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Reynald Secher : « La France a annexé la Bretagne en 1789, de manière unilatérale, sans convention et sans accord. »

La Bretagne a-t-elle été annexée de force par la France ?

L’historien et écrivain Reynald Secher, spécialiste des guerres de Vendée, a travaillé avec l’équipe de « Vaincre ou mourir » et il intervient d’ailleurs au début de ce film. Entre 1793 et 1796, jusqu’à 200 000 Vendéens, Bretons, Angevins ont été massacrés par les troupes républicaines dans un contexte d’insurrection contre-révolutionnaire qui se propageait un peu partout en France. Depuis des décennies, les œuvres de Reynald Secher ont reçu de nombreux prix. À La Chapelle-Basse-Mer, à la tête de l’association Mémoire du Futur, il dirige un projet visant à la restauration de la chapelle Saint-Pierre-ès-Liens et à la reconstruction d’un cloître laissé à l’abandon.

Reynald Secher a été l’invité de Caroline Glon, conseillère municipale, présidente de l’association pour la sauvegarde du patrimoine de La Baule et présidente de VigiBretagne, pour donner une conférence sur la Bretagne et les guerres de Vendée. À cette occasion, l’association bauloise a également fait un don à celle de Reynald Secher, Mémoire du Futur, qui œuvre pour la restauration des chapelles. Reynald Secher annonce la sortie d’un nouveau livre sur l’histoire du génocide de La Chapelle-Basse-Mer sous la Révolution française. Dans le cadre de sa venue à La Baule, Reynald Secher s’est rendu dans le studio de Kernews avec Caroline Glon.

Kernews : Vous avez joué un rôle majeur dans l’élaboration du film « Vaincre ou mourir ». Il y a des scènes avec plusieurs références à la Bretagne. Y a-t-il eu une lutte bretonne en parallèle à celle des Vendéens ?

Reynald Secher : Les gens se révoltent pour cette notion de liberté, ce n’est pas seulement une notion du Poitou, c’est aussi une notion bretonne, parce qu’il faut comprendre que jusqu’au 4 août 1789, la Bretagne est un pays associé. Par le traité de 1532, les Bretons s’associent à la couronne de France, c’est-à-dire qu’ils conservent leurs droits et leurs coutumes, et ils ont une représentation à travers le Parlement. Charette est un Breton qui s’est battu sur les mers internationales, notamment pour l’indépendance des États-Unis d’Amérique, au nom des libertés bretonnes. Lorsqu’il est démobilisé, il revient sur ses terres bretonnes en tant que Breton. Lorsqu’on l’appelle pour devenir un chef, sa réaction est très intéressante. Il est contre l’insurrection d’un chef contre l’autorité, mais il accepte l’insurrection pour rétablir l’autorité légitime. Tout est dit en quelques mots au début du film.

Vous évoquez cette collaboration entre la Bretagne et le royaume de France. Certains historiens expliquent que cela s’est fait par la force à travers le siège du Parlement de Vannes. Qu’en pensez-vous ?

Le roi de France veut, coûte que coûte, annexer la Bretagne. C’est une puissance militaire, c’est une puissance maritime, c’est une puissance économique, et c’est aussi une population. Le rajout de cette péninsule lui permet de maîtriser la Manche, donc la confrontation avec les Anglais, et l’océan Atlantique. Les plus grands ports de la façade atlantique sont Saint-Malo, Lorient, Nantes et Redon. Grâce à cette union, qui n’est pas une annexion, il va maîtriser les mers.

Que s’est-il passé exactement à Vannes ? La France a quand même obtenu cette collaboration par la force…

R.S : Oui, c’était une collaboration forcée, mais les Bretons ont fondamentalement gagné car, en 1789, la Bretagne paye deux fois moins d’impôts par rapport à la moyenne nationale. La Bretagne a conservé sa langue, ses coutumes et ses usages. C’est-à-dire que le roi de France n’a pas pu imposer ses normes nationales en Bretagne.

Ainsi, sur le plan juridique, ce qui s’est passé en 1532 peut être opposable…

R.S : Bien sûr. Un certain nombre de juristes, en 1789 et en 1790, ont dénoncé ce qui a été fait lors de la nuit du 4 août. Les députés bretons, qui ne sont pas mandatés, renoncent aux privilèges de la province. Ils sont mandatés pour négocier les dettes, mais ils ne sont pas mandatés pour remettre en question l’autonomie de la Bretagne. C’est pour cette raison qu’un certain nombre de juristes bretons dénoncent cela. Le problème, c’est qu’à l’époque il n’y a pas de notion internationale du droit, donc ils sont tout seuls et ils vont perdre.

Est-ce opposable aujourd’hui ?

R.S : C’est une question qui est soulevée par un certain nombre de juristes et c’est un réel débat. Prenons l’exemple de la langue. Les Bretons apprennent leur langue maternelle comme une langue étrangère, c’est une question de fond. Au niveau du droit international, si ce qui s’est passé en 1532, puis en 1789, était soulevé à l’heure actuelle, je pense que la France perdrait.

Donc, on peut faire une analogie avec l’actualité, comme la Russie avec la Crimée… Finalement, ce que la France a fait à la Bretagne, est-ce ce que Saddam Hussein a fait avec le Koweït ?

R.S : Absolument. Le docteur Mellenec a fondamentalement raison. Tout cela a été fait en ignorant le droit international, mais aussi le droit national, puisque la France a annexé la Bretagne en 1789, de manière unilatérale, sans convention et sans accord.

Lorsque l’ONU a été créée, lorsque le droit international a été créé, on a pris un train en marche et les dérives passées restent donc opposables ?

R.S : Malheureusement, l’histoire de la Bretagne s’est déroulée trop tôt par rapport au droit international.

Caroline Glon : Nous sommes très heureux d’avoir reçu Reynald Secher à La Baule, car lorsque le film « Vaincre ou mourir » est sorti, beaucoup de gens se sont rendu compte que Charrette était breton. On avait toujours eu l’idée que Charrette était vendéen. Il y a un rapport entre la Bretagne et la Vendée, sur l’identité et la fierté, avec la nécessité de reprendre cette cohésion qui doit être la nôtre aujourd’hui. Nous sommes très contents, à La Baule, de mettre à l’honneur Reynald Secher.

R.S : Le film « Vaincre ou mourir » est très bien fait, car il résume très bien cette problématique. Charette est un noble breton, qui sert la couronne royale française, de manière claire dans son esprit. Lorsqu’il revient en Bretagne, il est imbibé des idées de La Rouërie. C’est un marquis qui est au nord de l’Ille-et-Vilaine, c’est un homme remarquablement intelligent, qui a servi pour l’indépendance des États-Unis et qui revient en Bretagne avec des idées monarchistes, parce qu’il sait que la monarchie est garante de la liberté. Mais, en même temps, il veut profiter de l’affaiblissement du roi pour rétablir une certaine autonomie de la Bretagne. Il dit cela dans la première partie du film. Charette s’engage à rétablir une certaine autonomie de la Bretagne mais, petit à petit, il va être dépossédé de ce combat, pour adhérer au combat de la Vendée qui est d’une nature tout à fait différente. Les Vendéens n’ont pas un combat géographique, mais un combat politique. Ils se battent pour la liberté de pensée, mais pas du tout pour une question de territoire.

On observe que la Vendée a retrouvé son histoire et une fierté, tandis que la Bretagne reste encore honteuse : qu’en pensez-vous ?

R.S : Votre question est intéressante. Je suis issu de la rive gauche de la Loire et, lorsque j’étais élève à Saint-Sauveur de Redon, j’étais honteux. Philippe de Villiers raconte cela aussi. Quand on dit que l’on est vendéen, on est immédiatement taxé de « Ventrachoux ». C’est très intéressant, car ce mot veut dire quelque chose de très précis. Cela veut dire le ventre qui a un chou, c’est l’enfant qui est tué par le bleu, et il y a ensuite un chou sur le nombril pour la cicatrisation. C’est l’expression même du génocide de l’enfant. C’est la cruauté la plus extrême. Il y a ensuite eu des événements majeurs. D’abord, la création du Puy-du-Fou par Philippe de Villiers, qui permet de faire adhérer un public très important à l’histoire de la Vendée. J’ai également œuvré au niveau intellectuel sur ce que l’on appelait les guerres de Vendée. Les Vendéens, qui ont toujours été considérés comme des bourreaux, parce qu’ils ont lutté, vont devenir des victimes. Et cela change tout.

Dans beaucoup de familles, en dehors de l’histoire officielle, tout cela se savait et l’on accusait de « complotistes » ceux qui estimaient que les Vendéens étaient des victimes…

R.S : Oui, mais on ne comprenait pas cette logique de système. J’ai permis aux Vendéens de comprendre cela. Ils n’ont pas été des bourreaux, mais des victimes, ce qui leur a permis de récupérer une certaine fierté globale. Quant à la Bretagne, elle n’a pas encore fait cette démarche. D’abord, les Bretons ne connaissent pas leur histoire, alors qu’ils ont une histoire particulière. Ce n’est pas du folklore. Ensuite, les Bretons ont été culpabilisés à l’extrême par ce qui s’est passé au moment de la Révolution française. Ils ont toujours l’idée qu’ils ont été des mauvais Français parce qu’ils n’ont pas été les artisans de la République. Enfin, ils ont été en marge de la Nation, tout au long du XIXe siècle, jusqu’à la Première Guerre mondiale.

C.G : Il est vrai que les Bretons ont été mis en marge, notamment parce qu’on leur a enlevé leur langue. On a coupé toutes les racines. Depuis les années 70, tout le monde commence à se réapproprier cette histoire de la Bretagne. Cela se fait en dehors du système, certes, mais c’est un long chemin. J’estime qu’il y a vraiment un renouveau dans la culture bretonne. Il y a des gens qui ont une réflexion politique. Sur la Presqu’île, aucune association bretonne ne s’est parlé, or, le mois dernier, une douzaine d’associations bretonnes se sont regroupées à Guérande et nous avons beaucoup avancé en dix minutes.

R.S : Je ne vais pas discuter ton analyse, mais ce phénomène de réappropriation de la culture bretonne est extrêmement marginal. J’entends ce qui se passe dans les différentes associations bretonnes, mais certaines sont désemparées. Tout cela n’est pas le fruit du hasard car, de l’authenticité, on est passé au folklore. Je regrette profondément cela. Par exemple, je demande aux gens quel est le premier roi de Bretagne et quel est le dernier duc de Bretagne… Les gens sont incapables de répondre à cette question, parce qu’on les a dépossédés de cette histoire. Dans mon village, j’ai réussi à faire nommer une salle municipale Nominoë, uniquement parce que le maire voulait me faire plaisir…

Reynald Secher, votre dernier livre est consacré à l’histoire de la Chapelle-Basse-Mer. Que s’est-il passé au moment de la Révolution ?

R.S : C’est mon village familial, mais c’est avant tout le carottage qui a permis à l’université française de comprendre ce qui s’était passé dans la Vendée militaire. C’est un carottage humain. Lorsque j’ai travaillé là-dessus, en 1985, la mémoire était intacte. Il y avait une convergence entre la tradition populaire et ce que j’allais découvrir par la suite à travers les manuscrits. C’est irréversible. Ce sera toujours le seul village référence de la Vendée militaire. C’est une histoire vendéenne, bretonne et ligérienne, c’est un carrefour entre trois mentalités et trois géographies. Grâce aux écrits d’un certain nombre d’habitants, j’ai pu reconstituer l’histoire au jour le jour de ces événements qui ont fracassé le village. Il a perdu 900 habitants, principalement des femmes et des enfants. La moitié des maisons ont été détruites. C’est absolument atroce, car cela correspond à une mécanique de l’extermination. Au niveau universitaire, l’histoire de ce village nous a donné la preuve que la tradition populaire correspondait à un certain nombre de récits et d’actes officiels. Il y a eu une violence incroyable qui nous a permis de comprendre une mécanique supérieure, une mécanique d’État, qui consistait à tuer l’autre, non pas pour ce qu’il avait fait, mais pour ce qu’il était. En 1790, on a décidé de construire le mémorial de l’extermination de la Vendée militaire. À partir d’une chapelle vieille de mille ans, 2 000 jeunes venus du monde entier sont venus restaurer la chapelle et construire un immense mémorial pour raconter l’aventure de la Vendée militaire. Nous avons la liste des 900 habitants qui ont été exterminés et je vais publier cette liste dans le livre que je vais publier. La définition du génocide, c’est que l’on tue l’autre non pas pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il est. On tue le Vendéen parce qu’il est vendéen, on tue l’Arménien parce qu’il est arménien, on tue le juif parce qu’il est juif, on tue l’homosexuel parce qu’il est homosexuel, on tue le noble russe, parce qu’il est noble… C’est cela la mécanique du génocide.

Ce qui est intéressant, c’est que cela nous renvoie à l’actualité : on s’attaque aux gens, on veut leur interdire de s’exprimer, uniquement pour ce qu’on les soupçonne d’être…

R.S : Vous avez parfaitement raison et j’ai tiré le signal d’alarme début juillet en écrivant au président de la République, au Premier ministre, aux présidents des deux chambres, au ministre de l’Éducation nationale et au ministre de la Justice, en disant tout simplement que bon nombre d’intellectuels, qui ne sont pas dans le délire officiel et idéologique, sont interdits de conférences à tous les niveaux. Par exemple, à Orléans, j’ai été attaqué par 70 black blocs. Lors d’une conférence dans une autre ville, il y a eu une campagne d’affichage incitant à m’assassiner ou à me décapiter. Je tire le signal d’alarme en disant que l’on a un problème de liberté d’expression dans notre pays. Cela devient totalitaire, tout cela sous l’impulsion de l’extrême gauche. Heureusement, je peux venir m’exprimer à La Baule sans aucun tabou, tenir des conférences, grâce à Caroline Glon, c’est important. Notre espace d’expression est de plus en plus limité. Par exemple, je ne peux plus accéder aux grands médias, alors que j’aurais beaucoup de choses à dire.

Écrit par Rédaction

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