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Romain Sion : « La carte bancaire est presque un bulletin de vote. »

Portrait de la « Génération impact » qui veut privilégier l’intérêt général

C’est le grand sujet du moment : les jeunes ne veulent plus privilégier la réussite sociale ou financière, mais trouver un travail qui ait un impact sur l’évolution du monde. On parle du phénomène de « grande démission » qui, après les États-Unis, touche maintenant l’Europe, parce que les trentenaires souhaitent s’engager dans des actions qu’ils jugent « utiles », que ce soit pour la planète ou contre les inégalités.

Romain Sion, 31 ans, analyse ce phénomène et il incarne aussi cette « Génération impact ». Romain Sion est responsable depuis six ans des fonds Europe au sein de Blisce, le premier fonds de capital-risque growth-stage à être certifié B Corp au sein de l’Union européenne. Ses équipes reversent 20 % de leurs plus-values à Epic, une fondation mondiale qui identifie, sélectionne, soutient et suit des ONG.

« Génération impact – Et si dès maintenant on pouvait tous agir ? » de Romain Sion est publié aux Éditions Baribal.

Kernews : Vous êtes responsable des fonds Europe au sein d’une très importante société de capital-risque qui adopte une démarche éthique dans ses investissements, à la fois dans le choix des entreprises sélectionnées, mais aussi avec une partie des bénéfices reversés à des O.N.G. Ce qui ressort de votre livre, c’est que le trentenaire que vous êtes entend réussir sa vie, pas en écrasant les autres, mais en étant utile au monde…

Romain Sion : C’est tout à fait cela. Peu importe son métier ou son environnement, on peut tous agir à son échelle, donc il est important de s’interroger sur l’impact de ce que l’on fait. Il y a des entrepreneurs, des acteurs du changement, mais aussi des consommateurs. Dès que l’on commence à réfléchir là-dessus, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de gens qui agissent. Dans les médias, on entend parler de guerres ou d’assassinats, ce sont des choses tristes, mais on parle moins des initiatives positives qui rendent le monde meilleur. Dès que l’on cherche à découvrir ces initiatives, on se rend compte qu’il y a beaucoup de gens qui agissent dans l’ombre pour changer le monde.

Les jeunes salariés veulent être utiles au monde et ne plus simplement gagner de l’argent : que pensez-vous de cette nouvelle mentalité ?

C’est tout à fait louable, c’est même très bien. C’est de cette façon que les dirigeants des entreprises, qui sont peut-être moins réceptifs à cela, peuvent comprendre que ce n’est plus une question de choix, ce sont même des décisions business, parce que, s’ils ne s’engagent pas, ils auront du mal à recruter les futurs talents.

Vous racontez que même vos vacances doivent être socialement utiles : l’engagement est-il une raison de vivre ?

C’est devenu quelque chose qui a pris beaucoup d’importance. Il y a quelques années, je me suis retrouvé dans une arnaque à 100 millions d’euros, dans le cadre d’un stage de fin d’études. C’était un patron voyou. J’ai eu un sentiment de honte, ce n’était pas du tout ce que je voulais faire ! À partir de ce moment, je me suis fait la promesse de consacrer mon énergie à des valeurs qui me parlent et c’est devenu une boussole pour moi. Je me suis engagé avec Alexandre Mars, un entrepreneur très impliqué dans ces questions, et nous avons décrété que les actionnaires avaient des droits et des devoirs en matière de responsabilité sociale et environnementale. Les actionnaires peuvent avoir un rôle. Peu importe son métier, que l’on soit actionnaire ou consommateur, on peut tous faire des choix qui ont de l’impact. C’est la loi des chiffres. Il ne faut pas attendre que les autres fassent, on peut tous se mettre en route dès aujourd’hui. Après cette expérience de vie qui m’a beaucoup marqué, je me suis mis en route à la rencontre des acteurs du changement dans différentes sphères. Par exemple, je consacre 80 % de mes vacances à monter des projets dans des organisations sociales exceptionnelles. Dans le monde des affaires et des médias, j’ai rencontré plusieurs acteurs du changement dans une soixantaine de pays et c’est ce que je résume dans mon livre.

Des milliers d’entrepreneurs dans le monde font du RSE sans le savoir. Je vais prendre deux exemples opposés. D’un côté, un milliardaire qui a des entreprises qui gagnent de l’argent, il est plutôt de gauche et il finance des médias plutôt écolos et de gauche qui sont cohérents avec ses idées. À l’inverse, un milliardaire catholique qui finance des médias qui correspondent à ses convictions… Dans ces deux illustrations, ce sont des sortes de politique RSE qui ne disent pas leur nom…

Complètement. Aujourd’hui, le mot RSE a explosé dans les recherches sur Google, mais c’est vrai, les entrepreneurs engagés existent depuis toujours. Une entreprise comme Patagonia n’est pas récente : pour autant, l’équipe fondatrice a voulu prendre des engagements sains en alliant performances économiques avec des valeurs fortes. Je prends l’exemple de Décathlon aussi, où la culture d’entreprise est forte, les valeurs sont aussi fortes et c’est une entreprise qui marche très bien.

Vous évoquez aussi la confiance que l’on doit éprouver à l’égard de l’État par rapport aux élections qui freinent la transition écologique et sociale. Ne sommes-nous pas dans un tunnel sans fin, car lorsque l’on veut accélérer la transition écologique, on voit débarquer les Gilets jaunes ?

Effectivement, certains pourraient être très pessimistes sur les années qui viennent, que ce soit sur la crise climatique, qui est un enjeu majeur, mais aussi sur le fossé qui continue de se creuser avec les inégalités sociales, et vous évoquez à juste titre les Gilets jaunes. Je me qualifierai plutôt d’optimiste pragmatique et je préfère voir le bon côté des choses. Il y a des gens de bonne volonté qui arrivent, malgré l’inertie ambiante, mais on ne peut plus remettre au lendemain les problèmes que l’on doit résoudre. C’est maintenant que nous devons traiter de tout cela. Aujourd’hui, être un homme politique, ce n’est pas évident. On est dans un contexte de défiance qui atteint un niveau très important, pourtant on a besoin de réformes et de réglementations. Il ne faut pas négliger ces sphères en se disant que ces gens sont tous pourris, ce n’est pas du tout le cas, je voulais aussi le souligner.

Vous avez connu l’Ancien Monde, puisque vous aviez une dizaine d’années en l’an 2000. Or, vous êtes aussi confronté à des jeunes qui n’ont pas vécu cela. Comment envisagez-vous le monde de demain, où l’on dit que plus personne ne sera propriétaire et que les écarts de salaire seront limités dans la plupart des entreprises ?

J’ai l’espoir de voir les choses changer dans le bon sens, mais il est clair que les défis sont absolument énormes. Personne n’a une boule de cristal et on ne sait pas ce qui va se passer sur le plan technologique. On sait que beaucoup de métiers vont disparaître et que d’autres vont apparaître. L’innovation va complètement changer le monde de demain. Les jeunes, comme les moins jeunes, vont devoir s’adapter, se renouveler et se reformer beaucoup plus vite dans un contexte où les enjeux liés à l’énergie et à la crise climatique feront partie de chacune des décisions qui seront prises dans les entreprises et à tous les niveaux hiérarchiques.

Vous plaidez pour l’éducation, les droits de l’homme, ou pour aider les jeunes des banlieues. Je vois beaucoup de Romain Sion qui vous ressemblent, mais j’en vois aussi qui se situent politiquement à l’inverse de ce que vous défendez. Sommes-nous en train de retrouver un clivage entre trentenaires qui avait sans doute disparu depuis les années 70 ou 80 ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’existence de ces clivages et, sans aller jusqu’à dire qui a tort ou qui a raison, mais en discutant sur le fond, on peut comprendre pourquoi les uns et les autres ont des opinions différentes. Ce qui est important, c’est l’ouverture d’esprit. C’est chercher à comprendre et ne pas prendre toute information comme argent comptant. Les réseaux sociaux sont une caisse de résonance. On nous abreuve d’informations que l’on souhaite entendre, on n’a pas d’avis différents, mais le fait de pouvoir juger d’une information fiable, en vérifiant ses sources, est pour moi quelque chose d’essentiel pour me constituer une opinion. Les médias ont une responsabilité pour partager un certain nombre d’informations brutes permettant aux gens de se constituer leur propre opinion. Il y a certains médias qui sont intéressants, comme Brut…

Vous avez d’ailleurs investi financièrement dans Brut…

Nous avons effectivement rejoint l’aventure de Brut car ce qui est génial, c’est qu’ils n’ont pas de ligne éditoriale, ils veulent se concentrer sur les faits pour que l’auditoire puisse se faire une opinion. Cela ne veut pas dire qu’il faut uniquement écouter Brut, il faut multiplier les sources d’information, tout comme voyager, pour être confronté à un maximum d’opinions différentes.

À une certaine époque, on disait qu’il fallait lire tous les matins L’Humanité et Le Figaro…

C’est un très bon exemple.

Dans les générations précédentes, notamment en mai 68, on a vu s’engager des gens qui semblaient sincères, toutefois ils ont oublié toutes leurs valeurs pour ne faire que du pognon… Comment faire pour que le fil du temps ne vous transforme pas de la même manière ?

La réponse pragmatique, c’est que j’ai eu la chance de découvrir l’envers du décor. L’un de mes premiers métiers a été de partir à la rencontre des grandes fortunes en Europe et, pendant plus de trois ans, j’ai rencontré des gens qui avaient beaucoup d’argent. Ce sont des gens très simples et j’ai compris que l’argent ne faisait pas le bonheur, mais contribuait quand même à le faire… Donc, une fois que l’on a atteint un certain niveau de vie, on n’a pas besoin d’aller plus loin… Si vous avez une belle voiture, il est inutile d’en avoir une dizaine de plus. J’ai pu constater cela en rencontrant des personnes très riches. À ma petite échelle, je vis très bien et je ne cherche pas à amasser un maximum. Un jour, ma mère m’a dit que si un jour je devais être perverti par l’argent, elle serait là pour me rattraper au vol !

Beaucoup de gens acceptent maintenant de payer un peu plus cher un produit s’il est fabriqué en France. Est-ce une forme de démarche RSE en quelque sorte ?

J’appelle cela le nouveau bulletin de vote. C’est aussi une certaine façon d’exprimer son opinion que de choisir ce que l’on met dans son caddie. La carte bancaire est presque un bulletin de vote. Avec la crise sur le lait, il y a eu des centaines de milliers de personnes qui ont boycotté Danone au Maroc, je raconte cela dans le livre, et l’impact a été immédiat. C’est aussi un acte d’activisme que de faire attention à ce que l’on achète. Quand on peut se permettre de payer un peu plus cher son produit, parce qu’il correspond aux valeurs que l’on veut défendre, c’est une chance.

Écrit par Rédaction

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