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Rémy Prud’homme : « Cette attitude anti-énergie qui domine dans le monde occidental est la cause principale de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. »

Rémy Prud’homme est l’un des pères du nucléaire français. Il a siégé dans la commission PEON, à l’origine du programme nucléaire français, à la demande du Général de Gaulle. Il a été professeur agrégé en sciences économiques et il a travaillé pour la plupart des grandes organisations internationales, notamment l’UNESCO, l’OCDE, la BERD, la Banque Asiatique de Développement, la Banque Interaméricaine de Développement et la Banque mondiale. Il était intéressant d’avoir son analyse sur la crise énergétique, or il se montre plutôt optimiste.

« Les vrais responsables de la crise énergétique » de Rémy Prud’homme est publié aux Éditions L’Artilleur.

Kernews : On peut dire que vous avez baigné toute votre vie dans les sujets liés à l’environnement et à l’énergie, donc ce sont des thèmes que vous connaissez bien… On découvre que ces ministres qui étaient si fiers de fermer les centrales nucléaires il y a quelques années ne sont même plus embarrassés aujourd’hui à l’idée de défendre le nucléaire… La situation est-elle rattrapable ? 

Rémy Prud’homme : Oui. J’ai eu la chance et l’honneur de siéger dans la commission PEON (Production d’électricité d’origine nucléaire) qui a préparé le programme nucléaire français. Il n’y a pas que les politiques, un grand nombre de journalistes et d’intellectuels disaient exactement la même chose. Il est exact que le fait d’avoir condamné le nucléaire a eu pour effet que très peu de gens de qualité sont allés vers le nucléaire, puisque c’était présenté comme une activité en déclin qui allait rapidement disparaître. Donc, il y a eu un manque de cerveaux dans le nucléaire. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir construit de centrales pendant vingt ans fait qu’un certain nombre de soudeurs ont pris leur retraite et l’on manque aujourd’hui de connaissances techniques et pratiques. On est obligé d’aller chercher des soudeurs en Corée ou aux États-Unis pour faire les soudures dont on a besoin.

Vous analysez la demande intérieure depuis plusieurs semaines et vous observez une baisse globale de seulement 1 %…

J’observe une constance de la demande de la consommation d’électricité. Il ne faut pas juger sur une année. Depuis vingt ans, la consommation fluctue autour de 500 TWh, il n’y a pas de tendance très nette, au cours de l’année 2022 la tendance a été plutôt basse et il y a toutes sortes de raisons. Il y a quand même des progrès dans la technologie qui font que l’on a besoin d’un peu moins d’énergie. Il y a le recul de la production industrielle qui est très important. Mais il y a aussi des demandes nouvelles, puisque l’informatique fait augmenter la demande d’électricité. Pour le moment, la tendance est assez stable. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais la consommation habituelle ne devrait pas beaucoup changer. D’ailleurs, dans les projections qui sont faites, on explique que l’on va se jeter à corps perdu dans les véhicules électriques… Cela va augmenter la demande de 100 TWh et l’on va se jeter encore plus dans l’hydrogène, qui va aussi faire augmenter la demande. Ces deux augmentations ne sont pas impossibles, mais c’est très loin d’être certain, car nul ne peut dire si l’hydrogène va véritablement se développer. Il n’est pas certain que la voiture électrique va continuer à avoir autant de succès que le prévoient les observateurs. Du côté de la demande, il y a probablement une grande stabilité, sauf si la voiture électrique et l’hydrogène prennent le relais.

Que dites-vous aux patrons de petites entreprises qui ont actuellement la corde au cou avec cette question de l’énergie ? Faut-il ajuster son prix de vente en fonction du coût de l’énergie, ou est-ce provisoire ? 

Je pense que c’est assez largement provisoire, en particulier parce qu’une bonne partie des phénomènes, qui nous sont présentés comme des causes, ne sont pas véritablement des causes. La guerre en Ukraine, la crise sanitaire ou l’OPEP, n’expliquent en rien la hausse considérable qui est intervenue au cours de l’année 2022. Le facteur principal de cette hausse des prix – pas seulement de l’électricité, d’ailleurs, des carburants aussi – c’est que nous avons cessé d’investir au niveau mondial dans les énergies fossiles. Il y a eu, pour toutes sortes de raisons, notamment prétendument environnementales – avec cette haine du CO2 qui envahit la planète – une volonté dans les pays développés, en Europe occidentale et aux États-Unis, de réduire la production de gaz et de pétrole. Les recherches et les investissements dans l’exploration et la production ont été considérablement diminués au cours des dix dernières années et maintenant nous n’avons pas assez de pétrole et de gaz pour faire face à la demande. Si la demande stagne en France, elle ne stagne pas au niveau mondial. La demande d’énergie de la Chine et de l’Inde augmente très rapidement et c’est une bonne chose pour que ces pays sortent de la misère. La Chine est largement sortie de cette situation et c’est maintenant au tour de l’Inde. Si la demande augmente alors que l’offre diminue, il est logique que les prix augmentent. Cette attitude anti-énergie qui domine dans le monde occidental est la cause principale de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. Tout cela a un impact sur les prix de l’électricité. Mais il ne faut pas se presser de considérer que l’année 2022 marque un tournant absolument inévitable. En réalité, on voit déjà que les prix se mettent à descendre. Le prix mondial actuel du pétrole n’est pas terriblement élevé, on est aux alentours de 80 $ le baril, alors que l’on a connu au cours des trente dernières années des prix nettement plus élevés. Il faut ajouter que c’était des prix en dollars et que le glissement de l’euro par rapport au dollar est important, puisque l’euro a perdu 25 % de sa valeur : donc, pour nous, une stabilité des prix en dollars, c’est une hausse des prix du pétrole que nous achetons. Pour le gaz, c’est plus compliqué, parce qu’il y a plusieurs prix du gaz dans le monde, parce qu’il y a deux ou trois types de gaz. Il y a le gaz naturel qui se transporte en oléoduc et il y a le gaz naturel qu’on liquéfie et qui coûte plus cher. C’est le même, mais cela coûte de l’argent de le liquéfier. On peut le transporter, à condition d’avoir des ports qui sont capables de transformer ce gaz. Cela multiplie le prix du gaz par deux ou trois et le gaz naturel liquéfié est donc plus cher que celui qui vient par oléoduc. Il y a eu un choc en Europe, parce que l’Europe était très dépendante du gaz importé de Russie, à un prix bas, et, pour les raisons que vous savez, ce flot de gaz s’est tari. Donc, cela a contribué à faire monter les prix. Mais c’est en train de changer et, aujourd’hui, nous avons les prix du gaz qui sont ceux que nous avions avant la guerre d’Ukraine. La guerre d’Ukraine continue de plus belle, hélas, mais elle n’a pas un impact excessif sur tout cela. Il y a eu un choc, il a fallu un peu de temps pour que les pays européens se réorganisent, cherchent d’autres sources, construisent des terminaux méthaniers, pour que l’effet de ce choc soit atténué. Mais c’est déjà en train d’arriver. Le prix du gaz a beaucoup baissé. Le problème des prix qui ont atteint des niveaux extrêmement élevés en Europe, notamment en France, c’est que ces prix ne sont pas directement liés au prix auquel nous payons notre gaz. C’est d’ailleurs un problème très grave. J’ai essayé de calculer l’impact sur les coûts de la production d’électricité de ce qui s’est passé. Nous avons consommé plus de gaz, et du gaz payé à un prix beaucoup plus élevé, donc c’est une cause d’augmentation des coûts. Par ailleurs, le fait d’avoir moins de centrales nucléaires en fonctionnement fait que nous sommes devenus un importateur moyen, alors que nous étions avant un gros exportateur d’électricité. Donc, nous avons dû payer une partie de notre électricité au prix européen de l’électricité. Tout cela entraîne une augmentation des coûts. Mais, ce qui est triste, c’est que cette hausse du coût de l’électricité produite en France est bien inférieure aux prix qui ont été payés par les individus, et surtout par les entreprises. Pour les individus, la hausse a été modérée. Le gouvernement dit qu’elle a été limitée à 4 %, les chiffres que nous avons, qui viennent de l’INSEE, suggèrent que c’est nettement plus, mais nous sommes dans les 10 %. Évidemment, ce n’est pas négligeable pour les gens qui payent, mais ce n’est pas énorme. En revanche, les prix auxquels les commerces et les industries payent leur électricité sont beaucoup plus élevés.

Comment se fait-il qu’en France on paye l’électricité à un prix beaucoup plus cher qu’elle ne coûte à produire ? 

C’est le marché européen de l’électricité. L’électricité est vendue sur le marché européen au coût de production d’électricité en Allemagne, au moment où le prix du gaz était le plus élevé, alors que chez nous le gaz ne représente que 10 % de la production d’électricité. Ce marché allemand s’applique à nous et c’est ce qui explique pourquoi le prix de l’électricité a augmenté par deux ou trois, et parfois même dans des proportions plus considérables pour certaines factures. C’est un problème grave. Le gouvernement ne veut pas le prendre à bras-le-corps, parce qu’il a l’impression que sortir de ce marché serait un mauvais coup porté à l’Europe et, comme l’Europe est un véritable tabou, on ne peut pas faire ça. Une rente artificielle a été créée et beaucoup de gens ont gagné beaucoup d’argent parce que, si les prix de vente ont augmenté beaucoup plus que les coûts de production, cela veut dire qu’un certain nombre de producteurs ont gagné énormément d’argent sur le dos de l’industrie, ce qui n’est pas bon pour l’activité, l’emploi et le commerce extérieur de la France.

Vous expliquez aussi que les énergies renouvelables ne sont pas encore rentables et qu’elles contribuent à faire augmenter le prix de l’électricité…

Les énergies renouvelables ont deux défauts très graves. D’abord, elles coûtent cher, surtout si l’on prend en compte les coûts indirects. Plus il y a de renouvelable, plus il faut qu’il y ait d’infrastructures pour transporter l’électricité. Ce n’est pas très difficile à comprendre. Autrefois, quand il n’y avait pas de renouvelable, l’électricité était produite dans une centaine d’endroits en France, avec 25 sites nucléaires, quelques centrales au gaz et au charbon, et un petit nombre de barrages. Maintenant, vous avez 8 000 éoliennes et un bon millier de fermes solaires. Donc, prendre de l’électricité dans plusieurs milliers de points, plutôt que dans un millier, il n’y a pas besoin d’être un grand informaticien pour comprendre qu’il va falloir davantage de fils électriques et que cela va coûter beaucoup plus cher. Le défaut principal de l’électricité renouvelable, c’est qu’elle est intermittente. Elle ne fonctionne pas tout le temps et le cas le plus évident est le solaire. À 18 heures en hiver – c’est-à-dire au moment où l’on a le plus besoin d’électricité – la production solaire est égale à zéro et elle le restera. La technologie n’y fera rien. Le vent est aussi très instable, parce qu’il y a des moments où il y a beaucoup de vent. S’il est trop fort, il faut arrêter les éoliennes, parce que cela risque de les casser et, s’il n’y en a pas assez, il n’y a pas assez d’électricité qui est produite. La quantité totale produite par l’électricité éolienne est une chose, mais la disponibilité, au moment où on en a besoin, en est une autre. Cela veut dire que l’on ne peut pas compter sur les renouvelables pour répondre à la demande à un instant T. En général, c’est toujours au moment où l’on en a le plus besoin, l’hiver, au moment d’un anticyclone très froid… Cela ne condamne pas totalement l’électricité renouvelable, mais cela veut dire aussi que, plus on a de renouvelable, plus il faut avoir d’installations au gaz qui soient susceptibles de démarrer au moment où l’on en a besoin. Pour le moment, on ne sait pas stocker l’électricité en grande quantité. On essaye de trouver des moyens de stockage depuis deux siècles. On trouvera peut-être mais, pour le moment, on ne sait pas le faire. Donc, on ne peut consommer que l’électricité que l’on produit au quart d’heure près. Cela veut dire que le renouvelable ne peut pas aller très loin et ne peut pas être trop important, parce qu’il faut qu’il soit assisté par des centrales au gaz, parce qu’on peut les faire démarrer rapidement, mais qui ne fonctionneront pas toute l’année, ce qui augmente évidemment leur coût. Il y a donc des limites importantes. L’autre problème du renouvelable en France, c’est que nous avons un parc de nucléaire et d’hydraulique qui représente 85 % de la production, qui fonctionne quand on veut. On peut profiter de l’été pour arrêter une centrale nucléaire et la nettoyer, quand on a moins besoin d’électricité. Cela veut dire que nous avions, entre le nucléaire et l’hydraulique, de quoi satisfaire la demande d’électricité dans son intégralité. Donc, que faire de toute cette électricité renouvelable produite ? On a exporté cette électricité sur le marché européen à des prix inférieurs aux coûts de production, donc c’était une mauvaise affaire, ou bien on était obligé de baisser la production de nucléaire et d’hydraulique. C’est très mauvais parce que, si vous baissez la production de nucléaire, vous ne diminuez pas beaucoup les coûts de production. Les gens doivent être payés de la même façon si les centrales tournent ou non, les charges fixes sont les mêmes. Donc, on s’est privé d’une électricité qui ne coûtait pas grand-chose. On économise un peu d’uranium, mais comme le coût de l’uranium est négligeable dans le coût de la production d’électricité d’origine nucléaire, c’était une mauvaise affaire. En 2022, comme un tiers des centrales nucléaires n’ont pas fonctionné, on a pu utiliser l’électricité produite par les renouvelables pour limiter les dégâts. Cela nous a permis d’éviter les coupures. On est passé du statut d’exportateur considérable au statut d’importateur, ce n’est pas très important, mais quand même… Maintenant, en plus des centrales nucléaires qui vont refonctionner, en ajoutant les renouvelables, on va se retrouver avec un surplus d’électricité dont on ne sera pas vraiment quoi faire. Je ne suis pas très satisfait de voir que l’électricité renouvelable va déborder, sans évoquer les dommages esthétiques et environnementaux qui sont très réels. Les panneaux solaires sont importés de Chine. La quasi-totalité des turbines et des mâts des éoliennes est importée d’Allemagne et du Danemark… Je ne parle même pas du plaisir de marcher le long de la mer, à La Baule ou à Saint-Nazaire, avec cette vue sur ces dizaines d’éoliennes de 200 mètres de haut… Les éoliennes sur terre, ce n’est pas beaucoup mieux, surtout quand on les installe dans des endroits calmes et tranquilles, comme la Creuse. En Creuse, les gens avaient des paysages magnifiques et on les leur prend, ce qui ne leur procure pas un grand plaisir non plus.

Écrit par Rédaction

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