droit. Évidemment, on passe son temps à faire de la démagogie, mais les principes de régulation sont intangibles. Un jour, vous irez au restaurant et on va vous demander votre bulletin de salaire, car l’addition ne sera pas la même selon vos revenus… Il y a des entrepreneurs qui se donnent du mal, maintenant on va les sanctionner pour accéder à un service public. Il ne faut pas oublier que les impôts sont progressifs, donc cela remet en cause l’ensemble du dispositif. Bruno Le Maire se retrouve dans cette situation parce qu’il est parti pour prendre des sanctions qui se retournent maintenant contre nous. On nous a dit qu’il fallait faire un embargo sur le gaz russe, les Russes sont allés vendre leur gaz ailleurs, en particulier aux États-Unis et, aujourd’hui, le gaz est coupé en Europe. Les Russes répondent que nous armons leurs adversaires, qu’on leur impose des sanctions à n’en plus finir, que l’on interdit la littérature russe dans les universités et, en plus, ils devraient être gentils avec nous ! Il suffirait de remettre en route Nord Stream 2 et tous les problèmes de l’hiver prochain seraient réglés. Bruno Le Maire nous a dit qu’il allait détruire la Russie sur le plan économique. Maintenant, il nous explique qu’il va falloir prendre des douches froides, baisser son chauffage et, en plus, que la facture d’énergie sera au prorata des revenus. Regardez où tous ces gens nous amènent ! Je rappelle que Bruno Le Maire a quand même dit que son seul handicap était son intelligence…Tout cela va à l’encontre des intérêts de notre pays. Je n’ai aucun intérêt avec les Russes, je pense simplement à l’intérêt de la France. Il ne faut pas oublier que nous avons été les garants des accords de Minsk. C’étaient des accords passés entre les Ukrainiens et les républiques séparatistes du Donbass, ces gens confrontés à l’interdiction de la langue russe et à des exactions, c’était une guerre civile, et la France et l’Allemagne étaient les garants de ces accords de Minsk. On a été incapables de faire respecter ces accords et l’on vient d’apprendre que Porochenko, président de l’Ukraine à l’époque, n’avait jamais eu l’intention de les appliquer. En ce qui concerne Zelensky, il explique que pour pouvoir les appliquer, il aurait fallu modifier la Constitution ukrainienne, mais les groupes néonazis très puissants en Ukraine de l’ouest ont dit que le premier qui toucherait à la Constitution serait exécuté. Donc, tout cela n’a pas pu se faire et la France a été défaillante. Je considère d’ailleurs que Monsieur Hollande a été déshonoré à cette occasion. Maintenant, Monsieur Macron explique à Poutine qu’il ne connaît pas le droit : c’est ce qui ressort de la conversation téléphonique qui a été publiée. Tout le monde ricane, mais Emmanuel Macron n’a jamais fait de droit ! Il a fait des études littéraires, il est entré à l’ENA et, à l’ENA , on ne fait pas de droit… La position du Président Macron était de dire que l’on se fiche de ce que pensent les républiques séparatistes, mais cela prouve qu’il n’a pas lu les accords de Minsk, puisqu’il est écrit noir sur blanc qu’il y a des discussions et des accords entre Kiev et les républiques séparatistes.
un seul commentaire! bravo pour le rappel historique et celui du droit!